J’ignorais qu’elles pouvaient encore exister, je croyais qu’elles avaient toutes disparu, pulvérisées par les chocs successifs de l’éclatement de la bulle Internet et des scandales financiers. Elles sont pourtant là, dans son portefeuille, comme le rappel d’une douloureuse leçon d’investissement.
Michel possède toujours des actions de Nortel.
Le problème de notre lecteur, ce n’est pas que ses actions ne valent plus rien, il y a déjà un moment qu’il a accepté sa perte. Il voudrait seulement les voir disparaître, faire du ménage et tourner la page, comme on dit.
Cela lui permettrait aussi, peut-être, de déclarer des pertes en capital qu’il pourrait utiliser pour réduire les impôts sur d’éventuels profits réalisés sur la vente d’autres actifs.
Fiscalité de l’investisseur 101: quand on détient des actions à l’extérieur d’un compte enregistré (REER, CELI, FERR, etc.), on peut utiliser les pertes en capital encourues à la disposition du titre X à l’encontre de gains réalisés sur la vente du titre Y afin d’alléger sa facture fiscale. Les pertes sont obligatoirement appliquées sur les gains de la même année, l’excédent peut ensuite être utilisé n’importe quand dans le futur et jusqu’à trois ans en arrière.
Des pertes avec Nortel, il y en a eu. Beaucoup, beaucoup. Une débâcle historique dont on pourra bientôt souligner le 20e anniversaire. Pour donner la mesure de l’effondrement, rappelons à notre jeune auditoire épargné du traumatisme que ce fleuron des télécommunications a déjà affiché une valorisation boursière supérieure à celle de toutes les banques canadiennes, Alcan, Telus, Roger, CN et CP… réunies.
Son poids dans le marché boursier canadien était pour le moins terrifiant; sa valeur ne tenait pas à grand-chose de concret, seulement sur l’enthousiasme des investisseurs, l’optimisme des analystes et le mensonge de ses dirigeants.
Comme bien d’autres, je croyais l’entreprise dissoute à la suite d’une faillite. Eh bien non! Nortel figure toujours au registre des entreprises, avec ses informations à jour. Il s’agit vraisemblablement d’une coquille maintenue en place pour régler les dernières affaires en cours avec ses débiteurs et ses créanciers. Le dernier communiqué de presse de l’entreprise remonte à 2017 et fait justement état d’un règlement financier de cette nature.
La société n’a donc pas disparu, ce qui représente une bonne nouvelle pour Michel. Si l’entreprise avait fait faillite en 2008, par exemple, les pertes de portefeuille qui en auraient découlé auraient dû être déclarées et appliquées aux gains de cette année-là d’abord.
Il n’y a vraiment qu’en fiscalité où l’on peut formuler une chose semblable, mais pour Michel, il y aurait alors eu un risque de «perdre» une partie de sa «perte», celle applicable sur les profits de 2008 (l’excédent seulement pouvant être utilisé dans le futur). C’est qu’il y a comme un délai de prescription. Les pertes vieilles de plus de 10 ans qui n’ont pas été utilisées pour réduire des gains en capital encaissés la même année ne peuvent l’être rétroactivement ni reportées sur des profits futurs. Elles sont donc «perdues».
Je sens que je vous perds, du moins ai-je la désagréable impression de m’empêtrer, alors revenons dans le monde réel, celui dans lequel on croyait tous, à tort, à la faillite de ce qui fut à une époque une source de fierté.
Le problème avec les actions de Nortel, c’est qu’elles ont beau apparaître dans notre portefeuille, avec la perte associée bien en vue, elles ne sont plus négociables. Le seul moyen de s’en débarrasser, c’est d’en faire «cadeau». À qui? À son courtier. Pour ce faire, on doit remplir un formulaire de donation, un document disponible à la firme de courtage (ou il faut demander à son gestionnaire de portefeuille de le faire auprès du courtier). Je n’ai pas fait le tour des courtiers pour savoir s’ils offrent tous cette possibilité.
Cette procédure permettra d’effacer les traces des actions de son portefeuille et de réclamer la perte comme si on en avait disposé. Pour ce qui est des titres de Nortel qui traînent encore dans les REER, il n’y a vraiment rien à en tirer, mais la procédure vaut tout de même la peine pour celui qui voudrait faire un trait définitif sur ce mauvais souvenir.
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Comment peut-on avoir encore des actions de Nortel dans son portefeuille? Il suffit d’espérer que ça remonte un peu jusqu’au jour où plus personne n’en veut puis que les autorités de valeurs mobilières interdisent toutes les transactions sur le titre.
C’est ce qui est arrivé à Nortel.
Quand j’ai reçu le courriel de Michel, j’ai pensé à un cas d’exception. J’ai eu tort. Ceux qui se sentent honteux, sachez qu’il n’y a pas à rougir de détenir des actions de l’ancienne coqueluche boursière. Vous êtes encore nombreux dans cette situation.
Aussi, Nortel est loin d’être la seule entreprise dont le titre fait l’objet d’un arrêt de transaction pratiquement permanent, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont fait tomber en disgrâce d’innombrables titres d’entreprises, des milliers d’avis ont été publiés avec les années.
La Loi de l’impôt sur le revenu ne permet pas de réclamer n’importe comment et dans n’importe quelles circonstances des pertes en capital. Cela n’est possible que dans certaines conditions, selon la situation. Alors quand vous êtes aux prises avec des corps morts dont vous ne savez pas comment vous débarrasser et qui pourraient receler un potentiel «fiscal», il est recommandé de vous tourner vers un fiscaliste.
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Parlant de fiscalistes, merci à Natalie Hotte, de la Financière Banque Nationale, à Yves Chartrand, du Centre québécois de formation en fiscalité, et à François Chartier, conseiller en placement à la Financière Banque Nationale, sans qui je serais encore en train de regarder mon écran tout blanc. Toute niaiserie ou erreur que pourrait contenir la version originale de ce texte est attribuable à l’interprétation de l’auteur et non aux propos de ces aimables spécialistes.
Vite, des Tylenol. C’est ma tournée.
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