(Photo: Kai Pilger pour Unsplash)
EXPERTE INVITÉE. Dominic et son équipe travaillent sur un projet depuis dix mois. Ils constatent toutefois que pour diverses raisons, celui-ci ne rapportera plus ce qui avait été initialement escompté. Le hic, c’est qu’il leur est difficile de lâcher le morceau. Autrement, tous les efforts déployés auront été en vain, non?
Or, est-ce vraiment le cas ? J’en doute.
Certes, nos croyances populaires reflétées dans notre vocabulaire louangent la persévérance et l’ambition et condamnent sévèrement les lâcheurs. Pourtant, dans nos équipes de travail, arrêter au bon moment est un positionnement des plus positifs.
Non seulement ça permet de réallouer les ressources à des projets plus porteurs, mais aussi d’éviter des pertes financières.
Quitter un projet au bon moment, c’est plutôt le lot des braves et des forts.
Pourquoi est-ce si difficile de «tirer la plug» ?
Des biais cognitifs interfèrent dans notre décision de maintenir en vie ou pas une initiative, notamment en cristallisant la notion de perte.
À titre d’exemple, Dominic et son équipe ne devraient pas décider des priorités du prochain trimestre en pensant aux ressources déjà investies dans le projet ; ils n’ont plus de contrôle sur l’énergie qu’ils ont dépensée par le passé.
Les seules vraies questions qu’ils doivent maintenant se poser sont :
– le prochain dollar, devrait-on le dédié à ce projet ?
– à partir de maintenant, quelle est la bonne chose à faire ?
Comment faire pour se retirer plus aisément?
il est possible de structurer sa démarche de telle sorte qu’on ne se laissera pas embourber dans un projet qui perd de son sens. Celle-ci doit à la fois contenir des points de contrôle à différents moments charnières, et rapidement trouver des solutions aux plus importantes embûches qu’on s’attend à rencontrer.
1. Prévoir des marqueurs dans le temps
Qu’il s’agisse d’indicateurs financiers ou des événements bien précis, identifier ces points de contrôle en amont facilite la prise de décision au moment convenu. Par exemple, si après dix mois d’investissement dans ce produit nous cumulons à peine dix ventes, nous devrons nous retirer.
2. S’attaquer aux grands inconnus en premier
Annie Buke, une ancienne joueuse de poker professionnelle, explique ce principe avec brio en citant l’approche de Google. Imaginons que votre projet consiste à apprendre à un singe à jongler avec des bâtons enflammés sur un podium, par quelle facette du mandat commencerez-vous ?
Souvent, dans nos entreprises, nous entamons les démarches par les gains les plus faciles (low hanging fruits). Dans l’analogie, il est question ici du podium. Le hic, c’est qu’on n’apprendra rien en le construisant, puisqu’on sait déjà comment le faire.
Ce que nous ne savons pas, en revanche, c’est si nous parviendrons à enseigner au singe à jongler.
Commencer un projet par la plus grande inconnue, l’élément pour lequel on se pose le plus de questions, permet de rapidement décider si le projet est porteur (ou non) et de se retirer promptement.
On évite ainsi de dépenses temps et argent sur quelque chose dont on ne disposa pas de toutes les cartes.
Et si le projet est déjà commencé ?
Dominic et son équipe n’ont pas appliqué les deux principes expliqués ci-haut. Cela ne les condamne pas pour autant à demeurer accrochés à ce projet qui n’est plus porteur.
Il n’est jamais trop tard pour revenir aux sources, s’interroger sur ses motifs originaux et porter un regard objectif sur la situation actuelle. Lorsque l’heure des grandes questions sonne, plus nous sommes conscients des biais cognitifs qui s’opèrent et brouillent notre jugement, plus nous pouvons contrôler leur importance dans la prise de décision.
Je réitère: il n’y a rien de mal à abandonner un projet.
Il n’est pas pertinent d’argumenter que si on arrête maintenant, tous les efforts déployés auront été faits en vain. En tant qu’équipe, savoir se retirer au bon moment inspire le respect (et non pas la honte).