(Photo: courtoisie)
EXPERT INVITÉ. En 2019, Tero, fondée par Valérie Laliberté et Elizabeth Coulombe, suscitait l’intérêt des médias. L’entreprise de Québec venait de réaliser l’impossible, soit d’amasser plus de 1 million de dollars en prévente sur Kickstarter en moins de 24 heures. Bien au-delà de leur objectif de 70 000 $ établi initialement.
L’entreprise proposait au public un produit qui pourrait révolutionner la façon de composter, et par le fait même réduire la quantité de déchets. Il visait à être le seul produit au monde aussi performant et rapide.
Les médias titraient : «Prévente de l’appareil à engrais Tero : le projet connaît un grand succès», «Un composteur nouveau genre remporte un incroyable succès», etc. Ces mêmes médias, qui ont évidemment contribué au buzz derrière l’entreprise, se sont empressés cette semaine de rapporter l’échec de l’entreprise : «Faillite de Tero : les clients risquent de ne pas revoir leur argent» et «Tero ferme ses portes et laisse derrière de nombreux clients frustrés». Évidemment, ces journalistes (qui n’ont aucune expérience en affaires) ont vite mis en avant tous les côtés négatifs de l’histoire : les clients qui ne recevraient jamais leur produit, les investisseurs qui perdraient leur argent, etc. Certains articles tentent même de laisser sous-entendre que les fondatrices n’ont pas d’empathie pour les consommateurs et que Tero était une arnaque. Dans tout échec entrepreneurial et faillite, il y a de nombreux perdants, incluant les entrepreneurs qui ont mis toute leur énergie à tenter d’en faire un succès et qui devront maintenant vivre avec ce poids pour des années. Entreprendre, c’est prendre des risques!
J’ai rencontré pour la première fois la co-fondatrice de Tero, Elizabeth Coulombe, il y a quelques mois, lors d’un jury pour les bourses Pierre-Péladeau, dont elle avait été récipiendaire. Lorsque je lui demandai bonnement : et puis, comment vont les affaires? Elle me répondit que c’était très difficile en ce moment et qu’elle tentait de trouver du financement pour relancer l’entreprise. J’ai rapidement senti une grande sincérité et un désir que cela fonctionne. Malheureusement, le résultat est celui qu’on connaît aujourd’hui. Comme j’en ai parlé dans mon blogue «Enfin un programme pour les entrepreneurs en difficulté», j’ai moi aussi vécu un échec entrepreneurial important m’ayant conduit à faire une proposition de consommateur. Je peux donc très bien comprendre ce que vivent en ce moment les deux fondatrices. En tant qu’entrepreneur en série, je sais très bien les nombreux défis que représente la création d’une entreprise.
Le quotidien est parsemé de difficultés, de risques personnels importants, de sacrifices. C’est encore plus vrai lorsqu’on tente de bouleverser une industrie et d’innover. Trop souvent, on oublie que l’innovation, c’est faire quelque chose que personne n’a fait avant et que par conséquent, il est probable que cela ne fonctionne pas. Dans le cas de Tero, nous n’avons pas affaire à une histoire où deux jeunes femmes se sont enrichies personnellement ou ont menti délibérément, comme Elizabeth Holmes de Theranos. Au contraire, nous avons deux femmes brillantes et travaillantes qui ont tout risqué pour lancer une entreprise avec probablement beaucoup d’enthousiasme et de naïveté. Et vous savez quoi? Comme la majorité des entrepreneurs, elles n’ont pas réussi. Les entrepreneurs, chaque jour, prennent des risques. Il en est de même pour les investisseurs : ils savaient qu’il y avait des risques, mais ils estimaient que les chances de succès en valaient la chandelle.
Pandémie, inflation et problèmes d’approvisionnement
L’élément que les médias semblent surtout oublier est l’impact majeur qu’a eu la pandémie sur l’entreprise. En quelques mois, il est devenu quasiment impossible de s’approvisionner, les coûts de transport ont fait été multipliés par dix si ce n’est pas plus, l’inflation s’est mise de la partie, augmentant souvent de 30% le coût des matières premières et finalement, la hausse des taux d’intérêt a eu un impact massif sur l’accès au financement. Est-ce qu’un seul entrepreneur pouvait prédire cela? Je ne pense pas! De lancer un produit révolutionnaire est déjà très ambitieux et complexe. Même avec tous les indicateurs au vert, les chances de succès sont faibles. Ajouté à cela les éléments précédents et l’échec est fort probable. Il est toutefois louable d’être allé au bout de ses ambitions, même si le résultat n’est pas lui souhaité.
Une reprise de l’histoire de SmartHalo
La fermeture de Tero me fait énormément penser à celle de SmartHalo, cette autre superbe start-up montréalaise ayant levé plus de 500 000 $ en 2015 sur Kickstarter, bien au-delà du 75 000 $ demandé et plus de 2 millions de dollars en 35 jours pour sa version 2.
