Recherche collaborative: pour une innovation à valeur ajoutée
François Normand|Édition de la mi‑mai 2019Dans pratiquement tous les secteurs, des entreprises d’ici ont fait de la recherche collaborative. Même certaines PME en phase de précommercialisation y ont recours.
SPÉCIAL 500: LA R-D. Patrick Couture, vice-président au développement des affaires du Groupe Sani Marc, voit la recherche collaborative dans sa soupe. Comme de nombreuses entreprises, la PME de Victoriaville a décidé d’externaliser une partie de ses activités de R-D, en travaillant avec des institutions d’enseignement de Trois-Rivières pour tenter de commercialiser deux innovations. Une formule qui lui permet de sauver temps et argent.
«En plus de nous ouvrir de nouveaux horizons, cette formule de partenariat pour faire de la recherche nous permet d’économiser de 300 000 $ à 400 000 $ par année», affirme le dirigeant de l’entreprise qui offre des solutions d’assainissement partout au Canada.
Affichant des revenus de plus 200 millions de dollars, Sani Marc est active dans les secteurs de l’agroalimentaire, des piscines et des spas, des équipements ainsi que des institutions (écoles, hôpitaux) et des grandes entreprises. La société travaille sur ces deux projets en étroite collaboration avec l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et Innofibre, et le Centre collégial de transfert technologique (CCTT) du Cégep de Trois-Rivières.
Le premier projet consiste à récupérer les eaux usées d’industries et de les laisser reposer dans un bassin afin de produire des algues. Ce processus permet d’en tirer du surfactant, une matière qui sert à fabriquer du savon.
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Le second projet vise à fabriquer des produits désinfectants à base d’écorce d’épinette noire, et ce, à partir de l’utilisation de sous-produits de l’industrie forestière dans la région du Lac-Saint-Jean.
Sani Marc travaille avec les deux institutions d’enseignement depuis quelques années. D’ailleurs, sans cette collaboration, la PME n’aurait pas pu se lancer dans cette aventure étant donnée l’envergure des projets, confie M. Couture. «Dans notre quotidien, on est dans l’action, la commercialisation. Cette démarche nous permet de faire de la recherche fondamentale, tout en continuant de faire des affaires», dit l’entrepreneur.
Pourquoi impartir sa R-D
Si cette stratégie de collaboration avec des universités, des cégeps ou des organismes spécialisés, comme le Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ), n’est pas nouvelle, elle est de plus en plus populaire auprès des entreprises, affirment plusieurs acteurs de cet écosystème interviewés par Les Affaires.
Les données du ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI) confirment qu’il existe actuellement des liens importants entre les sociétés et les universités. Ainsi, en 2016 (les données les plus récentes), les entreprises payaient 7,1 % du financement de la recherche en enseignement du Québec, plaçant ainsi la province au 4e rang au Canada en ce qui a trait à la recherche collaborative.
Si le Québec est sous la moyenne canadienne (7,9 %), il est par contre largement au-dessus de la moyenne de 5,8 % des 36 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dans ce club des pays industrialisés, l’État québécois figure au 13e rang, devant de grandes économies comme le Royaume-Uni, la France et même les États-Unis.
Au Québec, le secteur de l’aérospatiale de la grande région de Montréal a été un précurseur dans la recherche collaborative avec les Bombardier Aéronautique et autres Safran (un équipementier français) de ce monde, il y a de cela une quinzaine d’années.
«La R-D est devenue l’axe principal de la grappe montréalaise pour se démarquer dans le monde», souligne Julien Caudroit, directeur des communications du Consortium de recherche et d’innovation en aérospatiale au Québec (CRIAQ).
Dans pratiquement tous les secteurs de l’économie, des entreprises aussi variées qu’Hydro-Québec et Biscuits Leclerc ont fait de la recherche collaborative. Même certaines PME en phase de précommercialisation y ont recours.
Cela dit, la crainte de partager des secrets industriels, voire de se faire voler de la propriété intellectuelle, peut refroidir l’ardeur de certaines sociétés à s’associer à d’autres partenaires pour faire de la R-D. En effet, dans certains projets, des entreprises sont appelées à collaborer avec d’autres entreprises, parfois mêmes concurrentes. Le défi est de partager de l’information, sans toutefois ouvrir complètement son livre de recettes.
C’est notamment le cas de la montréalaise ODS Medical. Celle-ci a conçu une sonde médicale avec Optech, un CCTT du Cégep de La Pocatière qui développe des produits en optique et photonique appliquées.
Innovation de qualité
Les entreprises font de la recherche collaborative, car celle-ci procure plusieurs avantages, à commencer par une innovation de qualité ou une plus grande valeur ajoutée.
«Ça leur permet de développer des produits plus innovants et compétitifs, tout en étant des organisations plus performantes», dit Paulette Kaci, vice-présidente de Synchronex, qui regroupe la soixantaine de CCTT situés aux quatre coins du Québec.
