Son expérience de camelot aide Éric Martel à mener Bombardier
Catherine Charron|Publié le 17 août 2023«J’avais un fournisseur, et je devais le payer à temps», quitte à gruger dans son salaire. (Photo: courtoisie)
LA PREMIÈRE JOB DU BOSS. Gérer sainement ses liquidités, suivre de près ses comptes clients, livrer la marchandise en temps… toutes ces compétences qui lui sont aujourd’hui essentielles en tant que PDG de Bombardier, Éric Martel, les a acquises en distribuant le journal Le Soleil dans les années 1970.
Pendant pratiquement sept ans, beau temps, mauvais temps, il arpentait les rues de son quartier de Beauport afin d’y délivrer la pile d’éditions du quotidien soigneusement posée dans le chariot accroché à son vélo ou sur son traîneau, selon la météo.
Entre ses 9 et 16 ans, celui qui venait d’un milieu modeste et qui souhaitait se faire un peu d’argent de poche est parvenu à doubler le nombre de portes au pas desquelles il déposait son journal, passant d’une trentaine à une soixantaine.
La clé, c’est notamment d’offrir un service fiable et hors pair. «La relation avec les clients, c’était déterminant. Tu ne peux pas passer une journée à 16h, puis l’autre à 19h. J’essayais d’être là à la même heure religieusement, été comme hiver», se remémore-t-il.
Il comprit aussi très vite l’importance de la gestion de ses liquidités, pour que ses activités aillent rondement. À l’époque, les gens n’acquittaient pas leur facture par carte de crédit. C’est donc Éric Martel qui, chaque semaine, devait collecter ces fonds, dont une partie lui servait de rémunération.
«Il fallait que j’aie assez d’argent pour que le lundi matin, quand Le Soleil passait, je puisse le rembourser. Mon modèle d’affaires ressemblait un peu à celui d’un travailleur autonome: j’avais un fournisseur, et je devais le payer à temps.»
Tous ses clients n’avaient pas la même assiduité dans leur paiement. S’il ne parvenait pas à amasser tous les fonds, il devait piger dans ses propres revenus pour le rembourser.
«Il fallait par la suite que je coure après les gens. […] j’en avais quatre ou cinq chez lesquels je devais repasser à plusieurs reprises pour collecter», raconte celui qui se souvient encore des maisons de ses abonnés récalcitrants.
Afin de s’assurer que le journal soit livré à temps, même s’il n’était pas en mesure de faire sa tournée, il «employait» sa sœur ou un ami.
«C’était toute une école, mais je ne m’en rendais pas compte à l’époque. J’ai appris l’importance de toujours avoir suffisamment de liquidités pour payer ses fournisseurs, que ça prend des clients satisfaits pour t’en référer d’autres et que tu dois être respectueux et assidu», constate-t-il aujourd’hui.
La fin de semaine, comme il n’avait pas de journaux à distribuer, ce sont les circulaires qui étaient déposées dans ses véhicules de fortune afin d’être acheminées aux 543 portes — il s’en souvient encore! — pendant quelques années.
Leader de nature
En plus des nombreuses activités sportives qu’ils pratiquaient — «on ne nous donnait pas de pilules quand on était petit, on nous épuisait pour qu’on dorme le soir», rapporte amusé le dirigeant — Éric Martel s’impliquait chez les cadets.
«Je suis monté au plus haut niveau possible dans la hiérarchie des cadets», indique celui qui a eu à s’occuper de 2000 adolescents de partout au pays participant au camp d’été à la base de Valcartier, près de Québec.
C’est dans ce contexte qu’il a fait ses premières armes du leadership. Non seulement a-t-il dû suivre des cours, mais il devait aussi mener des groupes de jeunes cadets aux milieux et aux parcours bien différents. «Ça a été extrêmement formateur, assure-t-il. Tu apprends à respecter les gens, et ça me sert encore aujourd’hui.»
Et des erreurs, il en a commis. «Tu en fais quand tu commences à gérer, surtout à 16, 17 ou 18 ans, observe Éric Martel. Tu penses qu’un leader doit être sévère, tu l’essayes, mais tu constates bien rapidement que ça ne fonctionne pas vraiment.»
C’est notamment pourquoi il encourage les jeunes à réfléchir aux raisons pour lesquelles ils aiment ou pas bosser avec une personne en particulier tôt dans leur parcours sur le marché du travail, surtout s’ils aspirent à devenir patrons.
«Je vois des gens qui changent le jour où ils deviennent un dirigeant. Ça ne devrait pas être ça. Il faut rester soi-même», conclut-il.