Photo : Scott Graham pour Unsplash.com
EXPERT INVITÉ. Le titre de ce blogue a attiré votre attention? Vous vous dites probablement que je suis fou? Que c’est la pire période pour être le PDG d’une start-up!
En ce moment, dans l’écosystème des start-ups, nous avons l’impression que c’est l’apocalypse. Pourtant, je dois vous avouer que j’aime l’idée que quelque chose est en train de changer dans le monde des start-ups. Qu’à partir de maintenant, les entrepreneurs qui fondent des entreprises doivent aussi se soucier d’idées obscures comme la rentabilité, les marges brutes, la gestion financière, etc. Bon, j’avoue, ça ressemble vraiment à l’horreur tout ça! Vaut mieux rester au pays des licornes.
Plus précisément, je ne comprends tout simplement pas pourquoi tant de gens agissent comme si le monde était fini, simplement car ceux-ci doivent maintenant gérer correctement leur start-up et que le capital n’est plus illimité. Sérieusement, laissez-moi tranquille!
Bon, je vais avoir l’air un peu complotiste ici, mais durant les trois dernières années, je me suis questionné si toutes ces licornes n’étaient pas en réalité qu’un Ponzi soutenu par du faux capital-risque. Le nombre de levées de fond valorisant des entreprises sans réel succès commercial à des sommets était complètement disproportionné.
Chose sûre, ce qui est arrivé à toutes ses licornes des dernières années n’est pas réjouissant. Celles dont la valorisation dépasse un milliard de dollars ont maintenant du mal avec leur prochain cycle de financement. Celles qui ont la chance de lever des fonds ont vu leurs valorisations diminuer de plus de 85%, selon le cabinet d’avocat spécialisé en capital-risque de Silicon Valley, Cooley Godward, Outch!
Les cycles du capital-risque sont prévisibles
Quoique nous ayons l’impression que c’est « pire qu’avant », c’est loin d’être la première fois que le monde du capital-risque vie une crise importante. Qu’on pense à l’explosion de la bulle des technologies au début des années 2000 ou de la Grande Récession en 2008 et maintenant, la Bulle Licorne de 2023!
Au début de chaque cycle, les valorisations des start-ups passent de surévaluées, à raisonnables puis finalement à faibles. Il devient beaucoup plus difficile, mais pas impossible, pour les start-ups bien gérées d’être financées. Inévitablement, à ce stade du cycle, il y a une poussée, comme aujourd’hui, vers l’atteinte de la rentabilité.
Ensuite, à mesure que de plus en plus d’argent afflue dans l’écosystème en provenance des commanditaires (« limited partners »), qui soutiennent ceux en capital de risque, les valorisations commencent à augmenter. Lorsque les capitaux deviennent plus faciles et moins coûteux à obtenir, automatiquement, une pression importante est mise sur les fonds en capital-risque pour que ceux-ci abandonnent les fondamentaux et se développent plus rapidement.
Puis, au milieu ou à la fin du cycle, la cupidité s’installe. À ce stade du cycle, la volonté de gérer votre entreprise de manière responsable disparaît. Tout ce qui compte, c’est comment la valorisation peut être augmentée, afin que les investisseurs puissent en profiter. Nous l’avons vécue chez Connect&GO. Lors de notre première levée en 2018, plusieurs fonds nous on fait sentir « coupable » d’avoir été profitable. « Vous auriez pu aller beaucoup plus vite » nous mentionnait-on chaque fois, balayant de la main la réussite de créer une société en technologies réalisant près d’un million $ en profit.
Dans la bulle des technologies de la fin des années 1990, les sociétés de capital-risque faisaient entrer en bourse leurs sociétés de portefeuille à un public sans méfiance. La plupart de ces entreprises n’avaient ni fondamentaux ni revenus. Et le résultat a été la chute violente du NASDAQ où tous les profits réalisés depuis 1995 par les 4 300 sociétés se sont volatilisés par les pertes de 2000-2001 (145 milliards $ US).
