Les cofondatrices de Rose Buddha, Maxime Morin et Madeleine Arcand (Photo: Avril Franco Photographe)
BLOGUE INVITÉ. Tel que je le mentionnais dans un précédent blogue, le Québec regorge d’innovateur(trices) qui travaillent souvent dans l’ombre. Chaque fin de mois, je dresserai donc le profil d’une entreprise ou de personnes que je trouve personnellement inspirantes et innovantes. Pour mon premier «Portrait d’innovateur(trices)», j’ai décidé de vous parler de l’entreprise Rose Buddha et de ses deux co-fondatrices, Madeleine et Maxime, ainsi que de leur philosophie de gestion: le «Buddhist Economics», que l’on pourrait traduire par «principes économiques du bouddhisme».
Pourquoi avoir choisi Rose Buddha dans la centaine de propositions reçues? Tout d’abord, le contexte: le 22 avril dernier était le Jour de la Terre, une journée spéciale pour se rappeler le privilège que nous avons d’habiter cette planète, mais aussi de prendre conscience de nos gestes extrêmement dommageables pour celle-ci.
Sinon, le fait que j’ai été plutôt perturbé par l’écoute du documentaire Seaspiracy disponible sur Netflix et que la dernière collection de Rose Buddha est justement en lien avec la conservation des océans. Or, la plus importante raison est un coup de cœur entrepreneurial pour deux femmes inspirantes, innovantes et qui osent changer le cours des choses.
C’est en 2016 avec 300$ en poche, une bonne expérience en communication mais pas en mode, que les fondatrices de Rose Buddha, Maxime et Madeleine, ont gravi les échelons un à un pour faire de leur entreprise l’incontournable des vêtements écolos et éthiques au Québec. Choquées de constater que l’industrie de la mode était la deuxième la plus polluante et par les conditions de travail de plusieurs travailleuses du secteur, elles décidèrent qu’il était temps de faire autrement.
Pour ce faire, elles travaillèrent d’arrache-pied afin d’assurer une production locale (tout est fait à Montréal et en Beauce) et respectueuse de l’environnement. Les vêtements sont composés de matières recyclées ou de fibres naturelles ou biologiques. L’entreprise est aussi zéro déchet, réutilisant toutes les retailles pour fabriquer des accessoires et des bijoux.
L’entreprise innove dans presque tous les aspects. Tout d’abord, en n’étant pas seulement une marque de vêtements écolos et éthiques, mais aussi une plateforme basée sur le bien-être. En effet, l’organisation ressemble beaucoup plus à une entreprise numérique dans sa composition qu’à une entreprise de commerce de détail. La société est derrière l’application de méditation la plus téléchargée au Québec (Méditation Rose Buddha) en plus d’être derrière le livre à succès «À go, on ralentit» un ouvrage prônant le «Slow Living», un mode de vie lent dans une vie qui va vite.
Ce qui m’a le plus étonné, c’est la pensée «hors des sentiers battus» des dirigeantes. Selon moi, le plus grand avantage de Rose Buddha, c’est de ne pas venir de l’industrie de la mode ou du textile. Ainsi, les cofondatrices n’avaient aucune connaissance ni aussi aucune idée préconçue sur ce qui est «réalisable ou pas». En quelques années, elles ont développé des produits hors du commun, dont leurs leggings écoresponsables composés à 80% de bouteilles de plastique recyclé ou plus dernièrement, les premières lunettes de soleil biocompostables faites à base de plastique bio.
Rose Buddha, un modèle flexible et adapté à la pandémie
Depuis sa fondation, l’entreprise aura eu une croissance de 2 400% sur 4 ans annonçant un chiffre d’affaires de plus de 5 millions de dollars pour l’année 2021. Madeleine et Maxime étaient déjà en avance sur leur temps avant la pandémie. Leur organisation ne possédait aucune boutique ayant pignon-sur-rue mais misait sur une plateforme de cybercommerce très performante. Tous les employés étaient déjà en télétravail et la production des produits était décentralisée chez plusieurs partenaires à travers le Québec. La crise sanitaire, malgré qu’elle eût ajouté un défi d’approvisionnement, aura été une grande opportunité pour la société. Les vêtements confortables sont plus que jamais recherchés.
