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Dominique Beauchamp

La Sentinelle de la Bourse

Dominique Beauchamp

Analyse de la rédaction

RELIRE: L’union Rogers-Shaw pourrait avoir un effet domino

Dominique Beauchamp|Publié le 16 mars 2021

RELIRE: L’union Rogers-Shaw pourrait avoir un effet domino

(Photo: 123RF)

L’union potentielle entre les deux entreprises familiales fait partie du folklore de Bay Street depuis belle lurette, mais l’offre de Rogers (RCI.B, 49,56$) pour Shaw (SJR.B, 33,85$) a tout de même pris les analystes de court.

Rogers se faufilerait au deuxième rang canadien, avec des revenus de 19 milliards de dollars, derrière BCE (BCE, 55,90$), mais devant Telus (T, 26,22$).

Il faut dire que l’offre de 26 milliards de dollars survient peu après l’échec des avances de Rogers pour Cogeco Communications (CCA, 119,78$) l’automne dernier. Rogers détient toujours ses actions de Cogeco et n’a pas précisé ce qu’elle compte faire de ces actions d’une valeur totale de 1,88 milliard de dollars.

Bay Street spécule périodiquement sur l’union de Rogers et de Shaw depuis presque trois décennies, se souvient Patrick Horan gestionnaire d’Agilith Capital, mais encore plus depuis que Québecor (QBR.B, 34,14$) a surenchéri à l’offre de Rogers en 2000 pour mettre la main sur Vidéotron, privant ainsi Rogers de ses ambitions nationales.

Déjà à l’époque, Rogers et Shaw avaient échangé des actifs et avait conclu une alliance pour le service internet. Shaw avait alors obtenu des réseaux de câble de Rogers en Colombie-Britannique alors que Rogers avait mis la main sur ceux de Shaw au Québec et en Ontario.

Vingt-et-un an plus tard, les fiançailles se confirment bien qu’un mariage exige l’approbation des autorités de la concurrence. Le processus de 9 à 12 mois explique pourquoi l’action de Shaw se négociait 16,4% sous l’offre de 40,50$ par action de Rogers, le 15 mars.

 

De longues fréquentations

Depuis des années, les analystes répètent qu’une union n’était qu’une question de temps. Il devenait de plus en plus anachronique à leurs yeux que le petit marché canadien ne compte aucun fournisseur intégré véritablement national alors que l’industrie américaine se consolide depuis des décennies malgré un marché dix fois plus grand.

En février 2014, les câblodistributeurs américains Comcast (CMCSA, 57,30$US) et Time Warner Cable ont fusionné tandis qu’en avril 2020 T-Mobile (TMUS, 124,65$US) et Sprint ont officiellement uni leurs forces après deux ans d’examen réglementaire. À chacune de ces deux occasions, la spéculation au sujet de Rogers et de Shaw avait refait surface.

Les dépenses pour mettre à niveau les réseaux et offrir le 5G tant aux consommateurs qu’aux entreprises ne cessent d’augmenter alors que l’Internet des objets requerra aussi de nouveaux investissements, plaident les fournisseurs.

Le décès du fondateur de Shaw, JR Shaw en mars 2020, et surtout celui de son fils ainé Jim Shaw à l’âge de 60 ans, en janvier 2018, ont sans doute facilité le rapprochement final entre les deux parties.

En janvier, Drew McReynolds, de RBC Marchés des capitaux, avait consacré son premier rapport de 2021 aux transactions potentielles qu’il voyait s’étaler entre 2022 et 2025 en raison des pressions sur l’industrie: le câble de base perd des clients tandis que les forfaits sans-fil de données érodent les marges du cellulaire.

L’offre de Rogers pour Shaw devance la parade et pourrait déclencher un effet boule de neige si les autorités réglementaires obligeaient Rogers à revendre des actifs pour assurer que quatre concurrents sans-fil s’affrontent dans chaque marché.

Bien qu’il comprenne la logique des économies d’échelle qu’offre un réseau presque pan-canadien et le potentiel d’offrir des forfaits de quatre services partout au pays, Adam Shine, de la Financière Banque Nationale, se dit surpris que Rogers agisse maintenant. 

Après tout, l’offre survient au moment où le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) s’apprête à déposer les recommandations de son examen sur l’industrie sans-fil qui pourrait forcer les fournisseurs établis à partager leur réseau avec des revendeurs. Les prochaines enchères de licences sans fil, nécessaires aux nouveaux services 5G, se tiendront aussi en juin et pourraient coûter 3 G$ aux fournisseurs.

«Rogers préférerait d’acheter Shaw en entier, mais semble prête à assumer le risque réglementaire et à accepter la médecine que lui imposerait les autorités», croit Adam Shine.

Ces dernières années, le câblodistributeur Cogeco a maintes fois manifesté son intérêt pour ajouter le service sans-fil aux forfaits de ses clients à l’aide du modèle mobile virtuel si les mesures réglementaires s’avéraient favorables. L’action de Cogeco a gagné 1,8%, le 15 mars.

«Si la transaction se réalise sans désinvestissement sans-fil, tous les fournisseurs en bénéficieraient (de la disparition d’un rival). Si les autorités exigeaient la revente de Freedom Mobile (ou de licences sans fil), Québecor serait en avant de la queue», écrit Aravinda Galappatthige de Canaccord Genuity.

L’action de Québecor s’est appréciée de presque 3% le 15 mars.

 

Une union payante

L’analyste de Canaccord Genuity voit l’union d’un bon œil, dans une note titrée «Enfin», même si l’on ignore si Rogers devra revendre la filiale sans fil de Shaw, Freedom Mobile.

Rogers a promis de ne pas relever les tarifs de Freedom Mobile pour au moins trois ans, mais il est loin d’être sûr que ça soit suffisant pour satisfaire les autorités qui veulent plus de concurrence et plus de rabais.

Lors de l’achat de Manitoba Tel en 2016, BCE avait dû revendre une portion des abonnés sans-fil à Telus et Xplornet, rappelle l’analyste.

La transaction serait rentable dès la première année bien que les synergies prévues prendront deux ans, indique aussi Aravinda Galappatthige.

Après les synergies, Rogers paie 7 fois le bénéfice d’exploitation pour le câble et de 11 fois pour le sans-fil, un prix «raisonnable», étant donné les forts «bénéfices stratégiques» de l’union, dit-il. Rogers estime les économies initiales à un milliard de dollars, dont 55% la première année. Ces économies représentent 9% des dépenses d’exploitation des deux entreprises ou 24% de celles des services de câble et d’accès internet.

La dette de Rogers grimperait à 5 fois le bénéfice d’exploitation à la clôture de la transaction en 2022, mais la société prévoit abaisser ce ratio à 3,5 fois d’ici trois ans, grâce aux flux de trésorerie accrus.

Bien que le PDG de Rogers Joe Natale assure qu’il n’a pas besoin de se défaire de ses blocs d’acrions de Cogeco pour financer la portion comptant de la transaction (19,4 G$), Aravinda Galappatthige croit que cette avenue sera explorée.

Pour sa part, le patron Philippe Jette a déjà indiqué que Cogeco pourrait faire partie de la solution si Rogers décidait de revendre ses actions. Un tel rachat exigerait un partenaire financier, vraisemblablement du calibre de la Caisse de dépôt et placement du Québec, spéculent divers analystes.