«On s’assure que nos travailleurs sont capables, dans un temps de travail de huit heures, de produire au maximum, sans devoir se déplacer pour poser des questions ou chercher des outils», dit Jean-Denis Toupin, directeur général, Proco. (Photo: courtoisie)
MANUFACTURIER. Le secteur manufacturier fait partie des secteurs où le nombre de postes occupés par des travailleurs âgés de 55 ans et plus a le plus augmenté au Québec entre 2006 et 2023. Cela pose un sérieux problème aux employeurs, car ces employés s’approchent de la retraite.
1. Le défi de l’entrepreneur
Proco, une entreprise spécialisée dans la conception, la fabrication et l’installation de structures métalliques basée à Saint-Nazaire, au Lac-Saint-Jean, connaît bien le phénomène. Cela fait maintenant cinq ans qu’elle jongle avec la difficulté de pallier les départs de ses employés d’expérience dans ses usines où travaillent plus de 250 salariés.
Les stagiaires se font plus rares, les jeunes de la région préfèrent d’autres secteurs aux métiers comme celui de soudeur, constate son directeur général, Jean-Denis Toupin. Auparavant, « on en accueillait à la fin de chaque session trois ou quatre de l’école de formation professionnelle en soudage. On les gardait parfois tous, et ça remplaçait les départs à la retraite », se remémore-t-il.
2. La solution de l’entreprise
En plus de ces millions de dollars investis, Proco a surtout repensé et optimisé la gestion de ses ressources humaines, indique Jean-Denis Toupin. S’inspirant des meilleures pratiques et en suivant les recommandations de ses experts en développement en continu, l’entreprise a même adopté une nouvelle structure hiérarchique.
« On a embauché des gens qui se consacrent maintenant à l’intégration et à la formation de notre main-d’œuvre. Avant, ça passait uniquement par le compagnonnage », raconte-t-il au bout du fil.
Certains sont trilingues afin de parvenir à briser la barrière de la langue avec les travailleurs mexicains, l’apprentissage du français n’étant pas autant aisé pour tous ceux qui viennent leur prêter main-forte.
Nommer plus de chefs d’équipe
Révolue aussi l’époque où un superviseur chapeautait le travail d’une quarantaine de personnes: pour que les connaissances circulent mieux et que tous les ouvriers ne manquent de rien, davantage de chefs d’équipe ont été nommés pour réduire à huit le nombre d’employés à leur charge. « On s’assure que nos travailleurs sont capables, dans un temps de travail de huit heures, de produire au maximum, sans devoir se déplacer pour poser des questions ou chercher des outils », ajoute le patron.
Ils ont ainsi fait le pari qu’en promouvant leurs dix meilleurs employés vers des rôles de leader d’équipe, ceux-ci pourraient élever les capacités de leurs collègues. Pour ce faire, ceux-ci ont eu à suivre des formations afin d’apprendre, d’une part, à transmettre leur savoir et, d’autre part, à comprendre quelles étaient les nouvelles responsabilités qui leur incomberaient.
Ce titre « leur donne la légitimité de partager leurs connaissances plus facilement, mais aussi de cibler qui a besoin d’aide », dit Jean-Denis Toupin.
Force est de constater que la méthode est concluante, dit le dirigeant, mais non pas sans effort au préalable. Tout le travail réalisé en amont était nécessaire, de façon à ce qu’ajouter une tâche de supervision à ses meilleurs acteurs sur le plancher n’ait pas l’effet inverse. « On l’observe dans le nombre d’heures de soudage qu’on fait dans une journée. On a fini par gagner cette productivité dans le temps. »
S’entraider entre compétiteurs
Malgré tout, Proco doit parfois sous-traiter certaines tâches à ses pairs moins occupés pour parvenir à livrer ses projets. La pratique n’est pas nouvelle, concède le président de l’entreprise, qui remarque toutefois qu’elle gagne en efficacité.
Comme si, confrontées à l’adversité et au mince bassin d’ouvriers accessibles, ces quelques organisations au Québec qui accomplissent ce genre de mandats se serrent les coudes. « On se parle de plus en plus [à cause de la pénurie de main-d’œuvre]. Les sept entreprises qui font le même genre de produits que nous, on les connaît et on est en contact avec elle. Quand elles ont de la disponibilité, on les appelle et on leur rend la pareille, dit-il. C’est d’autant plus utile de nos jours. »
Malgré ce florilège d’initiatives, le dirigeant ne se repose pas pour autant sur ses lauriers. Tenter de déjouer les conséquences du peu de talents disponibles sur leur productivité est un travail en constante évolution, rappelle Jean-Denis Toupin.
Investissez dans vos employés!Aux organisations dont les profits battent de l’aile, l’investissement dans la formation de vos employés pourrait bien vous être salutaire. En effet, si 40 % des entreprises manufacturières de la province sont parvenues à augmenter leur rentabilité entre 2022 et 2023, c’est en partie grâce aux gains de productivité de leurs salariés, apprend-on dans la 15e édition du Baromètre industriel québécois de Sous-traitance industrielle Québec (STIQ). L’an dernier, l’étau du manque de la pénurie de main-d’œuvre se serait quelque peu desserré, rapporte-t-on dans le document paru le 15 mai 2024. D’après STIQ, 48 % des organisations ont même bonifié d’au moins 5 % la taille de leur équipe, un sommet depuis 2009. Les employeurs ne sont toutefois pas au bout de leurs peines, prévient Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ). Une vague de départs à la retraite s’apprête à déferler sur le secteur d’activité où 27 % des postes, en 2023, étaient pourvus par des travailleurs de 55 ans et plus. La relève, quant à elle, manque à l’appel, et les ouvriers de moins de cinq ans d’ancienneté sont difficiles à fidéliser, indique la dirigeante. D’où l’importance d’avoir des employés bien formés afin de les rendre plus productifs, leur permettre de mieux collaborer, mais aussi d’encourager l’investissement vers l’automatisation, a mis en évidence à l’automne 2023 l’Institut du Québec dans son rapport intitulé « Former pour mieux performer. Analyse sur les enjeux du secteur manufacturier » commandé par MEQ. « Il y a un cercle vertueux entre les changements technologiques et le développement de la main-d’œuvre », dit le professeur titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, Jean Charest. |