Le Buddhist Economics, une philosophie de gestion à l’avant-garde
Lorsque Madeleine m’a parlé la première fois du Buddhist Economics, j’avoue m’être dit «qu’est-ce que c’est que cela» avec un petit préjugé. Nous avons tous l’imagination de l’entrepreneur qui travaille sans cesse, est un peu requin et n’est pas toujours le plus «zen». Mais en 2021, avec l’augmentation des inégalités et le réchauffement climatique, les philosophies de gestion comme le Buddhist Economics sont plus que jamais nécessaires.
En soi, l’économie bouddhiste est une philosophie selon laquelle il est possible de faire des affaires :
- Sans profiter des gens les plus vulnérables;
- En respectant l’environnement;
- En s’intéressant à notre niveau de bonheur (et à celui des autres).
L’idée serait de trouver l’équilibre entre consommer et s’enrichir au détriment d’êtres humains, de l’environnement et de notre santé mentale. Pourrait-on faire des affaires, en ayant pour objectif d’être profondément heureux et respectueux de notre prochain? Pourrait-on faire des affaires sans détruire la planète sur laquelle nous vivons?
L’économie comme si les gens étaient importants
Le terme «économie bouddhiste» est apparu pour la première fois dans le livre de E. F. Schumacher de 1973, Small is Beautiful: Economics as if People Mattered –, collection d’essais à l’intersection de l’économie, de l’éthique et de la conscience environnementale, qui a valu à son auteur le prestigieux prix européen de l’Essai Charles Veillon et est considéré par le Times Literary Supplement comme l’un des 100 livres les plus importants publiés depuis la Seconde Guerre mondiale.
Partageant une parenté idéologique avec des esprits aussi influents que Tolstoï et Gandhi, Small is Beautiful: Economics as if People Mattered est un chef-d’œuvre de contre-culture, appliquant la sagesse millénaire des bouddhistes aux problèmes les plus urgents de la vie moderne.
Sur les traces de Schumacher, la professeure d’économie et directrice du Center for Work, Technology, and Society de l’Université de Californie à Berkeley et autrice du livre Buddhist Economics: An Enlightened Approach to the Dismal Science, Clair Brown, avance que l’évaluation de la performance économique d’un pays doit être basée sur la qualité de vie qu’elle offre à ses habitants et la protection de l’environnement. En plus de la production (ou de la consommation) intérieure, la mesure de la performance économique doit comprendre l’équité, la durabilité et les activités qui créent une vie intérieure riche. Parce que le bien-être d’une personne dépend bien plus de la culture de la richesse intérieure (spirituelle) que de la richesse extérieure (matérielle).
C’est avec cette perspective que le roi du Bhoutan Jigme Singye Wangchuck et son gouvernement ont instauré le concept de «bonheur national brut» (Gross National Happiness, ou GNH), une contre-mesure à l’échelle de réussite d’une nation calculée par le produit intérieur brut (PIB). En effet, sommes-nous une nation riche, si une majorité d’entre nous est stressée, dépressive, colérique et malheureuse?
Selon Brown, le modèle du libre marché actuel tend à ignorer ce qui nous rend véritablement heureux: aider son prochain, élever ses enfants dans un environnement propre, contribuer au bien-être de sa communauté. Elle se demande si l’on peut véritablement être heureux en étant riche en haut d’une pyramide qui s’appuie sur l’exploitation des gens et de l’environnement.
Permettez-moi d’en douter.
L’innovation: pas seulement une question de technologie
Trop souvent, l’innovation est reliée à la technologie. Mais la vraie innovation, ce n’est pas que des jargonneries (buzzwords), c’est l’humain avant tout. Rose Buddha en démontre l’exemple avec des cofondatrices qui ont choisi de se lancer dans le vide dans un monde inconnu pour proposer des produits adaptés à leurs valeurs et au contexte d’aujourd’hui et pour doucement changer le cours des choses dans cette industrie polluante: ça, c’est de l’innovation!