Tout comme pour Tero, l’histoire de SmartHalo était très inspirante et un exemple de succès dans la communauté start-up. Leur appareil avait séduit des milliers de consommateurs dans plus de 70 pays. La deuxième génération de l’appareil, le Smart Halo 2, avait attiré 2 millions en précommandes et elle avait été choisie par le magazine «Time» en 2019 parmi les 100 meilleures inventions de l’année. Et est arrivée une pandémie qui a changé très rapidement la trajectoire de l’entreprise : les restrictions sur les déplacements et les défis d’approvisionnement auront mené l’entreprise à l’échec.
Dans un article de «La Presse» du 16 novembre 2021 annonçant la fin de l’entreprise, le fondateur de SmartHalo, Xavier Peich mentionnait : «On a vraiment tout essayé […] Mais entre le design et la production commerciale, il y a beaucoup d’étapes. J’aimerais pouvoir rembourser tout le monde, mais il ne reste plus rien.»
Encore une fois, comme dans Tero, des clients furieux menaçaient l’entreprise de poursuite. Toujours dans cet article, le fondateur rappelait que «quand on achète sur Kickstarter, il y a toujours un élément de risque. On aimerait rembourser les gens, mais il ne reste plus rien.»
Un potentiel effet boule de neige
L’un des plus gros dangers de la faillite de Tero et l’hypermédiatisation de son échec est l’effet boule-de-neige que cela risque d’avoir sur d’autres start-ups, principalement celles qui s’adressent directement au consommateur (B2C) ou qui avaient dans les plans de lancer une campagne de sociofinancement prochainement.
Comme le rappelait si bien le professeur Luc Giguère dans son cours «Initiation à l’entrepreneurship technologique» à l’ÉTS : «la principale raison pour laquelle les gens choisissent IBM n’est pas que c’est la meilleure solution ou la meilleure technologie, c’est que tu ne perds pas ton job, car tu as choisi IBM contrairement à une start-up». Plusieurs grandes entreprises jouent sur l’instabilité potentielle des start-ups pour bloquer le chemin à leur développement. Nous avons vécu la même chose chez Connect&GO lors de notre arrivée dans le marché des parcs d’attractions : certains clients nous demandaient nos états financiers pour confirmer notre solidité financière et s’assurer que nous serions toujours là dans dix ans.
De ce fait, lorsqu’une prochaine entreprise proposera un produit révolutionnaire, le cynisme risque de se mettre de la partie. « Encore un autre sur Kickstarter qui ne fonctionnera pas » ou « ça va finir comme les autres, on ne mettra pas notre argent là-dessus ». Pourtant, sans ce financement, les entrepreneurs n’auront même pas la chance de leur prouver qu’ils ont tort. Ils devront probablement se résigner à faire un projet moins ambitieux ou se trouver un emploi… Est-ce vraiment ce qu’on souhaite comme société? Personnellement, j’espère que non. Sans risque, pas d’innovation.
Félicitations aux fondatrices!
Les prochaines semaines et mois seront très difficiles pour les deux fondatrices de Tero. Il est fort à parier que cela aura un impact sur leur santé mentale et qu’elles devront bien s’entourer pour passer au travers de cette tempête. Pour ma part, je crois qu’au lieu de leur lancer des pierres, on devrait les féliciter d’avoir réussi à mener un projet aussi ambitieux aussi loin, surtout considérant les circonstances auxquelles elles ont dû faire face. C’était leur premier projet entrepreneurial et c’est déjà tout un accomplissement.
Comme le dit si bien l’entrepreneur en série Jean-Michel Ghoussoub dans son message LinkedIn d’encouragement aux fondatrices de Tero : « Le monde, et le Québec en particulier, fonctionne grâce à des PME menées par des entrepreneurs qui risquent gros, travaillent fort et réussissent rarement à s’enrichir. Tôt ou tard, perdre fait partie du parcours de tout entrepreneur. Ça vient avec le fait de risquer et d’essayer de nouvelles choses. Ce que des salariés ou des fonctionnaires ne peuvent pas comprendre, car ils n’ont pas le courage d’essayer. »
Plutôt de blâmer les entrepreneures qui ont tout donné et qui échouent, pourquoi ne pas leur tendre la main et les aider à se relever, afin de souhaiter qu’elles gardent cette fougue et cette énergie et se lancent dans une prochaine aventure entrepreneuriale, qui elle, aura peut-être plus de chance de réussir et contribuera au succès de la société?
Car après tout, c’est en échouant qu’on apprend le plus! Pour ma part, je reste convaincue que les fondatrices de Tero ont énormément appris et qu’on réentendra positivement parler d’elles dans les années à venir!
Si vous aussi êtes un entrepreneur en difficulté en ce moment et que vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à communiquer avec le programme Persévérance entrepreneuriale.