Dans la Bulle Licorne d’aujourd’hui, les gestionnaires de capitaux de risque ont trouvé un schéma différent pour augmenter la valorisation de leurs start-ups. L’idée était qu’ils pourraient gonfler encore plus leurs bénéfices en détenant plus longtemps les sociétés dans lesquelles ils ont investi et en augmentant la valorisation des sociétés après chaque tour de financement.
Tout comme dans la bulle des technologies, la plupart des start-ups de la Bulle Licorne n’avaient pas de fondamentaux commerciaux sous-jacents. Le résultat est connu aujourd’hui, les valorisations ont chuté de 85 %.
Cependant, ne vous sentez pas mal pour les dirigeants de capital de risque. Ils ont fait beaucoup d’argent avant que le marché ne s’effondre.
J’en ai parlé à de nombreuses reprises dans mes blogues : vous devez être très méfiant des sociétés de capital-risque qui vous demandent de grandir plus vite que vous le ne devriez.
Effectivement, il y a une phrase classique que je suis presque certain que vous avez déjà entendue si vous avez été financé en capital-risque dans les dernières années : « Ne vous inquiétez pas pour l’argent, nous vous soutiendrons… »
Ce qu’on vous communique, c’est que vous devriez simplement embaucher et grandir aussi vite que possible, car vous n’avez pas à vous soucier de l’argent. Vos bailleurs de fonds seront toujours là avec vous pour financer le prochain tour.
Ça sonne bien, n’est-ce pas? Et je pense vraiment que les gestionnaires de capital-risque le pensent quand ils le disent, du moins, j’espère. En revanche, lorsqu’on arrivera vers la fin d’un cycle et que ceux-ci n’auront plus les moyens d’investir – ils ne feront pas les mises à pied pour vous et au mieux, s’excuseront de vous avoir poussé à la croissance à tout prix.
Au lieu de cela, concentrez-vous sur la création d’une entreprise durable. Cela vous protégera de cycles du capital-risque. Car croyez-moi, les cycles sont inévitables. La cupidité du capital de risque reviendra, car il y a trop d’argent facile à gagner.
Au lieu d’ajouter trop de personnes trop rapidement, réfléchissez à la valeur que crée chaque embauche. Au lieu de vendre votre produit ou service en dessous de vos coûts, vous saurez quels sont vos coûts. Au lieu de dépenser comme s’il y avait toujours un autre tour, vous gérerez votre start-up de manière appropriée en vous questionnant sur la valeur de chaque dépense.
Si vous gérez votre start-up sur des bases solides, vous ne serez pas pris à la poursuite de la prochaine mode en capital de risque.
Et croyez-moi, ça fonctionne. Par exemple, nous annoncerons une extension de notre ronde de financement de série A de plus de 7,5 millions $ dans les prochaines semaines portant à 25 millions $ notre financement. Pourtant, notre valorisation n’a pas subi une décote de 85%. Au contraire, malgré le changement majeur dans le monde du capital-risque, notre valorisation s’est même appréciée, compte tenu que nous récoltons non pas pour combler les pertes accumulées, mais pour investir dans la croissance – rapidement, mais sainement.
Malgré ces nouveaux fonds, nous prévoyons diminuer le rythme d’embauche et avons au préalable fait une analyse approfondie de la valeur de chaque investissement. Nous avons ainsi réévalué plusieurs postes de dépenses et nous optimisons au maximum dans le but de profiter davantage de chaque dollar investi.
Si vous avez su créer une entreprise solide, en croissance et fondamentalement saine, vous ne devez pas vous inquiéter.
Il est en fait plus facile de gérer votre start-up lorsque le financement est rare.
Je dis aux entrepreneurs que je coache dans différents incubateurs-accélérateur que, maintenant que l’engouement pour la licorne est terminé, c’est le moment idéal pour être le patron d’une start-up. Oui, c’est plus difficile de lever des fonds, et vous n’obtiendrez pas une évaluation folle dès votre premier financement, mais vous aurez tellement d’avantages. Entre autres, il n’y aura pas autant de concurrents incontrôlables qui feront grimper le coût des talents et les investisseurs de risque ne vous pousseront pas à croître plus vite que vous ne le devriez.
Par conséquent, vous pouvez maintenant vous concentrer sur une croissance contrôlée.
Quel bon moment pour être un PDG de start-up.