Tout au long de sa campagne, Donald Trump a réaffirmé sa volonté d'imposer des droits de douane importants sur les importations étrangères. (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Il n’y a pas un jour où les médias financiers et les économistes ne parlent pas des répercussions inflationniste de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche après sa mise en place des tarifs douaniers. Pourtant, en nous plongeons dans le passé et dans la méthode de négociation de l’ancien nouveau président américain, les choses ne sont pas si évidentes que cela… Synthèse et analyse.
Les faits
Tout au long de sa campagne, Donald Trump a réaffirmé sa volonté d’imposer des droits de douane importants sur les importations étrangères, en particulier sur les produits en provenance de Chine. Il a présenté ces droits de douane comme essentiels à la revitalisation de l’industrie manufacturière américaine, à la réduction du déficit fédéral et à la baisse des prix des denrées alimentaires, les présentant comme des éléments clés de son programme économique et de sécurité nationale. Lors d’un rassemblement à Flint, dans le Michigan, il a qualifié les droits de douane de «meilleure chose jamais inventée», soulignant ainsi leur importance dans sa vision politique.
Les droits de douane spécifiques qu’il a proposés sont considérables, allant d’une taxe générale de 10% sur tous les produits importés à des droits de 60% sur les produits en provenance de Chine, et jusqu’à 25% sur les produits mexicains si cela est jugé nécessaire.
Donald Trump affirme que ces taxes à l’importation dissuaderaient les entreprises de délocaliser des emplois et protégeraient les industries américaines de ce qu’il qualifie de concurrence déloyale. Il a également fait part de sa volonté d’imposer ces mesures sans passer par le Congrès, comme on l’a vu en 2018 lorsqu’il a utilisé l’article 232 de la loi sur l’expansion du commerce pour introduire des droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium, en invoquant des préoccupations de sécurité nationale pour justifier sa décision.
Enfin, récemment, Donald Trump a prévenu qu’il appliquerait immédiatement des droits de douane de 25% sur toutes les importations mexicaines si la nouvelle présidente du Mexique ne parvenait pas à endiguer le flux de drogue et de criminalité vers les États-Unis. Cela renforce sa position selon laquelle des mesures économiques sévères à l’encontre d’autres pays peuvent servir à protéger les frontières et les intérêts des États-Unis.
Ces propos ont eu pour effet d’alimenter les craintes d’un retour massif de l’inflation, mais qu’en est-il réellement?
Suivant: quels sont les arguments des pro-inflations?
Quels sont les arguments des pro-inflations?
Selon certains analystes les droits de douane proposés par Donald Trump, s’ils sont mis en œuvre, risquent d’aggraver l’inflation plutôt que de l’éliminer, car ils augmenteraient les coûts des produits importés et, par conséquent, les prix pour les consommateurs américains.
Les économistes, y compris les lauréats du prix Nobel, mettent en garde contre le fait que les droits de douane répercutent généralement les coûts sur les consommateurs, ce qui alimente les hausses de prix au lieu de les contenir.
En outre, le projet de Donald Trump d’exercer une influence sur les décisions de la Réserve fédérale pourrait compromettre la capacité de cette dernière à lutter contre l’inflation en créant une pression politique contre les hausses de taux.
Selon un rapport du Peterson Institute for, International Economics, les politiques économiques de Donald Trump, si elles étaient mises en œuvre, entraîneraient une hausse des prix à la consommation plus importante qu’elle ne le serait autrement.
Les tarifs douaniers élevés, les pénuries de main-d’œuvre et l’indépendance compromise de la Fed pourraient faire remonter l’inflation aux niveaux observés lors du pic de la pandémie.
En fin de compte, bien que Donald Trump prétende que ses mesures feront «payer les étrangers», les études suggèrent qu’elles feraient peser une charge disproportionnée sur les consommateurs américains.
Ce que l’histoire nous raconte
Lorsqu’on consulte l’histoire, les conclusions sont quelque peu différentes de la théorie.
En effet, en général, lorsque des droits de douane sont imposés sur des marchandises, ils ont un contrecoup ponctuel sur le prix des importations. À moins qu’il n’y ait des représailles ou une escalade continue des droits de douane, l’augmentation des prix se fera par paliers et s’arrêtera là. L’inflation, comme nous le savons, est une comparaison des prix d’il y a un mois ou d’il y a un an.
