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Nicolas Duvernois

Chronique d'un entrepreneur

Nicolas Duvernois

Expert(e) invité(e)

Réseau de la santé: le navire coule

Nicolas Duvernois|Publié le 12 Décembre 2023

Réseau de la santé: le navire coule

«Au milieu de cet abysse se trouvent des employés au bord de l’épuisement physique et psychologique qui tentent héroïquement de garder le bateau à flot.» (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. C’est l’histoire de Gaétan, un nouveau retraité de 65 ans qui entrevoyait l’avenir avec la plus grande joie, s’imaginant prendre du repos et profiter pleinement de la vie après presque 50 ans de carrière. Il avait passé la dernière décennie à fièrement travailler pour le Groupe Sani-Tech, entreprise qu’il affectionnait particulièrement.

Comme bien d’autres de son époque, il avait atterri jeune, sans trop avoir le choix, sur le marché du travail et avait réussi au fil des années à se bâtir une belle vie avec son amour de toujours Danielle. En prenant sa retraite, il avait un objectif auquel il tenait plus que tout: amener ses trois petits-enfants à Walt Disney.

Malheureusement, la vie ne lui a pas permis de vivre son rêve. Apprenant être atteint d’un cancer du foie au début septembre, c’est tristement le 2 décembre qu’il a rendu l’âme, entouré de Danielle et de sa fille adorée, Karolyne.

J’ai rencontré Gaétan pour la première fois il y a plus de 17 ans. Je débutais tout juste une relation avec sa fille et nous avions passé quelques jours chez lui, sur la Rive-Sud de Québec. Au fil des années, le père de ma femme est devenu officiellement mon beau-père et surtout le papi de nos trois enfants.

L’expérience que nous avons vécue lors de ces quelques mois de combat nous marquera à tout jamais. Gardant du mieux que je pouvais le fort à la maison, Karo, pour sa part, a multiplié les allers-retours vers Québec pour être présente lors de tous les rendez-vous, et de tous les traitements.

Bien que la peine soit omniprésente, c’est surtout avec un sentiment d’amertume, d’impuissance et d’injustice que nous débutons notre deuil.

 

Un réseau qui a perdu son âme

Je ne parle pas ici de l’impuissance face à la maladie ni de l’injustice de la vie qui vient tout juste de nous voler un être cher, mais plutôt de l’échec d’un système tellement embourbé depuis plusieurs décennies qu’il n’arrive tout simplement plus à se relever.

Campagne électorale après campagne électorale, promesse après promesse, réforme après réforme, projet de loi après projet de loi, ministre après ministre, milliard après milliard, notre réseau de la santé a perdu sa raison d’être, a perdu son âme.

Son cancer était foudroyant, aucun traitement ni spécialiste n’aurait pu sauver Gaétan. Malgré tout, il méritait comme chaque être humain de finir ses jours dans la dignité, dans l’écoute et la compassion.

À la place, malgré nos multiples questions et suivis, nous avons été témoins à ses côtés d’une compilation de tout ce qui va mal dans le réseau de la santé: une communication inexistante, des suivis médicaux irréguliers, des délais éternels, une bureaucratie se noyant dans sa propre procédure, du personnel insuffisant, épuisé et débordé, sans parler des nuits passées dans le corridor avec une simple jaquette sur le dos et un néon jaunâtre au plafond pour veilleuse. 

Impuissant, Gaétan n’était finalement qu’un numéro de dossier anonyme trimballé ici et là dans les couloirs de l’hôpital.

Loin de moi l’idée de vouloir déverser mon fiel sur le coup de l’émotion. Au contraire, j’ai senti le besoin d’écrire cette chronique, car cette expérience, bien que personnelle, est partagée chaque année par des milliers, voire des dizaines de milliers de Québécois. Tout au long de cette aventure, nous entendions les mêmes histoires d’horreur.

Au milieu de cet abysse se trouvent des employés au bord de l’épuisement physique et psychologique qui tentent héroïquement de garder le bateau à flot. Submergés de demandes de toutes parts, c’est grâce à eux que le réseau ne s’effondre pas.

Je ne prétends pas ici avoir toutes les réponses concernant les multiples défis du réseau. Cependant, il est plus que temps d’arrêter de se mettre la tête dans le sable et de croire qu’une réforme de plus ou que quelques milliards supplémentaires sont la solution miracle.

Le statu quo qui règne depuis si longtemps dans le réseau de la santé nous met tous à risque. L’exercice fera grincer des dents, fera beaucoup de mécontents, mais se doit d’être fait pour le bien de tous.

L’hôpital doit arrêter d’être la fin d’un déversoir infernal et redevenir un lieu de formation, de recherche et de traitements. Les infirmières et autres professionnels de la santé se doivent d’être reconnus à leur juste valeur en leur offrant de meilleures conditions ainsi que plus de latitude sur les gestes médicaux qu’ils peuvent pratiquer, quitte à revoir leur formation. Les CLSC devraient être la réelle porte d’entrée du système afin de consacrer nos urgences aux cas… urgents.

Arrêtons de dire non, sans réelle discussion, sur une place contrôlée du privé, de prioriser l’ancienneté plutôt que la compétence, de tout faire afin de compliquer la reconnaissance de diplômes de nouveaux arrivants provenant de pays dont souvent le système de santé est plus évolué que le nôtre.

Mettons fin à la «petite politique» qui s’amuse à défaire et refaire à coup de nouvelles structures le réseau à chaque changement de gouvernement. En investissant chaque année plus de 50 milliards de deniers publics, nous avons le droit d’exiger un réseau qui n’est pas au bord du gouffre.

Malgré la douleur des derniers jours, nous avons eu le privilège de pouvoir être finalement accompagnés comme il se devait par des professionnels d’exceptions, soit la travailleuse sociale Lynn Lachance ainsi que le Dr Michel Tremblay.

Comme lors de chaque catastrophe, il existe des personnes qui nous redonnent espoir, qui nous permettent d’accepter l’inacceptable, qui nous tendent la main quand on se croit seul. Des personnes comme celles-ci, il y en a beaucoup dans le réseau et le plus grand danger est de les voir quitter le navire, car il n’y a plus rien à faire, plus rien à sauver, le navire coule.

 

 

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