Quel est l’impact réel de la COVID-19 sur la consommation?
Olivier Schmouker|Publié le 09 avril 2020Portes closes depuis des semaines... (Photo: Barthelemy de Mazenod/Unsplash)
CHRONIQUE. Boutiques closes, chaînes de magasins fermées, galeries commerciales cadenassées,… Il est devenu impossible de magasiner depuis que l’économie du Québec a été mise sur pause par le premier ministre François Legault.
Quelle conséquence pour la consommation? Les achats que l’on faisait en magasin se font-ils désormais en ligne? Nos achats ont-ils plutôt fondu, à mesure que notre rythme de vie s’est mis à ralentir? Bref, connaissons-nous, vous comme moi, une mutation de l’homo consumericus que nous étions tous avant la pandémie du nouveau coronavirus?
Scott Baker est professeur de finance à l’École de management Kellogg à Evanston (États-Unis). Avec l’aide de quatre autres chercheurs – R.A. Farrokhnia, Steffen Meyer, Michaela Pagel et Constantine Yannelis -, il a signé la toute première étude sur l’impact de la COVID-19 sur la consommation des Américains. Celle-ci est intitulée «How Does Household Spending Respond to an Epidemic? Consumption During the 2020 COVID-19 Pandemic». Et il en ressort que l’impact a été… carrément dévastateur!
Les cinq chercheurs ont eu accès aux dépenses effectuées par un échantillon représentatif des consommateurs américains à l’aide de leurs cartes bancaires. À toutes leurs dépenses effectuées depuis 2016 jusqu’à aujourd’hui (très précisément, jusqu’à la fin de mars 2020). L’idée était on ne peut plus simple : regarder si la consommation avait connu des modifications significatives depuis que nos voisins du Sud ont réalisé qu’ils étaient frappés de plein fouet par la pandémie.
Résultats? Tenez-vous bien avant de lire ce qui suit:
(Source: «How does household spending…»; Scott Baker, etc.; 2020)
– D’abord, un bond spectaculaire. Dans un premier temps, les dépenses ont connu un «bond spectaculaire». C’est que les Américains se sont rués vers les biens de première nécessité (ex.: le fameux papier de toilette, mais aussi la farine, les pâtes alimentaires, etc.), et ont alors dépensé quasiment sans compter, en se disant qu’il valait mieux acheter maintenant que de souffrir de pénurie un peu plus tard. Entre le 26 février et le 11 mars, le bond a été de 50% par rapport à la même période de temps en 2019.
– Ensuite, une chute abyssale. Après ça, les dépenses des Américains se sont mises à fondre comme neige au soleil. En l’espace de trois semaines, elles ont tout bonnement chuté de 80%. Oui, vous avez bien lu, 80%. Comme s’ils avaient quasiment arrêté de consommer quoi que ce soit d’autre que les biens nécessaires à la survie.
– Le cas symptomatique de la restauration. Quand on regarde les données un peu plus en détail, on note par exemple que les dépenses en restauration ont reculé du tiers en mars, d’une année sur l’autre; ce qui est énorme pour les Américains. Nombre d’entre eux étant récalcitrants à faire la cuisine eux-mêmes, ils ont continué à commander au volant et à se faire livrer à domicile, mais nettement moins que d’habitude.
– Un véritable effondrement. De manière générale, les cartes bancaires servent à présent beaucoup moins qu’auparavant. Entre le début et la fin de mars, le montant des dépenses effectuées par carte bancaire est quasiment quatre fois moindre. Oui, vous avez toujours bien lu, quatre fois moindre.
Ce qui signifie que les ventes en ligne, même si elles ont vraisemblablement augmenté par rapport à d’habitude – l’étude n’aborde pas ce point -, n’ont pas pris le pas sur les achats en magasin. Loin de là. En vérité, on assiste purement et simplement à un effondrement généralisé de la consommation.
Bien entendu, certaines nuances s’imposent. Tous les États n’ont pas imposé les mêmes mesures de confinement, ni même pris ce type de décision en même temps. Et tous les Américains n’ont pas le même profil de consommation. Voilà pourquoi les cinq chercheurs ont creusé certains points précis à ce sujet:
– Un vent de panique chez les Républicains. Longtemps, les Républicains ont ignoré le danger que pouvait représenter le nouveau coronavirus. Un sondage mené par Axios entre le 5 et le 9 mars a révélé que 62% des Républicains pensaient en effet que la menace de la COVID-19 était «grandement exagérée», tandis que 31% des Démocrates pensaient la même chose. Mais le jour où le péril a sauté au visage des Américains, ce sont les Républicains qui ont paniqué : ce sont surtout eux qui se sont précipités sur les rouleaux de toilette et autres biens de première nécessité, de peur d’être coincés par une prochaine pénurie. Et ce, quel que soit le niveau de revenus du ménage : riches comme pauvres, tous les Républicains ont dépensé tout ce qu’ils pouvaient pour faire des stocks. Ce qui n’a pas été le cas des Démocrates; du moins, pas avec une telle frénésie.
– Les hommes et les jeunes plus sereins. Deux catégories de personnes ont moins paniqué que les autres, en ce sens qu’ils n’ont pas fait des pieds et des mains pour accumuler des stocks de bien en prévision de temps difficiles à venir : les hommes et les jeunes. Leurs habitudes de consommation n’ont guère évolué, en tout cas pas dans la même mesure que les autres. A contrario, la catégorie de gens la plus inquiète a été, de toute évidence, les ménages ayant à charge un ou plusieurs enfants; ce qui, on s’entend, n’est pas une surprise.
Voilà. La consommation s’est globalement effondrée chez nos voisins du Sud. Quasiment du jour au lendemain. La situation est si grave que Lawrence Kudlow, le principal conseiller économique de Donald Trump, a déclaré cette semaine que les mesures de confinement devaient impérativement être levées aux États-Unis «dans les prochaines semaines» car «sans ça, le pays se dirige droit vers une récession catastrophique».
Maintenant, qu’en est-il au Québec? L’étude ne le dit pas, ça va de soi, néanmoins on peut parier sans risque de se tromper que la tendance doit être la même, à peu de choses près. Demandez ce qu’ils en pensent aux commerçants et aux entrepreneurs que vous connaissez…
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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