(Photo: 123RF)
ANALYSE. Jusqu’à quel point le destin Evershed, Financière Nationale, président- PDG, d’une entreprise peut-il reposer sur une seule personne ? On peut se poser la question en constatant l’accueil triomphal reçu par Brian McManus après sa nomination à titre de président-directeur du conseil d’administration d’Uni-Sélect (UNS, 12,74 $). Le jour de l’annonce, l’action du distributeur de pièces automobiles a bondi de 24 %. Benoit Poirier, de Desjardins Marché des capitaux, résume bien l’enthousiasme du marché en parlant d’un «point tournant»qui permettra de créer de la valeur pour les actionnaires.
Il faut dire que l’ancien PDG de Stella-Jones (SJ, 51,24 $) jouit d’une excellente réputation dans le monde des affaires et de l’investissement. Sa feuille de route à la tête de son précédent employeur est impressionnante, juge Nauman Satti, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne. De 2001 à 2019, les revenus du fabricant de traverses de chemin de fer sont passés de 88 millions de dollars (M$) à 2 milliards (G$) grâce à sa stratégie d’acquisition. Durant cette même période, le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) a progressé à un rythme annuel moyen de 25 %. Son expertise en fusion-acquisition pourrait être un atout pour Uni-Sélect. Zachary Evershed, de la Financière Banque Nationale, croit que la création d’un poste de président-directeur du conseil en soutien au PDG, Brent Windom, permettra d’«ajouter une couche de développement stratégique sans déconcentrer la direction de l’attention qu’elle porte sur les opérations en déterminant les endroits où des améliorations peuvent être apportées.»
Le mythe du sauveur
Sans faire ombrage au talent de Brian McManus, un investisseur devrait toujours faire appel à son esprit critique par rapport aux histoires de PDG à la touche magique. Notre cerveau tend à interpréter les événements à la lumière des gestes des individus. Les histoires de dirigeants talentueux dont le génie aura permis de créer de la richesse nous fascinent. Or, le monde est plus complexe et on ignore souvent les autres facettes de l’histoire, que ce soit les actions des concurrents, les événements macroéconomiques ou tout simplement le hasard.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’une nomination suscite des espoirs chez Uni-Sélect. En 2014, l’entreprise de Boucherville avait recruté Henry Buckley en tant que chef de l’exploitation pour donner un second élan à sa stratégie. Riche d’une expérience de 30 ans dans la distribution industrielle, le vétéran jouissait d’une bonne réputation et a été promu PDG l’année suivante. «Il n’y a pas de doute que M. Buckley soit plus énergique que le président précédent [Richard Roy]», commentait Leon Aghazarian, qui était analyste à la Financière Banque Nationale à l’époque, dans Les Affaires en 2016. En 2018, la société annonce le départ subit du PDG et demande l’aide de la banque américaine JP Morgan afin de procéder à un examen stratégique, qui n’aboutira finalement pas à la vente de l’entreprise.
Les cyniques auront tort de conclure que les personnes à la tête d’une organisation ne pèsent aucunement dans la balance. Bien que la définition de ce qu’est un bon gestionnaire puisse être matière à débat, les études sur le sujet tendent à montrer qu’un bon PDG augmente les probabilités de succès, note Daniel Kahneman, professeur de psychologie à l’université de Princeton et lauréat d’un prix Nobel en économie, dans son livre Système 1, Système 2. Les deux vitesses de la pensée. La corrélation serait toutefois beaucoup moins forte que l’attention qu’on accorde aux histoires de succès personnels.
Série de facteurs
Avant même l’entrée en scène de Brian McManus, la société semblait sur une bonne lancée, s’entendent pour dire les cinq analystes qui la suivent. C’est d’ailleurs un événement incontrôlable, la pandémie, qui a donné l’occasion d’accélérer certains changements stratégiques.
Après avoir géré ses coûts dans l’urgence au printemps 2020, Uni-Sélect a lancé son «plan d’amélioration continue»en juin afin d’optimiser ses activités. Zachary Evershed salue d’ailleurs le travail de l’équipe en place. Il estime que la société a maintenant une stratégie claire pour ses trois divisions:Produits automobiles Canada, FinishMaster aux États-Unis et Parts Alliance au Royaume-Uni. Malgré le rebond récent du titre, celui-ci est peu cher par rapport à son historique, un autre élément qui augmente les chances de réussite. Jonathan Lamers, de BMO Marchés des capitaux, souligne que l’action s’échange à 5,9 fois le ratio valeur d’entreprise/BAIIA tandis qu’elle s’est échangée dans une fourchette de 6 à 10 fois dans le passé. Les comparables, pour leur part, se situeraient entre 8 et 12 fois, ajoute-t-il. La société doit aussi composer avec son lot de défis, poursuit Jonathan Lamers. Une attention particulière devra être portée à la réduction de la dette. À la fin du quatrième trimestre, la dette nette représentait 4,2 fois le BAIIA ajusté. La bonne nouvelle est que les flux de trésorerie font preuve de résilience, ce qui donne une certaine flexibilité. Le consensus des analystes anticipait que la société brûlerait près de 12 M$US en liquidité au quatrième trimestre. Elle a plutôt enregistré des flux de trésorerie positifs de 15,8 M$US, note Daryl Young, de Valeurs mobilières TD. Au besoin, la société peut accéder à 285 M$US en liquidité. La direction croit qu’elle n’aura pas de difficulté à remplir les conditions de ses créanciers en 2021.
Même si les activités de FinishMaster s’améliorent, celles-ci continuent de peser sur les résultats de l’entreprise. Le confinement a eu pour effet de réduire le trafic routier et, par le fait même, les collisions. Les ventes du principal distributeur de peinture pour carrossiers aux États-Unis ont diminué de 22 % au quatrième trimestre. Les activités semblent en voie de se stabiliser, mais la reprise pourrait être longue, tandis que la direction a dit à Zachary Evershed qu’elle ne l’attendait pas avant l’horizon 2023-2025.
Il faut donc prendre l’arrivée de Brian McManus comme une bonne nouvelle. L’investisseur averti ne doit toutefois pas perdre de vue les autres facteurs qui influeront sur les probabilités de succès d’Uni-Sélect.