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Denis Lalonde

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Analyse de la rédaction

Taiga: comment perdre la confiance des investisseurs 101

Denis Lalonde|Publié le 04 avril 2024

Taiga: comment perdre la confiance des investisseurs 101

(Photo: Taiga / CNW)

BILLET. Moteurs Taiga (TAIG, 0,30$), qui conçoit des motoneiges et des motomarines électriques, a mis sa production en pause pour une durée indéterminée, le temps d’écouler ses véhicules produits, mais invendus. Cela a provoqué la mise à pied de 70 employés.

L’annonce est survenue le 2 avril, au moment où la société dévoilait ses résultats financiers du quatrième trimestre de son exercice 2024. Ces résultats devaient être diffusés le 28 mars, mais on comprend mieux pourquoi l’entreprise a décalé leur publication de quelques jours.

Pas plus tard que le 19 février, la direction de l’entreprise confirmait avoir supprimé «temporairement» 8% de ses effectifs en janvier, soit 31 postes, pour diminuer ses coûts. Les dirigeants n’avaient alors pas jugé bon de publier un communiqué pour diffuser la nouvelle, mais Radio-Canada et La Presse Canadienne avaient obtenu un mémo interne étayant l’étendue des pertes d’emplois.

La direction de Taiga avait alors simplement confirmé la nouvelle. Une entreprise cotée en Bourse qui aurait eu l’intérêt de ses actionnaires à cœur aurait sans doute fait preuve de plus de transparence, afin de leur éviter d’apprendre la nouvelle par les médias.

À ce moment, la rédaction de Les Affaires était en plein montage du magazine Les Affaires Plus du printemps 2024. Comme chef de l’information, j’avais commandé en décembre dernier un portrait du PDG de Taiga, Samuel Bruneau, au journaliste Simon Lord, en me disant que la publication allait coïncider avec la fin de la saison de la motoneige.

Le texte avait été livré avant l’annonce survenue en février. Comme l’aurait fait tout patron de presse, j’ai alors demandé à Simon de rappeler le PDG pour lui demander de préciser ses intentions pour l’année à venir. Malgré les coupes, il entrevoyait une année de «réalisations et de franchissement de jalons, et ce, en dépit du contexte économique».

Quelques semaines auparavant, il déclarait: «Le marché ralentit, mais notre production reste petite et nos clients sont des enthousiastes ayant plus de moyens. Ils désirent aussi être les premiers à obtenir l’un de nos véhicules, ce qui nous met à l’abri des aléas vécus dans le marché du sport motorisé traditionnel».

Pas plus tard que le 11 mars, au moment d’annoncer l’obtention d’une facilité de crédit supplémentaire d’un maximum de 5,25 millions de dollars (M$) auprès d’Exportation et développement Canada, Taiga se targuait d’avoir produit 417 véhicules (243 motomarines et 174 motoneiges) durant le quatrième trimestre de son exercice 2023. Pour l’ensemble de l’exercice, ce total a atteint 1056 véhicules, beaucoup plus que les 133 fabriqués en 2022.

L’entreprise a toutefois omis de révéler, à ce moment, qu’elle avait livré seulement 119 motomarines et 123 motoneiges durant le quatrième trimestre, pour un total de 242 véhicules.

 

Sous-performance

Nous voici donc un mois plus tard et Taiga, soudainement, a de graves problèmes de liquidités. À un point tel que ses vérificateurs émettent de sérieux doutes sur la capacité de l’entreprise à poursuivre ses activités.

L’un des deux analystes qui couvrent l’entreprise, Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale, souligne que les revenus trimestriels de Taiga ont atteint 6,1M$ au quatrième trimestre. L’analyste anticipait la livraison de 450 véhicules et des revenus de 11,9M$ pour la période.

Il souligne au passage la perte nette de 22,2M$ encaissée durant le trimestre, qu’il attribue à une baisse de la demande et à une très mauvaise saison de motoneige.

Cameron Doerksen explique qu’en plus de supprimer des emplois, l’entreprise a pris des mesures supplémentaires pour réduire ses coûts et la rapidité avec laquelle ses flux de trésorerie diminuent. «Taiga aura besoin de nouvelles sources de financement significatives pour arriver à augmenter sa production et générer les revenus nécessaires pour atteindre le seuil de rentabilité. Nous estimons que la société a développé des produits compétitifs pour les motoneiges électriques et les motomarines, mais même si elle arrive à trouver de nouvelles sources de financement, à la fin, il ne restera plus beaucoup de valeur pour les actionnaires», dit-il.

L’analyste fait donc passer sa recommandation sur le titre de Taiga de «performance égale au secteur» à «sous-performance», alors que son cours cible sur un an passe de 1,40$ à 0,25$.

Dans ce contexte, le plongeon de 53% de la valeur du titre de l’entreprise mercredi est peu surprenant, elle qui est passée de 0,64$ à 0,30$.

Pour une entreprise se disant «à l’abri des aléas vécus dans le marché du sport motorisé traditionnel», on repassera. À travers tout ça, quelques questions restent entières. La direction de Taiga a-t-elle manqué à son devoir de fiduciaire envers ses actionnaires (et envers les médias) en continuant de porter des lunettes roses jusqu’à quelques semaines avant la publication de résultats financiers trimestriels aussi catastrophiques? La situation financière de la société s’est-elle dégradée à ce point rapidement que la direction n’a pas vu la tempête arriver? Pourquoi ne pas avoir embauché des spécialistes en gouvernance?

Chose certaine, si j’avais été actionnaire de l’entreprise, c’est le genre de comportement que je me serais empressé de dénoncer. Si Taiga arrive à se sortir de cette situation sans avoir besoin de se protéger de ses créanciers, la direction aura tout de même beaucoup de mal à se faire pardonner une telle perte de confiance.

 

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