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Sommes-nous d’ores et déjà en récession?

Olivier Schmouker|Publié le 14 avril 2020

Sommes-nous d’ores et déjà en récession?

Le prix à payer pour avoir «mis sur pause» l'économie. (Photo: Engin Akyurt/Unsplash)

CHRONIQUE. Les signes s’accumulent quant à une prochaine récession mondiale, en raison de la «mise sur pause» de l’économie des pays touchés par la pandémie du nouveau coronavirus. Des signes qui impliquent, sans surprise, le Canada lui-même.

Ainsi, la France est officiellement entrée en récession économique le 8 avril. Le même jour, plusieurs instituts économiques allemands ont indiqué s’attendre pour l’Allemagne à une récession de près de 10% au deuxième trimestre, soit le plus important recul jamais enregistré depuis la Seconde Guerre mondiale; le choc serait alors deux fois plus fort que la crise économique et financière survenue en 2008-2009.

D’autres pays et zones géographiques, un peu partout sur la planète, voient également des drapeaux rouges se lever concernant une imminente récession économique. Parmi eux figurent l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne, le Brésil, l’Australie, l’Afrique du Sud, le Maroc ou encore l’Afrique subsaharienne. Même la Chine devrait accuser le coup, les analystes de Bloomberg estimant que la croissance de son produit intérieur brut (PIB) devrait avoisiner les 2% en 2020, sachant qu’il avait tout de même 53% de chances que celle-ci soit carrément nulle, voire négative, si jamais la situation sanitaire ne s’améliorait pas rapidement.

C’est bien simple, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que pour chaque mois de confinement il y aura en général une perte de 2 points de pourcentage de la croissance annuelle du PIB.

Il est «clair» que l’économie mondiale est maintenant entrée en récession, selon Kristalna Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). Et que cette récession serait «assez profonde» en 2020, vu que l’on n’avait encore jamais vu autant d’économies s’arrêter aussi brutalement, quasiment du jour au lendemain.

Et ici? Les analystes des institutions financières canadiennes s’attendent à un véritable choc pour le premier trimestre de 2020 ainsi que pour les suivants si celui-ci se vérifiait. La Banque CIBC a indiqué que le Canada était sûrement au bord d’une récession : «Nous prévoyons une baisse de la production aux deuxième et troisième trimestres, aux États-Unis comme au Canada», est-il noté dans un de ses récents rapports. La Banque Royale abonde dans le même sens, estimant que le premier trimestre devrait demeurer dans le positif, mais pas les deux suivants (-2,5% pour le deuxième et -0,8% pour le troisième).

Qu’indiquent ces chiffres, au juste? Il faut savoir que, techniquement, une récession correspond à deux trimestres consécutifs dans la rouge, où le PIB se retrouve en zone négative. Or, le quatrième trimestre de 2019 s’est terminé par un score minimal de +0,1% – qu’on peut sans conteste considérer comme mauvais – et le premier de 2020 – marqué par la «mise sur pause» de l’économie en mars – risque fort d’afficher un score tout aussi piètre, difficile encore à chiffrer avec précision (Statistique Canada ne dévoilera cette donnée qu’à la fin d’avril). Par conséquent, même si l’on demeure encore avec un score positif au premier trimestre de 2020, flirtant probablement avec le zéro, on pourrait tout de même dire que le pays est dans le rouge, que son PIB au point mort depuis six mois est le signe évident d’une économie en mauvais état, pour ne pas dire en récession. D’autant plus que tout le monde s’entend pour anticiper un deuxième trimestre purement catastrophique…

Une donnée ne trompe pas quant à l’ampleur du choc économique actuel: seulement 1 Canadien sur 2 a travaillé en mars! Plus précisément, il n’y a eu ce mois-là que 58% des Canadiens de plus de 15 ans qui ont occupé un emploi; du jamais vu depuis 1997. Les autres ont soit été licenciés, soit contraints de travailler moitié moins d’heures que d’habitude; le taux de chômage a bondi d’un coup de 2,2 points de pourcentage, à 7,8%, du jamais vu depuis 1976.

C’est dire combien l’heure est grave…

La question saute dès lors aux yeux : jusqu’à quand resterons-nous en récession? Oui, quand devrions-nous percevoir la lumière au bout du tunnel?

L’ennui, c’est qu’il est presque impossible de la dire. Car personne ne sait vraiment l’ampleur de la crise que nous connaissons. Personne.

Ralentissement des échanges commerciaux mondiaux, chute des investissements des entreprises, effondrement de la consommation,… Tout semble indiquer l’émergence d’un cercle terriblement vicieux.

«Les signes sont moches, très moches», a récemment lâché Roberto Azevedo, le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Et de dévoiler deux scénarios pour l’avenir:

> Le scénario «optimiste». Une baisse de 13% du commerce mondial de marchandises cette année. Ce qui entraînerait un recul de 2,5 points de pourcentage du PIB mondial. Soit l’équivalent de la récession d’il y a douze ans.

> Le scénario «pessimiste». Une chute de 32%. Laquelle déclencherait un plongeon de 8,8 points de pourcentage du PIB mondial. Ce qui correspondrait à la Grande dépression des années 1930.

La différence entre les deux? M. Azevedo dit qu’elle réside dans la rapidité avec laquelle les pays du monde entier renonceront à leurs mesures de confinement ainsi que dans l’efficacité qu’ils montreront à refaire normalement des affaires entre eux. Car l’un des enjeux sera de remettre en marche les multiples chaînes d’approvisionnement, mises à mal par la pandémie mondiale.

«Nos prévisions de base ne voient pas le PIB revenir à ses niveaux d’avant la pandémie avant la fin de 2021 en Amérique du Nord et en Europe», dit Brian Coulton, économiste en chef, de l’agence de notation financière Fitch Ratings.

À ses yeux, la crise devrait être «largement maîtrisée» au deuxième trimestre, il devrait y avoir une reprise graduelle de l’activité économique, à mesure que les différents blocages seront levés les uns après les autres. Les stocks seront alors reconstitués, d’autant plus vite que des mesures de relance gouvernementales viendront en appui des entreprises. Mais tout cela sera freiné par de nombreux éléments : les pertes d’emplois, les coupures d’activités, le prix des matières premières, la déroute des marchés financiers, etc.

Résultat? Il ne faut pas s’attendre à un miracle, mais bel et bien à une lente et pénible rééducation, comme après un grave accident vasculaire cérébral…

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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