CHRONIQUE. «Que voulez-vous qu'on fasse ? Aujourd'hui, plus personne n'est tenté de travailler dans ...
CHRONIQUE. «Que voulez-vous qu’on fasse ? Aujourd’hui, plus personne n’est tenté de travailler dans Chaudière-Appalaches pour fabriquer des jeans, des bicyclettes ou des portes-fenêtres. Plus personne…» Celui qui me confiait son désarroi, en marge de la Journée ressources humaines en Beauce, avait des sanglots dans la voix. Sa région, il l’a tatouée sur le coeur et il serait prêt à tous les sacrifices pour la voir grandir et embellir. Mais voilà, elle ne cesse de dépérir sous ses yeux éberlués, et il se sent impuissant devant le désastre.
C’est que Chaudière-Appalaches est au coeur de la tornade. La région affiche le taux de postes vacants le plus élevé du Québec, à 4,1 %, selon les données de Statistique Canada. Il s’agit là d’un bond de 1,3 point de pourcentage en un an, le plus haut du Canada, à égalité avec Cariboo (Colombie-Britannique). En ce moment même, 6 755 emplois sont à pourvoir, ce qui correspond à la population de Beauceville.
Oui, imaginez Beauceville vide du jour au lendemain, et vous aurez une idée du fléau économique qui s’abat sur Chaudière- Appalaches. Et vous vous demanderez, comme moi par rapport à ce monsieur désespéré, pourquoi la pénurie frappe plus fort ici que partout ailleurs au Canada.
La réponse ? Elle est dure à entendre, mais il m’est impossible de la taire : en vérité, il n’y a pas tant pénurie de main-d’oeuvre que pénurie de… bons employeurs. Explication.
Julia Posca est chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (Iris). Elle s’est penchée sur le problème et a découvert que les secteurs d’activité les plus touchés au Québec étaient ceux qui offraient les moins bonnes conditions de travail. Un exemple frappant est le secteur manufacturier (taux de postes vacants : 4 % ), victime de salaires «légèrement au-dessus de la moyenne de tous les secteurs d’activité» et d’emplois «peu valorisés». Idem pour l’hébergement et la restauration (taux de postes vacants : 4,7 % ), où «il est évident que le salaire est en cause (12,74 $ de l’heure, en moyenne), tout comme les conditions de travail (pénibilité, horaires atypiques…)».
Sa conclusion : «Le plus judicieux pour faciliter le recrutement dans ces secteurs serait de miser sur l’amélioration des conditions de travail, à commencer par le salaire», note Mme Posca dans son étude. Soit dit en passant, la moyenne du salaire horaire, à Chaudière-Appalaches, a… reculé en un an de 30 cents, à 17,35 $, ce qui correspond à la plus faible moyenne du Québec, d’après Statistique Canada.
«Il faut que les employeurs s’adaptent. Le rapport de force n’est plus le même : dans certains secteurs, ce sont les candidats qui passent l’employeur en entrevue afin de jauger les conditions de travail qu’il offre», a dit à la mi-mai Jean Boulet, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, lors d’une conférence de presse au cours de laquelle il a souligné qu’il était devenu «incontournable d’améliorer les conditions de travail, comme les salaires, les horaires et les avantages sociaux».
Le ministre a créé un programme pour inciter les employeurs à devenir de «bons employeurs», intitulé la Grande corvée 2.0. Mais voilà, celui-ci consiste en différentes mesures fiscales visant à encourager le maintien et même le retour au travail… des seuls baby-boomers. Le hic, c’est que cette initiative ne répond pas aux besoins réels des entreprises.
Lorsqu’on regarde de près le profil des postes vacants, on voit que la moitié (53 %) d’entre eux exigent moins d’un an d’expérience et que quatre postes sur cinq (80 %) nécessitent moins de trois ans d’expérience. Par ailleurs, 35 % des postes vacants ne requièrent aucune scolarité minimale et 23 %, un diplôme équivalent ou inférieur à un DES. «En résumé, la majorité des postes vacants au Québec visent des personnes peu qualifiées», note Mme Posca. Ce qui n’est aucunement le profil des baby-boomers.
Quelle est alors la solution ? Innover radicalement en matière de recrutement. À l’image du Pavillon du coeur Beauce-Etchemin et du restaurant Shaker, à Saint-Georges :
> Séduire autrement. Le Pavillon offre des services de mieux-être aux entreprises, l’idée étant qu’investir dans la santé des salariés, c’est investir dans celle de l’organisation. «Des études montrent que des employés en meilleure santé sont plus heureux et plus productifs, et que l’employeur gagne ainsi en image et en rétention du personnel», dit Catherine Morin, kinésiologue, du Pavillon, en indiquant que de plus en plus d’employeurs de la région – «Boa-Franc, Matiss, Canam…» – faisaient appel à eux et en faisaient même «un atout pour recruter».
> Regarder ailleurs. «L’automne dernier, nous sommes allés jusqu’en Colombie pour dénicher le chef dont nous avions besoin. C’est en faisant passer des tests à des élèves colombiens en hôtellerie que nous avons déniché la perle rare. Aujourd’hui, Oscar nous donne pleinement satisfaction», raconte Marie-Claude Grégoire, cheffe exécutive du Shaker, à Saint-Georges, convaincue que le succès actuel du restaurant résulte de son recours audacieux à l’immigration.
Bref, le gouvernement Legault fait fausse route en boostant le nombre des baby-boomers au travail et en sabrant dans celui des immigrants. Les employeurs ont, au contraire, besoin de sang neuf pour gagner en vitalité, en créativité et en productivité. Chaudière-Appalaches en est une splendide illustration.
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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