Toutes choses égales par ailleurs, une fois qu’un tarif unique est mis en œuvre, au bout d’un mois ou d’un an, le taux de comparaison sera à nouveau nul.
Suivant: les machines à laver
Les machines à laver
Cela peut vous faire sourire, mais c’est un exemple qui a souvent été avancé par les économistes : les tarifs sur les machines à laver!
L’étude de Flaaen, Hortaçsu et Tintelnot (The Production Relocation and Price Effects of US Trade Policy: The Case of Washing Machines) a évalué la manière dont les droits de douane américains sur les machines à laver en 2012 et 2018 ont influencé les prix à la consommation et l’inflation globale, et a finalement constaté que les conséquences sur l’inflation était plus limité que beaucoup ne l’avaient anticipé.
Les droits de douane initiaux de 2012 (alors que Donald Trump n’était pas au pouvoir) et 2018, qui visaient les importations en provenance de Corée du Sud, du Mexique et de Chine, n’ont entraîné que des hausses de prix modestes, car les fabricants ont déplacé leur production vers d’autres pays comme la Thaïlande et le Viêt Nam, contournant ainsi les droits de douane.
Même si les droits de douane de 2018 étaient plus étendus et couvraient presque toutes les sources d’importation, leur influence inflationniste est resté limité, bien qu’il ait été plus élevé que lors des cycles précédents.
Le prix des lave-linge a augmenté d’environ 12% et, étonnamment, les sèche-linge — non taxés, mais souvent achetés avec les lave-linge — ont connu des hausses de prix similaires en raison de la préférence des consommateurs pour des appareils assortis. Malgré ces hausses de prix, l’effet inflationniste global sur les biens de consommation est resté limité, en partie parce que les marques nationales et les producteurs étrangers ont absorbé une partie des augmentations de coûts.
L’étude souligne que les craintes inflationnistes liées aux droits de douane peuvent parfois être exagérées, en particulier lorsque la production peut être délocalisée pour éviter les taxes.
Les effets modestes de l’inflation ont également été favorisés par des facteurs tels que la concurrence sur le marché et l’adaptabilité de la production, des marques comme LG et Samsung construisant des usines aux États-Unis pour éviter les nouveaux droits de douane. Si ces droits de douane ont entraîné une hausse des prix plus importante que prévu pour des articles spécifiques tels que les lave-linge et les sèche-linge, ils n’ont pas eu d’incidence générale sur les indices des prix à la consommation et n’ont pas déclenché d’inflation pour d’autres produits.
Cette retombée nuancée a montré que, bien que les droits de douane aient exercé une pression sur les prix dans des catégories ciblées, leur effet plus large sur l’inflation a été atténué par des réorientations stratégiques de la production et des adaptations du marché.
Dans l’ensemble, si les droits de douane de 2018 ont fait augmenter les prix de certains appareils, leur contribution à l’inflation générale aux États-Unis était loin des scénarios catastrophiques que certains avaient prédits.
Ces droits de douane illustrent la manière dont des politiques industrielles ciblées peuvent stimuler la croissance et l’investissement, en soutenant non seulement l’industrie directe, mais aussi les fournisseurs et les secteurs connexes de l’économie.
Six ans plus tard, il est clair que les droits de douane ont non seulement relancé l’industrie manufacturière américaine, mais aussi renforcée l’industrie des machines à laver, atteignant ainsi les objectifs initiaux de la politique en matière de création d’emplois, de concurrence et de résilience économique.
Suivant: que s’est-il passé lors du premier mandat de Trump?
Que s’est-il passé lors du premier mandat de Trump?
Les données montrent que les conséquences des droits de douane imposés pendant la guerre commerciale de la précédente administration Trump a bien contribué à l’inflation, mais qu’il a été moins important que ce que beaucoup avaient anticipé.
Par exemple, une étude de la Federal Reserve Bank of New York, de l’Université Columbia et de l’Université de Princeton a révélé que les consommateurs américains ont effectivement supporté une partie de l’augmentation des coûts des droits de douane, en particulier sur les importations en provenance de Chine.
Toutefois, ces augmentations de prix étaient généralement limitées à certaines catégories de biens plutôt qu’à l’économie dans son ensemble, ce qui a entraîné une augmentation annuelle moyenne des coûts d’environ 400 à 500 dollars par ménage. Il s’agit d’une augmentation notable, mais qui n’a pas entraîné une inflation substantielle et généralisée.
