(Photo: Tomasz Woźniak pour Unsplash)
Au-delà de l’utilisation des réseaux sociaux pour pallier la distanciation physique obligatoire, l’avenir à court terme de la philanthropie passe-t-il par un retour à des techniques de collecte de fonds plus traditionnelles délaissées au cours des dernières années, comme les envois postaux et les grandes campagnes annuelles ?
La Société canadienne du cancer (SCC) est entrée dans la crise provoquée par la pandémie avec deux prises contre elle. D’une part, le financement de l’organisme dépend largement d’activités-bénéfice – à la hauteur de 74 % – dont de grands événements, comme le Relais pour la vie, la Course à la vie CIBC et le Bal de la jonquille.
D’autre part, la transition de ses actions vers le virtuel n’allait pas de soi. Une grande partie de ses bénévoles, de ses donateurs et de ses bénéficiaires sont âgés, étant donné la nature de leur cause, le cancer.
« Nous sommes un organisme très grass root, explique Julie Desharnais, vice-présidente aux initiatives stratégiques à la SCC. Nous dépendons de nos bénévoles pour organiser les marches et solliciter des dons. Sans vouloir généraliser, on doit bien admettre que plusieurs de nos bénévoles ne sont pas familiers avec le virtuel et préfèrent encore le téléphone. »
L’annulation de ses événements-bénéfice du printemps et le passage du Relais et de la Course en mode virtuel a entraîné une baisse de dons de 80 millions de dollars à l’échelle canadienne.
L’organisme réfléchit actuellement à l’avenir de ses stratégies de collectes de fonds. « Le virtuel va certainement rester, mais est-ce qu’il sera jumelé avec des événements en face à face ? Possiblement, croit Julie Desharnais. Est-ce qu’on va relancer de grandes campagnes annuelles ? Fort probablement. » Notons que la SCC a déjà mis en place un fonds d’urgence de lutte contre la COVID-19 afin de soutenir les personnes atteintes du cancer pendant la pandémie.
Viser les plus vieux
Le président de la firme d’experts-conseils en philanthropie Épisode, Daniel Asselin, n’est pas du tout surpris de ces propos. « Les méthodes traditionnelles fonctionnent encore très bien », confirme-t-il. Selon les études annuelles d’Épisode, le pourcentage de donateurs qui ont fait un don à la suite d’une sollicitation postale a augmenté de 17 % à 19 % entre 2018 et 2020. Le pourcentage de ceux qui se sont laissé convaincre par une sollicitation téléphonique a augmenté de 4 % à 7 % durant la même période.
Pour Daniel Asselin, la raison est simple : les donateurs les plus généreux et qui font des dons le plus régulièrement appartiennent à la génération des boomers et à celle des « matures » – les gens âgés de 75 ans et plus. Ce sont deux groupes démographiques qui répondent bien aux méthodes de sollicitation traditionnelles, comme le publipostage et le télémarketing. « Les personnes âgées aiment parler aux gens et aux organismes », illustre-t-il.
Le président d’Épisode note que, depuis le début de la pandémie, plusieurs organismes ont fait des « appels spéciaux » par courrier traditionnel, et ils ont obtenu de très bons résultats.
Un pivot complet
Jusqu’à tout récemment, la fondation Sur la pointe des pieds n’avait aucune stratégie formelle pour recueillir des dons par l’entremise d’une campagne annuelle. L’organisme de Chicoutimi qui propose des aventures thérapeutiques à des jeunes atteints du cancer recueillait 80 % de ses dons grâce à des événements-bénéfice.
« La pandémie nous a renvoyés à la table à dessin », admet Jean-Charles Fortin, son directeur général. Après avoir organisé un rase-o-thon virtuel et adapté ses défis sportifs aux mesures de distanciation physique, la fondation a renoncé à tenir son événement corporatif Célébrons la vie, qui lui avait rapporté plus de 346 000 $ l’an dernier. L’équipe a plutôt décidé de concentrer ses efforts à développer deux nouveaux axes philanthropiques : des campagnes annuelles et des campagnes de dons majeurs.
Depuis, Sur la pointe des pieds a implanté un logiciel de gestion de la relation client (CRM) afin de centraliser et d’ordonner ses listes de donateurs et de bénévoles dispersés dans différents fichiers. « Nous avons identifié nos donateurs les plus fidèles et les plus généreux, et nous avons développé des outils pour mieux leur faire comprendre l’impact de notre organisme sur la vie des jeunes atteints du cancer », poursuit Jean-Charles Fortin.
La fondation compte profiter de son 25e anniversaire, l’an prochain, pour tenir une grande campagne annuelle qui visera entre autres à augmenter sa notoriété auprès des donateurs potentiels. « On a une exposition de photos que l’on veut faire voyager dans différents lieux de diffusion et nous avons participé à un documentaire qui sera diffusé à Radio-Canada, qui nous permettra d’atteindre un public très large », énumère le directeur général.