Quand les gens quittent le navire, les investisseurs l’achètent
Stéphane Rolland|Édition de mars 2020(Photo: 123RF)
ANALYSE. C’est lors des ressacs boursiers que les chasseurs d’aubaines s’activent. Pendant que le marché s’inquiète, à tort ou à raison, des effets du COVID-19, plusieurs investisseurs à long terme feront le pari qu’ils peuvent mettre la main sur de bonnes entreprises à bon prix.
Parmi les idées à contre-courant en vogue, pardonnez l’oxymoron, il y a la thèse optimiste envers le secteur du tourisme. À sa plus simple expression, l’idée générale est la suivante : même s’il est encore difficile de mesurer les conséquences du nouveau virus, les gens finiront par recommencer à voyager et la situation reviendra à la normale après un passage à vide. En attendant, en période de panique, c’est l’occasion de mettre la main sur certains titres qui ont baissé de plus de 20 %.
Supposons que l’année 2020 soit difficile, mais que les choses reprennent leur cours normal sans conséquences graves. Dans ce cas, les prévisions de bénéfices pour les 12 prochains mois sont peu utiles, car la visibilité est réduite par les inconnues entourant le COVID-19. Par contre, les bénéfices des 12 mois précédents peuvent nous donner une indication du potentiel de rentabilité, une fois la situation revenue à la normale.
Le temps des soldes
Sous cette lorgnette, plusieurs titres du secteur du voyage semblent effectivement en solde. Il y a un an, American Airlines (AAL, 18,53 $ US) et United Airlines (UAL, 59,47 $ US) s’échangeaient à 10,9 fois et à 11,0 fois les prévisions de bénéfices des 12 mois précédents. Ce ratio est maintenant à 4,7 et à 5,0 fois, respectivement. Le croisiériste Carnival, dont le navire Diamond Princess a été mis en quarantaine au Japon, s’échangeait à un ratio de 12,8 fois. Il atteint maintenant 7,3 fois.
La baisse des évaluations attire l’attention des experts. Par exemple, Konark Gupta, de la Banque Scotia, croit que le marché évoque déjà le pire scénario quand vient le temps d’évaluer Air Canada (AC, 35,07 $). « Le marché anticipe déjà une baisse de revenus et un déclin des marges pires que ce qu’on a vu en 2009 », commente-t-il.
Les croisiéristes attirent, eux aussi, l’attention. À long terme, même le COVID-19 ne viendra pas à bout de la croissance séculaire à long terme qui soutient l’industrie, croit James Hardiman, de Wedbush, qui voit dans la correction une « grande » occasion d’achat. L’essor de la classe moyenne en Asie-Pacifique et le vieillissement de la population sont deux tendances favorables. Royal Caribbean (RCL, 78,58 $ US) estime que l’industrie a un taux de pénétration (pourcentage de la population qui fait des croisières) de 0,2 % dans la région contre 3,89 % en Amérique du Nord. Plusieurs nouveaux passagers pourraient vouloir larguer les amarres.
Une industrie vulnérable
Si la crise entourant le COVID-19 est de courte durée, on peut raisonnablement croire que ceux qui auront saisi l’occasion seront récompensés. Il faut tout de même y aller avec prudence. Les gens reviendront voyager, certes, mais une récession peut faire d’importants dommages à l’industrie touristique avant que les eaux ne se calment.
Il n’y a pas de dépense plus discrétionnaire, par définition, que le voyage. Quand les choses vont mal, il s’agit de la première dépense à laquelle les consommateurs et les entreprises vont renoncer.
Il très probable que l’épidémie empire, prévient Chris Woronka, de la Deutsche Bank, qui abaisse sa recommandation d’« acheter » à « conserver » sur les titres de Royal Caribbean et de Norwegian (NCLH, 30,53 $ US). Les consommateurs pourraient ne pas oublier si vite le COVID-19 et hésiter plus longuement avant de monter à bord.
Le passé a démontré que le secteur aérien est vulnérable quand il passe au travers de turbulences. Au cours des 20 dernières années, Air Canada, American Airlines, United Airlines et Delta (DAL, 48,50 $ US) ont dû se placer à un moment sous la protection de leurs créanciers.
Les dirigeants et les analystes optimistes estiment que les principaux acteurs du secteur ont tiré les leçons des précédentes crises et qu’ils sont mieux préparés pour y faire face dans une industrie plus consolidée. Il n’en reste pas moins que cette « nouvelle résilience » n’a encore jamais été testée.
Mieux vaut donc rester vigilant quand on part à la chasse aux aubaines dans le secteur touristique. C’est d’autant plus vrai que la vague baissière a emporté beaucoup d’autres industries sur son passage. Le terrain de chasse ne se limite donc pas qu’à cette seule industrie.