Bien entendu, des entreprises innovent chaque jour, en développant de nouveaux produits ou en améliorant ceux qu’elles vendent sur le marché. Cependant, la recherche collaborative permet d’aller beaucoup plus loin, selon Paule de Blois, PDG de Sovar, une société qui valorise la recherche universitaire. «Cette démarche permet d’avancer à pas de géant sur le plan de l’innovation», dit-elle. Pourquoi ? Parce qu’elle donne la possibilité, par exemple, à une PME d’avoir accès à «plusieurs cerveaux» en même temps, indique Jacques Simoneau, PDG d’Univalor, une société de valorisation de la recherche. «Si on reste seul dans un coin, on est restreint en matière de ressources», dit-il en soulignant que bénéficier d’un bassin de plusieurs chercheurs accroît les chances de succès des entreprises dans leur processus d’innovation.
Au 30 juin 2018, les partenariats dans lesquels Univalor était impliquée avaient généré 105 déclarations d’inventions et mené à la création de 8 nouvelles entreprises ou organismes à but non lucratif.
La recherche collaborative soulève aussi un enjeu de coût, explique François Gingras, directeur des équipements industriels et productivité au CRIQ, à Québec. «Si une entreprise fait sa R-D seule, le coût de sa recherche sera plus élevé.»
Par exemple, un projet typique pour le manufacturier intelligent ou 4.0 peut regrouper une université, un centre de recherche spécialisé, le CRIQ et près d’une dizaine d’entreprises.
«Les fonds versés par chacun des partenaires pour financer cette recherche sont plus élevés que ceux qu’aurait pu amasser une entreprise si elle avait voulu le financer», fait-il remarquer.
Hugues Doucet, directeur du Bureau de liaison entreprise-université à l’UQTR, souligne que la mutualisation du financement des projets est une démarche intéressante étant donné les caractéristiques de l’éco- nomie québécoise. «Au Québec, nous avons un tissu de PME, et peu d’entre elles peuvent se payer un service de R-D», illustre-t-il.
Règle générale, chaque dollar investi par une entreprise permet d’aller chercher de 3 $ à 4 $ supplémentaires en financement, notamment par des subventions. Ainsi, si une entreprise participe à un projet de 400 000 $, elle ne déboursera que 100 000 $.
La recherche collaborative peut aussi donner un coup de pouce aux entreprises qui pâtissent de la pénurie de main-d’oeuvre, selon Luc Sirois, le PDG de Prompt, une société qui fait le pont entre les entreprises et les institutions de recherche dans les TIC.
«Nous faisons face à une pénurie de main-d’oeuvre sans précédent. La recherche collaborative, c’est accéder à une mine de talents et à de nouvelles technologies pour propulser nos produits et notre entreprise dans le peloton de tête.»
Complexité et fragmentation
Malgré ses avantages, l’écosystème de la recherche collaborative, au Québec, fait face à plusieurs défis de taille, à commencer par sa complexité et sa fragmentation.
On y retrouve plus de 250 programmes et plus de 150 organismes publics ou privés d’aide aux entreprises, selon le réseau QuébecInnove, un organisme qui a le mandat de fédérer cette offre. «Il faut simplifier l’accès pour les entreprises afin de stimuler l’innovation», explique sa PDG Isabelle Foisy. L’idée est de faire de QuébecInnove le guichet unique pour les entreprises québécoises qui désirent faire de la recherche collaborative.
QuébecInnove a un réseau de 14 000 chercheurs à la disposition de toute organisation qui a des besoins en recherche et en innovation, et ce, des PME aux coopératives, en passant par les OBNL et les organisations publiques et parapubliques.
L’organisme est proactif : son nouveau plan stratégique 2019-2024 veut accroître substantiellement la recherche collaborative. «On veut diriger 2 500 entreprises vers le système de l’innovation au cours des cinq prochaines années», dit Mme Foisy. C’est une grosse commande, car cela représente 500 entreprises par année.
Cela dit, l’accès à ce vaste bassin de chercheurs pourrait être un argument fort pour convaincre des entreprises, du moins si l’on se fie à l’expérience de Sani Marc.
«Avant de faire de la recherche collaborative, on avait accès à un seul Ph. D., soit notre directeur de l’innovation, raconte M. Couture. Aujourd’hui, on peut avoir 3, 10, 15 personnes spécialisées qui nous permettent d’avoir de nouvelles idées.»
Les entreprises font de la recherche collaborative, car celle-ci procure plusieurs avantages, à commencer par une innovation de qualité ou une plus grande valeur ajoutée. (Photos : Getty Images)
Quatre manière de faire de la recherche collaborative au Québec
• Mécanismes de collaboration ad hoc : contrats de recherche, chaires de recherche industrielles et certains programmes publics
• Plateformes de recherche partenaire : regroupements sectoriels de recherche industrielle, sociétés de valorisation universitaire, incubateurs et accélérateurs universitaires
• Collaborations internationales de recherche : programmes, missions québécoises à l’étranger, missions étrangères au Québec, ententes de collaboration du Québec avec des pays ou des territoires étrangers
•Stages d’étudiants dans les entreprises : la forme la plus répandue
Source : MEI
La recherche collaborative comporte plusieurs avantages…
• Exposition à de nouvelles idées
• Amélioration du processus d’innovation
• Réduction du cycle d’innovation
• Accès aux meilleurs équipements et technologies
• Partage des risques
• Réduction des coûts
• Effet de levier pour le financement
• Réduction de l’impact de la pénurie de main-d’œuvre
… et quelques inconvénients
• Protection à 100% de la propriété intellectuelle
• Innovation plus rapide pour améliorer des produits ou des procédés existants
• Réduction des coûts d’innovation, car on brevette généralement moins
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