Taïwan: invasion peu probable, mais pression chinoise assurée
François Normand|Publié le 04 juin 2022Des soldat taïwanais ont mené un exercice de guerre urbaine dans la base navale de Tsoying de Kaohsiung le 27 août 2013 à Kaohsiung, à Taïwan. (Photo: Getty Images)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE. À moins que Taïwan ne proclame officiellement son indépendance, l’invasion de l’île par l’armée chinoise est un scénario peu probable, estiment des spécialistes. En revanche, Beijing continuera de faire pression sur l’État taïwanais afin de forcer une «réunification pacifique» à la Chine communiste.
Voilà la principale conclusion d’un symposium (Is the War over Taïwan Coming?) qui s’est tenu à cette semaine à Montréal, et qui était organisé par le Réseau d’analyse stratégique (RAS). Cet organisme est le fruit du programme Mobilisation des idées nouvelles en matière de défense et de sécurité (MINDS), du ministère de la Défense nationale du Canada.
L’enjeu est de taille pour les entreprises canadiennes et étrangères qui ont des échanges économiques avec Taïwan — un État de 24 millions d’habitants, qui est le premier fournisseur mondial de semi-conducteurs — ou avec l’économie chinoise, pour des contrats de sous-traitance industrielle, par exemple.
Car si une guerre éclatait dans la région (qui provoquerait sans doute l’implication directe des États-Unis et de certains de leurs alliés), les chaînes d’approvisionnement mondiales seraient chambardées, voire complètement bloquées dans certains cas.
Les prix de plusieurs ressources, incluant l’énergie, exploseraient. Sans parler des sanctions économiques qui seraient probablement imposées à la deuxième économie mondiale.
L’impact de la crise en Ukraine pourrait apparaître relativement bien mineur comparativement à un affrontement direct entre les deux puissances de l’Asie-Pacifique, avec Taïwan comme épicentre.
Mais pourquoi au juste la Chine communiste voudrait-elle envahir Taïwan?
Parce qu’aux yeux du parti communiste chinois (PCC), l’île est une province renégate (la 23e province chinoise). Aussi, elle doit donc être réunifiée à la Chine, comme l’ont été les anciennes colonies de Hong Kong (britannique) et de Macau (portugaise).
Dans le cas de Taïwan, le leader nationaliste chinois de Tchang Kaï-chek (alliés des Américains dans la lutte contre le Japon durant la Deuxième Guerre mondiale) s’y est réfugié pour établir son gouvernement en 1949, après que les communistes de Mao Zedong eurent pris le pouvoir à Beijing.
Les facteurs qui aggravent le risque d’une guerre
Les quatre spécialistes qui participaient au symposium sont formels: si jamais Taïwan déclarait officiellement son indépendance de la Chine communiste, Beijing attaquerait probablement l’île, même au risque d’un affrontement direct avec les États-Unis.
En fait, Taïwan est de facto indépendante de la Chine, car Beijing n’y exerce pas de pouvoir politique. De 1949 à 1971, Taïwan a même représenté la Chine à l’Organisation des Nations Unies (ONU).
Toutefois, depuis 1971, seule la République populaire représente la Chine à l’ONU.
À moins d’une surprise de taille, les quatre spécialistes ne voient pas la raison pour laquelle le gouvernement de Taïwan prendrait un tel risque en faisait une déclaration formelle d’indépendance.
Le maintien du statu quo — qui plus est, sous le parapluie américain — apparaît en effet de loin le choix le plus rationnel.
Les facteurs qui atténuent le risque d’une guerre
Plusieurs facteurs pourraient empêcher la Chine de vouloir lancer une invasion de l’île, même sans déclaration d’indépendance formelle de Taïwan.
Ils sont essentiellement d’ordre économique et politique.
Le commerce international serait perturbé, dont l’économie chinoise est si dépendante. Les approvisionnements énergétiques de la Chine seraient compromis. Le pays se verrait imposer des sanctions économiques de la part des États-Unis et de l’Union européenne.
Les sanctions économiques imposées à la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine donnent une idée de la médecine de cheval qui pourrait s’appliquer à la Chine.
Il y a aussi des considérations politiques.
L’économie mondiale serait entraînée dans une récession, ralentissant du coup la croissance chinoise. Or, tout arrêt à la création d’emplois en Chine peut créer de l’instabilité politique dans un pays où le filet social est beaucoup moins développé qu’en Occident.
Même si un renversement du PCC est très improbable dans un avenir prévisible, il ne faut pas pour autant exclure un «printemps chinois».
Le président chinois Xi Jinping (au centre) fait de la réunification de Taïwan à la Chine communiste une priorité nationale. (Photo: Getty Images)
Forcer la main à Taïwan sans un coup de feu
Un autre scénario possible évoqué lors du symposium est une «réunification pacifique» de Taïwan à la Chine, et ce, sans que l’armée chinoise n’ait à débarquer sur l’île.
Comment? En provoquant du désordre et de l’instabilité dans la société taïwanaise de manière constante et répétée. Cela pourrait par exemple se traduire par des cyberattaques, des coupures d’électricité, voire des campagnes pour diviser les Taïwanais.
Ce serait une sorte de guerre d’usure psychologique. Épuisée, une majorité de la population pourrait alors désirer une réunification à la Chine communiste.
Bien malin qui peut prédire comment se dénoueront à terme les tensions autour de l’avenir de Taïwan.
Chose certaine, la Chine communiste ne renoncera jamais à contrôler un jour l’île, du moins dans un avenir prévisible, s’entendent pour dire les quatre spécialistes. Si un scénario d’invasion semble peu probable, la région demeurera l’un des principaux points chauds dans le monde pour les années et les décennies à venir.
Aussi, les entreprises canadiennes actives dans cette région du monde devront apprendre à vivre avec ce risque géopolitique, difficilement quantifiable pour l’instant.
Et celles qui seraient tentées d’écarter ou de minimiser ce risque devraient garder en tête la guerre en Ukraine.
Qui avait prévu en effet que la Russie envahirait l’Ukraine avant le 24 février?