(Photo: 123RF)
TRANSITION ÉCOLOGIE. Une grave récession mondiale a beau nous menacer depuis le début de la pandémie, verdir l’économie semble demeurer une priorité, à Québec comme à Ottawa. La ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, a d’ailleurs défendu, lors d’allocutions au Forum mondial de Toronto et à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, la nécessité pour son gouvernement d’entreprendre des « investissements significatifs » et d’« établir les fondements d’une économie verte ».
Chrystia Freeland soutient qu’en dépit d’un déficit budgétaire de plus de 343 milliards de dollars (G$) pour l’année fiscale 2020‑2021, la « solidité financière relative » du Canada lui laisse une certaine marge de manœuvre.
Une vision que partage Éric Pineault, professeur de sociologie et membre de l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Le Canada peut tolérer un endettement plus élevé », assure-t-il en précisant que « la relance doit passer par un investissement public significatif, et c’est là que le Canada pourra agir pour la transition ».
Et il y a urgence. Si l’on s’attarde aux engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris, le Canada fait piètre figure. Ainsi, selon un rapport d’Environnement et changement climatique Canada (ECCC), le pays émettait quasiment autant de gaz à effet de serre (GES) en 2005 qu’en 2018, soit 730 mégatonnes (Mt) d’équivalent CO2 en 2005 contre 729 mégatonnes en 2018. Nous sommes loin de l’objectif de réduire nos émissions de GES de 30 % d’ici 2030.
Recommandations
Le Groupe de travail pour une reprise économique résiliente a présenté, en septembre dernier, cinq recommandations au gouvernement fédéral. Les mettre en œuvre nécessiterait un investissement de 55,4 G$ sur cinq ans.
« La question, c’est où doit-on investir, et non est-ce qu’on doit investir. Je crois fermement que ce serait une occasion perdue que de faire des investissements importants qui pourraient empirer la crise climatique », explique l’un de ses membres, Philippe Dunsky, président de Dunsky Energy Consulting, une firme-conseil en énergie renouvelable basée à Montréal.
Piloté par Richard Florizone, président de l’International Institute for Sustainable Development, le Groupe de travail pour une reprise économique résiliente est composé de 15 Canadiens évoluant dans les milieux des affaires et de la politique. Parmi eux, Gerald Butts, ancien conseiller principal du premier ministre Justin Trudeau, et Michael Horgan, mentor au sein de la Fondation Pierre Elliott Trudeau et ancien sous-ministre sous les gouvernements de Paul Martin (Affaires autochtones) et de Stephen Harper (Environnement et Finances).
Le Groupe de travail propose à Ottawa d’« investir dans des bâtiments résilients au climat et écoénergétiques » à hauteur de 49 % de l’investissement total, d’« augmenter la production et l’adoption de véhicules zéro émission (VZE) », « d’accélérer la croissance des secteurs de l’énergie propre », d’« investir dans la nature » et d’« accroître la compétitivité et les emplois propres ».
La porte-parole d’ECCC, Chelsea Steacy, a affirmé à Les Affaires que le ministère examinait ce rapport, qualifié d’« opportun ». De grandes lignes se retrouvent par ailleurs dans le dernier discours du Trône, prononcé le 23 septembre. En matière de bâtiment, entre autres, où le gouvernement fédéral a affirmé prévoir « créer des milliers d’emplois dans la rénovation de maisons et d’immeubles, ce qui permettra de réduire la facture énergétique des familles et des entreprises canadiennes ».
En 2018, le bâtiment était le troisième plus important secteur émetteur de GES, avec 92,5 Mt d’équivalent CO2, après le secteur des transports (185,9 Mt d’équivalent CO2) et l’exploitation pétrolière et gazière (193,2 Mt d’équivalent CO2).
De l’électricité dans l’air
Le rapport du Groupe de travail pour une reprise économique résiliente cite entre autres l’agence spécialisée dans l’étude des marchés financiers Bloomberg New Energy Finance, qui estime que « le véhicule à moteur à combustion interne a atteint son pic de ventes en 2015 et sera dépassé par les ventes de VZE dans le monde entier d’ici 2035 ».
Pour Marc Bédard, président et fondateur de l’entreprise de VZE Lion Électrique, à Saint-Jérôme, l’électrification des transports « devrait être à la base du plan de relance du gouvernement fédéral ». Afin de développer l’industrie au pays, il pense qu’il est essentiel qu’Ottawa légifère. En s’inspirant notamment des règlements novateurs adoptés en Californie.
Le dernier en date : l’Advanced Clean Truck, qui incite à l’acquisition de camions électriques, forçant ainsi les constructeurs à s’adapter.
Quant à l’arrêt de l’exploitation des hydrocarbures, Éric Pineault assure que « c’est ce qu’un gouvernement responsable devrait faire ». Une décision qui pourrait bien créer des tensions avec les provinces dépendantes du pétrole et du gaz.
En Alberta, l’avenir économique pourrait peut-être reposer sur l’hydrogène. « Avec leur industrie de pétrochimie, ils ont le savoir-faire pour relever ce défi », souligne Philippe Dunsky. En effet, si l’hydrogène du Québec est qualifié de « vert », car il est produit avec une énergie zéro émission – l’hydroélectricité –, celui d’Alberta est produit à partir de combustibles fossiles. Pour qu’il puisse se qualifier de « bleu », donc de sobre en carbone, il faut réussir à capter et à séquestrer le carbone issu de la transformation. « C’est une étape importante à franchir, admet le président de Dunsky Energy Consulting, mais si l’Alberta veut faire partie de la solution, elle le peut. »
Rappelons que la France, l’Allemagne, l’Australie, le Japon et la Corée du Sud ont aussi annoncé des plans de relance économique verte. Même la Chine a annoncé vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2060.
Comme l’a rappelé la secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, Patricia Espinosa, lors d’une conférence organisée par le Conseil des relations internationales de Montréal, « le changement climatique est là et affecte déjà de nombreuses communautés […] Si on n’agit pas maintenant, il sera trop tard ».