Startupfest: lisez ceci avant de solliciter du capital-risque
Diane Bérard|Mis à jour le 11 juillet 2024Randy Smerik (à droite, à gauche, le chef Filippo Piccini) est entrepreneur en série. Le restaurant Solare est une de ses entreprises. Il est conférencier au Startupfest (Photo: page Facebook du restaurant Solare).
«Comment peuvent-ils me faire ça?»
«Je croyais que nous étions devenus des amis… »
«Pourquoi refusent-ils cette offre? Elle est pourtant bien. Je croyais qu’ils avaient investi dans mon entreprise pour faire de l’argent, trois fois le rendement, c’est bien non?»
Voici, selon l’entrepreneur en série Randy Smerik, ce que pense un entrepreneur lorsque son principal investisseur (une société de capital-risque) refuse une offre d’achat qu’il juge, pour sa part, fort honnête.
Randy Smerik est conférencier au Startupfest qui se déroule du 9 au 13 juillet, au Parc Jean-Drapeau, à Montréal. Ce matin (9 juillet), j’ai assisté à sa conférence, «Structuring your company to decide when and if you should take the money». J’ai rarement entendu un compte-rendu aussi brutalement honnête de ce qui attend l’entrepreneur qui accueille du capital-risque. Randy Smerik a démarré sept entreprises, et pas seulement dans le secteur de la technologie. Il possède aussi une distillerie de tequila (!) et un restaurant italien à San Diego). Ledit restaurant figure désormais au Guide Michelin, a précisé son propriétaire. Donc, un compte-rendu honnête, et sûrement très utile pour les participants, qui écoutaient tous sagement. Toutefois, cette conférence a aussi provoqué chez moi un malaise, dont je vous parlerai à la fin de ce texte.
«Je suis ici ce matin pour vous ouvrir les yeux. Les sociétés de capital-risque ne sont pas des monstres. Elles vont vous aider. Elles vous brancheront sur leur réseau, vous donneront souvent de bons conseils. Mais, elles penseront toujours à elles en premier. Soyez donc certain que vous avez besoin de leur argent. Sachez ce qui peut arriver si vous l’acceptez et soyez prêt à en assumer les conséquences.»
Habituellement, le financement d’une entreprise suit la séquence suivante:
1- L’argent du fondateur, des amis et de sa famille;
2- L’argent de sa communauté plus éloignée;
3- Le capital d’amorçage et des incubateurs;
4- Le capital des anges;
5- Le capital des super-anges;
6- Le capital-risque.
Les trois premières questions
Avant de passer à l’étape six, le conférencier (qui est aussi mentor pour l’incubateur Founder Fuel), recommande à l’entrepreneur de se poser les trois questions suivantes;
1- Est-ce que je crois suffisamment en mon idée actuelle pour accueillir à bord du «leadership adulte»? Il est question de conseil d’administration, de gouvernance structurée, d’investisseurs professionnels.
2- Est-ce que je crois suffisamment en mon idée actuelle pour estimer que j’ai besoin de tout cet argent maintenant? «Accueillir du capital-risque équivaut à acheter de l’argent. Vous achetez de l’argent en échange de parts dans votre entreprise. Et votre première ronde de capital-risque c’est l’argent le plus cher que vous achèterez. C’est le moment où vous accordez les parts les plus importantes. Pourrez-vous dépenser cet argent? Pourrez-vous fournir la croissance qu’il sous-entend?» Plus n’est pas toujours mieux, estime-t-il. Pourquoi demander trois millions s’il vous n’avez besoin que de deux.
3- Est-ce que je crois suffisamment dans mon idée actuelle pour accepter de laisser aller le contrôle de mon entreprise?
«Les sociétés de capital-risque incluent des clauses de protection dans leurs contrats. Soyons clairs, ces clauses ne sont pas conçues pour protéger l’entrepreneur.» De quoi est-il question? Ces clauses peuvent accorder à la société de capital-risque le pouvoir d’empêcher l’émission d’autres parts ou la vente de l’entreprise ( si le prix ne permet pas d’obtenir le rendement qu’ils visent). Elles peuvent aussi accorder le pouvoir de se prononcer sur le recrutement de nouveaux employés ou la pénétration de nouveaux marchés. «Ces clauses peuvent sembler horribles, reconnaît le conférencier. Et ce peut être le cas. Mais elles peuvent aussi sauver l’entrepreneur de lui-même. On ignore laquelle de ces deux conséquences se produira.»
Les 9 pistes de réflexion
Vous avez répondu «oui» aux trois questions précédentes? Alors on continue! Voici neuf pistes pour vous poursuivre votre réflexion, en vue d’une éventuelle ouverture au capital-risque.
1-Prise de conscience et distance
«Un entrepreneur consacre généralement trop de temps à rassembler des données et pas assez à les analyser pour leur donner un sens. Pourtant, c’est l’information, et non les données brutes, qui permet de prendre des décisions éclairées. Et qui vous évite d’élaborer des scénarios simplistes, trop noirs ou trop blancs. Choisissez deux ou trois indicateurs et apprenez à les regarder une fois par mois. Faites-en une boussole pour votre équipe et laissez-les travailler.
2-Équipe et culture
«Votre équipe peut vous aider à survivre ou tuer votre entreprise. Et ne faites pas l’erreur de penser que celle-ci s’arrête à vos employés. Votre équipe inclut aussi votre CA, vos investisseurs, vos fournisseurs et vos clients les plus importants. Il faut gérer tous ces groupes.»
