Steven Guilbeault est appelé à sauver l’image du Canada
Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑novembre 2021Steven Guilbeault devra exercer un leadership sur les engagements de son gouvernement quant à la transition énergétique. (Photo: Vanessa / CC)
CHRONIQUE. La COP21, tenue à Paris en 2015, avait permis à Justin Trudeau de se donner une image de champion environnemental. Mais il a fallu déchanter, le gouvernement n’ayant réalisé qu’une très faible partie de ses engagements.
« Le Canada est de retour », avait proclamé le nouveau premier ministre pour marquer sa différence avec Stephen Harper, qui s’était distingué en sortant le Canada du protocole de Kyoto, signé par 184 pays en 1995.
Forte de 197 pays, la COP26 n’a toutefois pas donné les résultats attendus. Elle s’est même très mal terminée, la Chine et l’Inde ayant réussi à la dernière minute à faire changer le mot « éliminer » par le mot « réduire » quant à l’utilisation du charbon, ce qui a suscité des larmes et des excuses de la part du président de la conférence. Pour la première fois, la conférence a inclus les mots « charbon » et « énergies fossiles » dans sa déclaration. Pas de quoi impressionner Greta Thunberg, qui a qualifié la COP26 de « bla bla bla ».
Il n’y a pas eu d’accord ferme sur le plafond de 1,5 oC de la croissance du réchauffement de la planète par rapport au niveau de l’ère préindustrielle (1850), alors que la température moyenne s’est déjà accrue de 1,1 oC. Selon la tendance actuelle, la planète se sera réchauffée de 2,7 oC d’ici 2050 et de 4 oC en 2100. Cela montre les limites du processus actuel. Il faudrait peut-être passer des discussions à la médiation, comme l’a suggéré l’ex-juge Louise Otis, dont la réputation de médiatrice est reconnue à l’échelle internationale.
Facile de comprendre la déception du directeur général de l’ONU, António Guterres, selon qui « nous courons à la catastrophe ». Attendons-nous à plus de désastres naturels (inondations, glissements de terrain, ouragans, incendies, désertifications, assèchements de réservoirs d’eau naturels, canicules intenses, etc.) et à plus de décès et de pertes économiques. Ne vaudrait-il pas mieux prévenir ?
Il y a eu certes des engagements, tels ceux de 80 pays de réduire de 30 % d’ici 2030 leurs émissions de méthane, de 20 pays de supprimer leurs « subventions internationales » aux énergies fossiles, et d’autres sur la protection de forêts. Le Canada a pris ces engagements.
Guilbeault mis à l’épreuve
Comme d’autres, Steven Guilbeault aurait voulu un engagement et un échéancier sur l’élimination des subventions aux énergies fossiles. Il pourra néanmoins s’assurer que son gouvernement respecte son objectif de réduire les GES du Canada de 40 % à 45 % d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 2005, et d’arriver à la carboneutralité en 2050.
Justin Trudeau a envoyé un signal fort en nommant Steven Guilbeault ministre de l’Environnement et du Changement climatique. Celui-ci bénéficie d’une crédibilité certaine, bâtie sur plus de 25 ans d’activisme, d’expérience, de connaissances et de 19 participations à des conférences sur le climat. Sa première date de 1995 à Berlin, où il a bloqué la porte d’une salle de conférence pour forcer les participants à prendre de vrais engagements. En 2001, il a escaladé la tour du CN à Toronto pour y accrocher une bannière dénonçant l’inaction climatique de Stephen Harper et de George W. Bush. Justin Trudeau devra donc composer avec un homme qui a des convictions et une réputation qu’il s’assurera de préserver. Tout en étant capable de fermeté, il est calme, ouvert au dialogue et pragmatique.
Faire plus et plus vite
Le gouvernement Trudeau sera jugé sur ses nouveaux engagements et sur l’influence qu’il exercera lors des prochaines conférences. Coprésident du chantier sur le Fonds d’adaptation de 100 milliards de dollars américains (G$ US) destiné aux pays pauvres, Steven Guilbeault devra négocier sa véritable mise en route en 2023. Le Canada y contribuerait 5,3 G$ US en cinq ans.
Sur le plan intérieur, il devra exercer un leadership sur les engagements de son gouvernement quant à la transition énergétique, qui commandera des investissements colossaux en transport collectif (infrastructures et électrification) et dans les énergies renouvelables. Il devra aussi savoir dire non aux mauvais projets.
L’urgence climatique requiert également plus d’actions de la part des provinces et des municipalités pour promouvoir le transport collectif et l’efficacité énergétique des bâtiments et pour contrer l’étalement urbain. Selon Ouranos, le Québec ne peut pas se péter les bretelles, ayant une trajectoire de réchauffement de 3,5 oC et même de 4 oC et de 5,4 oC respectivement dans sa partie sud et dans le nord. Nous sommes parmi les plus grands pollueurs sur une base par habitant.
Certes, les consommateurs doivent se montrer plus responsables dans leurs décisions et les entreprises doivent réduire ardemment leurs émissions de GES. Mais ces acteurs ne sauveront pas la planète par eux-mêmes, d’où l’obligation pour les gouvernements de prendre des décisions courageuses, à savoir contraignantes.
Par exemple, alors que l’on donne de généreux crédits de taxe pour l’achat de véhicules électriques, on ne décourage pas les acheteurs à acquérir des «pick up» et autres véhicules hautement énergivores, comme on le fait en France. On paie des taxes pour faire ramasser nos déchets. Qu’attend pour nous faire payer davantage pour le carbone que nous rejetons allègrement dans l’atmosphère ?
On ne peut pas ignorer le péril qui guette la planète. Autrement, c’est un héritage empoisonné qu’on laissera à ceux qui vont suivre. Cette responsabilité devrait nous obséder.
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J’AIME
Le gouvernement de François Legault veut permettre le morcellement des terres agricoles pour encourager l’achat de petits lopins de terre par des agriculteurs de la relève et innovateurs, qui y cultiveraient surtout des produits maraîchers et bios. C’est dans l’esprit d’un important rapport du regretté Jean Pronovost, qui avait proposé en 2008 de favoriser la production agricole artisanale et de casser le monopole de l’UPA. Salué par plusieurs observateurs pour sa créativité, ce rapport a été condamné par l’UPA, puis remisé par l’État.
JE N’AIME PAS
Selon le très crédible Tax Justice Network, qui réunit des dizaines d’experts dans plusieurs pays, le gouvernement du Canada perd 6,6 G$ CA de revenus fiscaux par année à cause d’échappatoires utilisées par des sociétés et des familles fortunées. Cette immense perte place le Canada au 10e rang du palmarès des pays les plus irresponsables sur ce plan, derrière des paradis fiscaux bien connus, mais aussi devant les Bermudes, les îles Vierges britanniques et Panama. Imaginons les programmes sociaux que nous pourrions financer avec cette fuite de revenus.