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Salut, Monsieur Pouliot!

Daniel Germain|Publié le 01 mars 2019

Salut, Monsieur Pouliot!

Ce n’est pas ici un endroit pour épancher sa peine, vous m’excuserez cette digression. Seulement, j’ai reçu une bien triste nouvelle. Sur le coup, son effet a été semblable à celui qu’aurait provoqué cette sentence prononcée par le vétérinaire de mon chat: l’euthanasie.

La comparaison est boiteuse, il faut aimer les chiens et les chats, et pas juste un peu, pour saisir l’ampleur de ma consternation. Parler d’une rupture amoureuse aurait créé confusion et malaises, évoquer des maladies ou des pertes humaines aurait été grossièrement excessif.

Alors voilà, mon boss s’apprête à nous quitter.

Non, il n’a pas demandé l’aide médicale à mourir. Il part travailler ailleurs que chez Les Affaires, ailleurs que dans les médias. Il ne s’en va pas très loin en fait, à moins de 500 mètres de nos bureaux et tout juste de l’autre côté de la clôture, comme on dit chez les journalistes, pour agir comme conseiller économique au bureau du premier ministre François Legault.

Entre membres de la confrérie, on a l’habitude de rendre hommage aux «méritants» une fois seulement qu’ils sont froids. J’ai le même âge que mon patron, mon ex à compter de ce soir, et je n’aurai sans doute pas d’autres occasions de saluer ses grandes qualités publiquement. Je pourrais mourir avant, pour autant que mon sujet réduise sa consommation de sel et d’aliments transformés. Cette initiative m’apparaît appropriée, quoique susceptible de créer chez le principal intéressé un certain embarras, car on parle ici d’un monument de journalisme et de discrétion: François Pouliot.

À part ceux qui, comme moi, relèvent directement de François, je ne connais pas grand monde pour qui le départ de son patron peut créer une telle commotion. C’est qu’on ne s’est jamais vraiment sentis bossés, sinon à peine, quand François nous rappelait nos deadlines des semaines à l’avance ou réclamait, à son corps défendant, des petits rapports d’activités. Sans forcer la note, sans jamais hausser le ton, de manière quasi subliminale, je dirais même de façon agréable, François a toujours su nous aider à monter d’un cran notre niveau de jeu. Il donne naturellement confiance.

Les lecteurs de Les Affaires le connaissent pour ses chroniques boursières et ses analyses des affaires publiques. Avant d’arriver chez nous, François a travaillé chez Québecor, où il a dirigé la station Argent, au Globe & Mail et au quotidien Le Soleil. Partout où il est passé, il a laissé le souvenir d’un journaliste rigoureux, travaillant et intègre, d’un gestionnaire affable au jugement droit et nuancé, d’un collègue bienveillant; une sorte de sage, quoi, mais dépouillé de cette austérité et de l’auréole qu’on prête parfois aux sages.

Il faut souligner que François Pouliot n’a jamais cédé à cette tendance qui ronge de plus en plus les médias, celle qui pousse à l’usage d’une force excessive et aux jugements à l’emporte-pièce, celle qui alimente l’indignation et le ressentiment du lecteur. Il s’en est toujours désolé, lui pour qui le travail des journalistes et des chroniqueurs reste d’informer et de nourrir la réflexion. Point.

Combien de fois l’ai-je entendu se demander à voix haute si le texte sur lequel il planchait pouvait faire des victimes collatérales? Il s’est toujours abstenu d’avancer des propos ou de succomber à un effet de plume qui auraient pu occasionner des dommages inutiles. Toujours membre du Barreau, l’avocat n’a jamais dérogé au principe de présomption d’innocence, alors qu’il aurait pu, comme certains confrères, s’en écarter à l’occasion et couper les coins ronds au profit de son capital personnel.

Il est entré chez nous en 2010, je crois, et ce n’est que deux ou trois ans plus tard, dans la foulée d’un rétrécissement de notre salle de rédaction, que j’ai eu la chance de le connaître vraiment. On est devenus voisins de bureau.

Il est un drôle de personnage aux premiers abords (et au-delà), avec son régime alimentaire discutable, feignant de vouloir monnayer la moindre faveur et faisant chaque week-end l’aller-retour dans son patelin de Lac-Etchemin, où les mésanges mangent dans sa main.

Quand j’ai atterri à ses côtés, j’ai été amusé de constater que les gens, sous son influence, se vouvoyaient dans l’îlot. Il m’a abordé en m’appelant «Monsieur Germain», je lui ai répondu «Monsieur Pouliot», et c’est resté ainsi depuis, je n’ai pas souvenir qu’il m’ait déjà appelé directement par mon prénom.

À part notre métier, une vision des affaires publiques, un intérêt pour l’écriture et l’histoire, Monsieur Pouliot et moi n’avons pas grand-chose en commun. En fait, je n’ai jamais fraternisé avec quelqu’un d’aussi différent de moi. Ç’aurait pu mal virer, mais pas avec lui. Cette différence est au contraire devenue un terrain de jeux où l’on se moque l’un de l’autre avec un respect et une affection réciproques, en se vouvoyant, toujours.

Au bureau, cela fait l’unanimité au-delà des journalistes. Les Affaires perd une personne de très haute valeur. Tous se consolent cependant à l’idée que ses qualités seront mises au service du bien commun. Qu’importe l’allégeance du gouvernement, la présence là-bas de notre désormais ancien collègue ne peut être qu’une bonne nouvelle.

Au revoir, Monsieur Pouliot, et bonne chance.

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Le départ de mon ami et patron, vous vous en doutez bien, ne se fait pas sans impact sur les tâches de chacun. Temporairement, j’hérite de certaines responsabilités, ce qui affectera la fréquence cette chronique. Elle sera irrégulière, forcément, mais continuez à m’écrire pour me faire part de vos petits soucis financiers auxquels je tenterai de répondre autant que possible.

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