Et la culture? Le recrutement est un processus public, «Aucun employé ne devrait découvrir un matin qu’il a un nouveau collègue à côté de lui! ». Le congédiement, lui, est un processus privé, «Vous n’avez pas à faire le tour de bureau pour sonder s’il faut congédier Frank».
La transparence? «Mon opinion est controversée… mon expérience démontre que la plupart des entreprises ne peuvent pas gérer une divulgation totale d’information. Il appartient donc à la direction de décider ce que les gens doivent savoir. Tout le monde n’a pas besoin de tout savoir.»
3-Structure
Pour accueillir de l’argent frais… il faut d’abord en dépenser. «Prévoyez entre 15 000$ et 20 000$, pour les services d’un bon cabinet d’avocats qui aidera à structurer votre entreprise. Si vous ne disposez pas de cette somme, vous devriez peut-être reconsidérer solliciter du capital-risque.»
Ajoutez à cela le recrutement d’un bon cabinet-comptable (entre 500$ et 1000$/mois). «Il vous aidera à définir comment garder le compte de ce qui se passe dans votre entreprise.»
Il faut aussi prévoir un budget pour couvrir les polices d’assurance responsabilité de vos futurs administrateurs.
Et, pour terminer, en vue de l’arrive du capital-risque, il serait opportun d’implanter un programme d’option d’achat d’actions pour les employés.
4-Fondateurs
«Au début, tout est magique. Ne vous méprenez pas, ceci n’est pas de l’amour. Vous ne vous mariez pas, vous vous lancez en affaires. Encadrez votre association comme une entreprise, pas comme un couple. Établissez une structure qui permet de se départir d’un fondateur.»
5-Clauses d’exclusivité
Attention à l’emploi de ce mot dans les contrats, il peut revenir vous hanter plus tard.
6-Propriété intellectuelle
Tout comme pour les clauses d’exclusivité, il faut y consacrer son attention.
7-Gestion des ventes
«Repoussez les ventes importantes le plus tard possible! Je sais, cela paraît insensé, pourtant… » En effet, je dois avouer que, sur celle-là, Randy Smerik m’a étonnée. «Si vous affichez des ventes mensuelles en croissance au moment de solliciter du capital-risque, c’est le seul indicateur auquel les investisseurs s’attacheront. Ils ne verront pas votre super équipe de développeurs, votre produit innovateur, etc. Peut-être que votre modèle d’affaires et votre produit se prêtent à cette analyse. Peut-être pas. À vous de juger.»
8-Attentes des sociétés de capital-risque
Une société de capital-risque désire multiplier son investissement par 10. Pour qu’elle récolte sa mise, il faut : que la société soit vendue ou qu’elle procède à un appel public à l’épargne. La seconde option se produit de moins en moins souvent. Il reste donc la vente. Au cours des dernières années, le jeunes pousses ont été acquises pour un prix variant entre 20M$US et 60M$US. Le principal acheteur se nomme Google, suivi par Microsoft, Amazon et Apple.
Pourrez-vous satisfaire l’appétit d’une société de capital-risque?
Tentons un exemple. Imaginons une jeune pousse qui a vendu 23% de ses parts à une société de capital-risque en échange de 3M$. Le fondateur, qui avait investi 2M$US, a conservé 31% des actions.
Un acheteur sorti des buissons offre 40M$US. Le fondateur est aux anges, il en retirera 12M$US. Petit problème: la société de capital-risque, elle, gagnera 9M$US, soit trois fois sa mise. On est loin d’un rendement décuplé. L’investisseur refuse donc l’offre, surtout s’il pense que la société peut se bonifier en poursuivant ses activités, et en profitant de ses conseils. Il s’opposera encore plus violemment si la société affiche plus de potentiel que ses autres investissements. «On se doute que les relations vont devenir tendues. Si l’entrepreneur pensait avoir atteint son pic de croissance, il aurait fallu en parler à l’investisseur… avant l’arrivée de l’offre. Un investisseur a besoin de contexte en temps réel.»
9-Définition du succès
«Pour un entrepreneur, quatre issues sont possibles: vous échouez, vous créez une entreprise «style de vie» qui vous permet de bien vivre, ainsi que vos employés, vous vendez votre entreprise ou vous procédez à un appel public à l’épargne. Nous sommes ici pour parler des deux dernières issues. La définition du succès en affaires, en tout cas la mienne, consiste à rendre son entreprise «liquide» (qu’on puisse la vendre, en totalité ou en partie). Le succès ne consiste pas à créer le meilleur produit ni à bâtir une entreprise qui nous rapporte un revenu annuel de 130 000$.» On aura donc réussi en affaires le jour où l’on aura vendu son entreprise. Le succès devient un fait d’armes passé. Le présent ne compte pas. C’est triste. Sans compter que 130 000$ c’est beaucoup d’argent aux yeux de beaucoup de gens.
Randy Smerik a raison d’inviter les entrepreneurs à réfléchir à leur version du succès et à déterminer ce qu’ils sont prêts à faire pour atteindre ce succès.
C’est un excellent conseil. Comme tous ceux qu’il a prodigués lors de cet atelier.
Nous devrions tous pouvoir énoncer notre vision du succès. Tout en étant conscients que celle-ci peut évoluer, au fil des rencontres que l’on fait et des expériences que l’on vit.