En 2018 et 2019, l’inflation globale aux États-Unis est restée relativement faible, autour de 1,9% et 2,3% respectivement, alors même que des droits de douane ont été appliqués sur des importations d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.
L’effet inflationniste modeste s’explique en partie par le fait que de nombreuses entreprises ont absorbé certains coûts tarifaires pour maintenir des prix compétitifs, ce qui a réduit la répercussion directe sur les consommateurs. En outre, la force du dollar américain a contribué à compenser certains coûts d’importation, car elle a rendu les biens importés relativement moins chers, même avec les droits de douane.
D’autres rapports d’organisations telles que le Fonds monétaire international et la Tax Foundation ont montré que si les droits de douane ont légèrement augmenté les prix dans des secteurs spécifiques (comme l’électronique grand public et les appareils électroménagers), ils n’ont pas entraîné de hausse générale des prix.
Et si tout n’était qu’une question de négociation? Les répercussions de la mise en place de taxes d’importation sont bien évidemment théoriques et l’on peut pérorer sur le sujet durant de nombreux mois. Cependant, il y a 2 éléments dont il faut tenir compte lorsqu’on parle de potentielles taxes douanières :
- L’inflation est l’ennemi de Trump : les analystes estiment que les erreurs économiques commises par l’administration Biden, notamment en matière d’inflation, ont contribué au retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Les sondages effectués à la sortie des urnes révèlent que le mécontentement des électeurs à l’égard de l’économie a joué un rôle clé, puisque près de 70% de ceux qui jugeaient l’économie négative ont soutenu Donald Trump. Malgré les avertissements, le plan de relance de Biden pour 2021 a alimenté l’inflation, poussant les prix plus haut que prévu. En outre, le choix de Joe Biden de maintenir la plupart des tarifs douaniers de l’ère Trump a manqué une occasion de réduire les prix des biens de consommation, ce qui a accentué les pressions inflationnistes. Le nouveau président est tout à fait au courant que l’inflation pourrait lui faire perdre son actuelle cote de popularité et potentiellement les élections de mi-mandat dans 2 ans. Pour cette raison, il est raisonnable de penser que la nouvelle administration pourrait ne pas être trop agressive.
- La menace comme moyen de négociation : Donald Trump a toujours utilisé les menaces comme stratégie clé dans les négociations, créant souvent des situations d’«otages» politiques pour obtenir des concessions. En menaçant de mettre fin à des accords tels que l’ALENA et l’accord sur le nucléaire iranien comme le rappel CNN, il a cherché à tirer parti de la crainte des autres parties d’être perturbées pour obtenir des avantages. Sur le plan intérieur, il a utilisé des tactiques similaires, mettant fin ou menaçant de mettre fin à des programmes tels que les subventions pour le partage des coûts de santé et les protections pour les jeunes immigrés sans papiers, afin de faire pression sur les démocrates pour qu’ils négocient à ses conditions. Cependant, les menaces de Donald Trump l’ont souvent isolé, poussant les alliés traditionnels et même les républicains du Congrès à prendre leurs distances avec son approche. Au niveau international, sa volonté d’abandonner des accords majeurs a affaibli les alliances américaines, comme en témoigne l’opposition unifiée des dirigeants européens à l’accord sur l’Iran et le fait que d’autres pays ont conclu des accords commerciaux sans les États-Unis. En fin de compte, si les menaces de Donald Trump ont créé de l’incertitude et de l’anxiété pour les personnes concernées, elles n’ont souvent pas abouti aux concessions qu’il attendait, renforçant plutôt l’opposition et diminuant l’influence des États-Unis. Cela étant dit, les menaces d’aujourd’hui (sur les tarifs, le nucléaire iranien, l’Ukraine…) sont la «marque de négociation» de Donald Trump afin qu’un (potentiel) compromis soit trouvé. Il devrait en être de même lors de son retour à la Maison-Blanche le 20 janvier…
Synthèse
La première présidence de Donald Trump a été marquée par un style de négociation centré sur les menaces, créant souvent des situations d’«otages» politiques pour atteindre ses objectifs. Son imposition de droits de douane sur les importations, comme les machines à laver, a suscité des craintes d’inflation, mais a finalement eu un contrecoup plus limité que prévu sur les prix en raison des changements de production opérés par les fabricants. Alors que Donald Trump se prépare à un nouveau mandat, une approche fondée sur la menace devrait rester son principal outil de négociation sans pour autant qu’elle soit mise à exécution…