(Photo: Austin Distel pour Unsplash.com)
EXPERT INVITÉ. Le désengagement des grands fonds institutionnels comme les caisses de retraite serait-il responsable de la morosité du capital de risque au Canada?
Le cofondateur de CMD Capital Matt Roberts se pose la question dans un blogue très complet intitulé «Qui a tué le capital de risque au Canada?». Je partage avec vous quelques points ci-bas.
Alors que l’on désire toujours créer plus d’entreprises innovantes et de leaders de l’économie de demain, c’est un titre qui a de quoi surprendre.
Matt Roberts commence son développement en citant le poids de l’investissement institutionnel dans la croissance de nos jeunes pousses et particulièrement de l’Office d’investissement du régime des pensions du Canada (OIRPC).
Or, ce dernier et bien d’autres priorisent le rendement des retraites de leurs contributeurs et cherchent de plus en plus des rendements supérieurs sur les marchés mondiaux.
Alors que la portion canadienne des investissements requis de l’OIRPC était de 80% en 1997, elle est passée à 70% en 2003 puis n’a cessé de baisser jusqu’à la disparition complète de cette règle sur l’investissement à l’étranger en 2005. Elle avait pourtant été introduite par Trudeau, père, et fixée à 90% pour pouvoir bénéficier d’une exemption fiscale.
En mars dernier, de nombreux dirigeants de grandes entreprises canadiennes ont publié une lettre à l’intention de la ministre fédérale des Finances et vice-première ministre Chrystia Freeland sur la nécessité d’investir dans les entreprises canadiennes et de rétablir une règle qui favorise des engagements financiers au pays.
Le problème est qu’il n’y pas de consensus sur le résultat entre investir 100% sur les marchés mondiaux ou avoir un seuil minimal d’investissement de nos investisseurs institutionnels dans nos entreprises d’ici. Une chose est sûre cependant, le coût du capital est plus élevé pour nos entreprises dans le premier cas.
Le Québec est relativement chanceux
De nombreux investisseurs institutionnels se sont retirés du marché canadien du capital de risque comme le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario qui a d’ailleurs eu la même approche que l’OIRPC au début des années 2000. Toutefois, le Québec est allé à contre-courant.
La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) a pour mission de maximiser ses revenus en investissant dans l’économie d’ici. Et elle le fait. Le Fonds de solidarité FTQ également.
Le problème est que la CDPQ et le Fonds de solidarité à eux seuls ne peuvent pas compenser pour le désengagement massif des autres fonds.
À la suite de la disparition de la règle sur les investissements à l’étranger, le mal était fait. Le mécanisme de l’offre et de la demande est impitoyable et une baisse de l’offre de financement entraîne inévitablement un pouvoir de négociation moindre pour les entreprises, et surtout nos jeunes pousses.
Par exemple, dès 2008, seulement 4% des transactions en capital de risque étaient réalisées par des fonds d’investissement canadiens. En comparaison, 64% venaient de fonds étrangers. Le reste provenait de fonds étatiques et d’entreprises.
Une dépendance envers l’État
Matt Roberts suggère que ce désengagement explique pourquoi certaines industries comme celui de la technologie sont devenues dépendantes aux fonds gouvernementaux.
En 2023 par exemple, trois des cinq plus grands investisseurs étaient des agences gouvernementales à savoir la Banque de développement du Canada (BDC), Investissement Québec (IQ) et Développement économique Canada (DEC).
On est aussi à l’opposé de la réalité américaine, qui dispose d’un bassin important de fonds d’investissements et de grandes entreprises pour financer des projets plus risqués.
Cela se répercute sur le capital disponible par habitant et sur la productivité qui sont constamment sous les moyennes d’États comparables.
On le voit d’ailleurs pour les investissements en capital au Canada qui étaient inférieurs à la moyenne de l’OCDE en 2022 et qui étaient près de la moitié de ceux réalisés aux États-Unis selon l’étude intitulée «Decapitalization: Weak Business Investment Threatens Canadian Prosperity» de l’Institut C.D. Howe.
Ce rapport blâme en partie la réglementation dans le pays tandis que Matt Roberts pointe les fonds institutionnels en comparant la raréfaction de leurs investissements au Canada à travers le temps et l’évolution du total des investissements en capital réalisés en y ajoutant la productivité par habitant.
Force est de constater que le lien est assez frappant.
Peut-être a-t-il identifié qui a tué le capital de risque au Canada?