En tenant compte des paramètres et de la trajectoire personnelle de chaque personne immigrante, il y a autant d'individus que de situations financières à la retraite. (Photo: 123RF)
«Tout a un début, tout a une fin», lâche Khadija, sans une pointe de résignation.
En entrant dans la soixantaine, l’enseignante de carrière et de vocation, qui a préféré témoigner anonymement, a décidé de prendre sa retraite, à la fin de l’année scolaire en cours.
Détendue par nature, elle se rassure aussi en prévoyant faire de la suppléance, deux à trois jours par semaine. «La retraite d’aujourd’hui ce n’est plus la retraite d’autrefois […] ce n’est plus une cassure», affirme-t-elle. Selon elle, la manière de vivre et de percevoir la retraite au Canada diffère de son pays d’origine: «Ici, ce n’est pas la fin de quelque chose, c’est juste une autre étape de la vie où on peut faire beaucoup de choses qu’on ne pouvait pas faire avant quand on travaillait à plein temps».
Si elle compte bien maintenir une activité professionnelle «pour ne pas se sentir rouiller», Khadija doit aussi penser à ses finances: arrivée d’Algérie en 2010, d’où elle ne touche pas de retraite, il lui a fallu deux ans pour remettre un pied dans les écoles à titre de suppléante, en attendant ses équivalences. Ce n’est qu’en 2016 qu’elle obtient un poste à temps plein.
Facteurs multiples
Khadija est loin d’être la seule dans cette situation. Au Québec, plus de 235 000 personnes immigrantes ont plus de 65 ans, selon les données du recensement de 2021.
«La planification financière de la retraite est toujours plus aisée, plus on commence tôt», affirme Philippe Guèvremont, directeur par intérim chez Retraite Québec. Or, le «parcours de vie des personnes immigrantes fait en sorte qu’elles se retrouvent parfois, un peu involontairement, à commencer plus tard que les autres».
Certains arrivent en effet avec une carrière bien entamée dans leur pays d’origine ou dans un pays tiers. D’autres sont ralenties par le processus de reconnaissance des diplômes et des acquis, ou encore par les délais liés à l’adaptation et à l’installation.
Même si elle trouve du travail rapidement, une personne immigrante n’aura pas forcément un emploi rémunéré à la hauteur de ses compétences, souligne Corinne Béguerie-Goddaert, professionnelle de recherche.
«Il y en a qui envoient de l’argent dans leur pays d’origine à leur famille qui est restée au pays et qui a des problèmes financiers », ajoute-t-elle, expliquant que cet argent « ne peut pas être mis dans un fonds de retraite, dans un [régime enregistré d’épargne-retraite] REER».
Entre la théorie et les faits
Tous ces facteurs contribuent, d’après Corinne Béguerie-Goddaert, à la «vulnérabilisation financière» des immigrants à la retraite, tandis que de nombreux observateurs pointent du doigt l’appauvrissement des personnes âgées du Québec.
Elle souligne aussi le caractère «intersectionnel» des enjeux entourant la retraite, et rappelle que les femmes immigrantes sont d’autant plus susceptibles de se retrouver dans une situation précaire au moment de la retraite.
Autres populations potentiellement vulnérables, les travailleurs étrangers temporaires cotisent pour une retraite au Québec, mais seraient peu à réclamer leur pension, avance Corinne Béguerie-Goddaert dans les pages du Bulletin de l’Observatoire de la retraite, en 2022. «Il reste cependant à établir si cela est par manque d’information et de soutien pour la rédaction de leur demande, ou si le système n’est pas adapté à leur situation», y écrit-elle encore.
Le système ne serait pas en cause, à en croire Philippe Guèvremont et sa collègue Shanie Lévesque-Baker, conseillère stratégique à Retraite Québec. Car sur papier, dès qu’une personne a 18 ans, gagne plus de 3500$ par année et cotise pour une durée d’un an minimum, elle est éligible à une prestation du Régime des rentes du Québec. Et ce, peu importe son statut migratoire, insistent-ils.
Des revenus moindres à la retraite découlent plutôt de «leur situation particulière», soutient le directeur par intérim.
La retraite, c’est pour plus tard
Les ressortissants d’une quarantaine de pays bénéficient d’ententes de sécurité sociale avec Retraite Québec, permettant notamment d’arrimer leur fonds de pension québécois avec celui de leur pays d’origine. Au niveau fédéral, la pension de la Sécurité vieillesse ne dépend pas de la durée de la participation au marché du travail, mais de la durée du séjour au Canada.
En tenant compte de ces paramètres et de la trajectoire personnelle de chaque personne immigrante, il y a autant d’individus que de situations financières à la retraite.
Dans tous les cas, Shanie Lévesque-Baker invite les immigrants à «maximiser les programmes gouvernementaux» et à rester le plus longtemps possible sur le marché du travail, afin de bonifier leur pension.
L’âge moyen de départ à la retraite pour les immigrants est supérieur de deux ans à celui des natifs, d’après une étude parue en 2023. S’il confirme une participation plus longue des immigrants au marché du travail, Philippe Guèvremont assure ne pas détenir de données qualitatives sur les raisons derrière cet écart.
Justement, Khadija ne fait pas trop de mauvais sang: elle sait qu’en cas de difficulté financière, il risque d’y avoir une place pour elle sur le marché du travail.
Un texte d’Adèle Surprenant, Initiative de journalisme local