«En 2019, nous sommes à l’âge médian – 65 ans – de prise de retraite des baby-boomers, soit des personnes nées entre 1946 et 1963, donc âgées de 56 à 73 ans», rappelle Gaétan Veillette, fellow administrateur agréé et planificateur financier chez IG Gestion de patrimoine. (Photo: courtoisie)
GESTION DE PATRIMOINE. Le plus important transfert intergénérationnel de richesse de l’histoire du pays est en cours, souvent jumelé à des legs d’actifs immobiliers ou d’entreprises. Les professionnels de la gestion de patrimoine s’adaptent à cette réalité en offrant de nouveaux produits et services spécialisés.
Le Canada est une mine d’or, lance Alain E. Roch, fondateur, président et chef de la direction de Blue Bridge, un multi-family office indépendant de Montréal, c’est-à-dire une organisation qui aide les familles aisées à gérer leur patrimoine.
«La croissance économique des dernières décennies, l’envolée du secteur immobilier, la fibre entrepreneuriale des Canadiens – et des Québécois en particulier – et le développement de certains secteurs d’activités prisés internationalement expliquent en grande partie le fait que certains baby-boomers se retrouvent à la tête d’un patrimoine nécessitant une planification successorale multigénérationnelle», analyse-t-il.
Il faut dire que le vieillissement de la population entraîne une accélération importante du phénomène de transfert intergénérationnel du patrimoine du détenteur à une ou à plusieurs personnes qui y sont liées, et possiblement d’un mode de détention à un autre. «Par exemple, lorsqu’un élément du patrimoine détenu par une fiducie pourrait être détenu directement par la génération suivante, ou encore par une société par actions», illustre Gaétan Veillette, fellow administrateur agréé et planificateur financier chez IG Gestion de patrimoine.
En 2016, la Banque CIBC évaluait que 750 milliards de dollars seraient cédés en héritage aux baby-boomers canadiens au cours des 10 années suivantes. L’année précédente, elle indiquait également que près de la moitié des propriétaires ou des dirigeants d’entreprises canadiennes comptait procéder à la transition de leur entreprise au cours des dix prochaines années. «En 2019, nous sommes à l’âge médian – 65 ans – de prise de retraite des baby-boomers, soit des personnes nées entre 1946 et 1963, donc âgées de 56 à 73 ans», précise M. Veillette.
En fait, la croissance du nombre d’aînés s’est accélérée à partir de 2011, la première année où les Canadiens issus du baby-boom ont commencé à fêter leur 65e anniversaire. Les estimations provisoires montrent ainsi que 17,2 % de la population du pays était âgée de 65 ans et plus au 1er juillet 2018, comparativement à 14,4 % au 1er juillet 2011.
Une tendance qui devrait continuer d’augmenter rapidement au cours des prochaines années, alors qu’un Canadien sur cinq devrait être âgé de 65 ans et plus en 2024, selon les données publiées en janvier par Statistique Canada.
Deux associés de SFL Gestion de patrimoine – Partenaire de Desjardins, le directeur, Planification financière et optimisation fiscale Dany Provost et le directeur, Stratégies d’investissement Thomas Jolin, le confirment. «Le volume des transferts augmente naturellement à cause de la courbe démographique, soulignent-ils. Par le passé, nous n’avons pas vu autant de personnes à haute valeur être dans la phase de transfert à l’autre génération [en même temps].»
Nouveaux enjeux
Le Canada est un pays jeune et les grandes fortunes sont récentes, donc les enjeux liés aux transferts intergénérationnels sont récents, poursuit M. Roch. Au nombre de ceux-ci, des particularités fiscales s’appliquant dans le cadre de transferts entre personnes liées, notamment parce que les incidences fiscales diffèrent considérablement selon le type de transfert effectué.
«Le défi est de trouver une stratégie qui atteint le plus possible les buts et objectifs de tous les membres de la famille», signale Jonathan M. Charron, avocat fiscaliste, conseiller en planification patrimoniale et fiscale chez Blue Bridge.
Les membres de la première génération peuvent vouloir monnayer tout ou une partie de leur valeur économique dans l’entreprise. Et potentiellement utiliser certains attributs fiscaux pour optimiser cette opération, tels que la déduction pour gain en capital. À l’opposé, les membres de la seconde génération peuvent vouloir minimiser la charge financière liée au transfert de l’entreprise, ou alors chercher à financer cette opération à l’interne ou à l’externe. Ce qui a des incidences fiscales tant pour les membres de la première génération que pour ceux de la seconde, rappelle Me Charron.
Les transferts intergénérationnels soulèvent aussi des enjeux légaux. Un des aspects fondamentaux à cet égard est la notion de «contrôle et de gouvernance de l’entreprise à la suite du transfert et pendant une période normale de transition», évoque Me Charron. Durant celle-ci, «il peut y avoir un règne mixte entre les générations afin d’assurer, entre autres, la pérennité de l’entreprise, une relation harmonieuse des membres de la famille et la protection des intérêts de chacun des membres de la famille dans l’entreprise», suggère-t-il.
Un autre aspect important est la protection d’actifs et la mise en place de mesures afin de restreindre, ou dans certains cas de faciliter, le transfert des actions de l’entreprise familiale, fait remarquer l’avocat. La mise en place d’une structure de fiducie pour la détention des actions offre une grande flexibilité, que ce soit en permettant d’établir une planification patrimoniale globale pour tous les membres de la famille, en assurant une certaine protection d’actifs à l’encontre des créanciers personnels des membres de la famille ou en offrant des occasions d’optimisation fiscale.
«La conclusion d’une convention entre actionnaires pour régir plus précisément les règles de gouvernance, d’administration et de transfert d’actions de son vivant et au décès complète généralement la stratégie de planification eu égard au contrôle et à la gouvernance de l’entreprise dans ce contexte», estime Me Charron.
Sur-mesure
L’expertise, particulièrement dans le domaine juridique et fiscal, revêt plus que jamais une grande importance dans les interventions des professionnels en services financiers avec ce type de clientèle. «C’est pourquoi les grandes institutions financières se sont dotées d’équipes multidisciplinaires non accessibles aux conseillers autonomes en général, mentionnent MM. Dany Provost et Thomas Jolin. On voit une tendance à développer des offres de service à « 360 degrés » de la part de certaines entités, particulièrement des institutions financières.» Ces offres peuvent prendre la forme de tarifications familiales regroupées, illustrent-ils.
La société de services financiers Richardson GMP a pour sa part créé un département complet «qui fait ce travail pour une clientèle qui recherche ce genre de service très spécialisé, à la fois impartial et discret», explique le planificateur financier Francis Sabourin, directeur de la gestion de patrimoine et gestionnaire de portefeuille au sein de cet établissement.
Outre des prestations d’assurance, des assurances vie et des assurances de dommage, Blue Bridge a quant à elle développé des «prestations d’ingénierie patrimoniale canadiennes et internationales». L’entreprise offre aux membres des familles qui s’en prévalent «une liberté géographique illimitée», incluant la planification financière et les investissements financiers, industriels, immobiliers et même culturels, qu’ils soient pancanadiens ou internationaux. «Nous avons même notre propre agence de voyages pour satisfaire les attentes de nos clients», indique Alain E. Roch.
Par ailleurs, la génération montante n’est pas en reste, précise le fondateur de cette société de fiducie. «Nous avons mis sur pieds l' »Académie Blue Bridge », qui inculque, par des stages offerts aux enfants de nos clients, les bases de la gestion de patrimoine.»