Thierry Limoges: «Pour rester en affaires, il faut investir»
Maxime Bilodeau|Édition de janvier 2020Thierry Limoges, VP, Financement et consultation à la Banque de développement du Canada
FINANCEMENT D’ENTREPRISES. Thierry Limoges cumule 18 années d’expérience à titre de vice-président, Financement et consultation à la Banque de développement du Canada (BDC) pour l’île de Montréal. Des entrepreneurs en quête de sous pour réaliser des projets, il en a vu défiler ! Les Affaires s’est entretenu avec lui à l’aube de la nouvelle année.
Les Affaires – Un tiers des nouvelles entreprises canadiennes ne passent pas le cap des cinq ans et la moitié ne souffle pas ses dix bougies, rapporte une récente étude de la BDC. Pourtant, les sources de financement n’ont jamais été aussi nombreuses et variées. Comment cela s’explique-t-il ?
Thierry Limoges – Quand les gens se lancent en affaires, ils sont bourrés de bonnes intentions. Ils ne manquent pas d’idées. Puis, après un certain temps, leur entreprise grossit et prend de l’importance. Ils se croient alors au bout de leurs peines, se croisent les bras… et n’investissent plus. Cela a pour conséquence d’affecter à la baisse la valeur de leur entreprise, donc sa rentabilité. Par effet domino, ils sont confortés dans leur décision de ne plus investir, ce qui crée un cercle vicieux. À terme, cela peut mener jusqu’à la fermeture pure et simple de l’entreprise. Personne ne souhaite la reprendre, elle ne vaut plus rien ! Les PME qui demeurent en affaires après cinq ou dix ans sont celles qui ne cessent jamais d’investir et d’innover.
L.A. – Quels types d’investissements un entrepreneur devrait-il prioriser pour briser ce cercle vicieux ?
T.L. – Après quelques d’années, nos téléphones intelligents sont obsolètes et doivent être remplacés. C’est la même chose pour les PME : elles se doivent d’investir continuellement en technologie pour demeurer à la page. Il faut renouveler son parc technologique, ne pas prendre de retard en repoussant sans cesse l’achat de tel ou tel logiciel. Une entreprise gagne ainsi en efficience, ce qui réduit sa dépendance à la main-d’oeuvre. En contexte de pénurie, c’est évidemment un avantage.
Les PME peuvent aussi améliorer leur processus de production. Cela ne passe pas nécessairement par l’achat de nouveaux équipements ; on peut intervenir sur des variables comme le gaspillage, l’approvisionnement, la formation de la main-d’oeuvre. Dans les deux cas, elles gagnent à consulter des experts indépendants afin de mieux cibler leurs besoins et les sources possibles de financement.
L.A. – Avec la signature récente de différents traités de libre-échange par le Canada, croyez-vous que la conquête de nouveaux marchés apparaît plus que jamais comme un incontournable ?
T.L. – Pour une PME, la diversification de ses marchés d’exportations peut en effet être très rentable. Au Québec, nous sommes grandement dépendants du marché américain : les trois quarts de ce que l’on exporte y sont destinés. On gagne pourtant à regarder ailleurs qu’aux États-Unis, tout particulièrement dans le nord-est du pays. Il y a beaucoup d’autres marchés à développer que celui-ci. J’ai en tête l’histoire d’un fabricant québécois de piscines qui s’est tourné vers l’Australie pour vendre ses produits. Les saisons y sont à l’exact opposé des nôtres. Quand c’est l’hiver ici, c’est l’été au pays des kangourous, et vice-versa. Cette décision lui a permis d’augmenter significativement son chiffre d’affaires, car auparavant, toute son année se jouait en quelques semaines seulement, au printemps. Néanmoins, le développement de marchés outremer peut effrayer les banques. Heureusement, il existe des entités spécialisées là-dedans, comme Exportation et développement Canada (EDC).
L.A. – Finalement, le raz-de-marée de transferts d’entreprise anticipé il y a quelques années s’est-il concrétisé ?
T.L. – Parler de vague n’est pas exagéré : nous sommes témoins d’une augmentation constante du volume de transferts d’entreprise, et ce, depuis au moins trois ans. Cela s’explique par la pénurie de main-d’œuvre qui sévit actuellement, de même que par le vieillissement de la population. Le nerf de la guerre d’une opération de transfert est sa planification. Le financement en est plutôt la résultante. Les plus belles transactions sont travaillées sur des périodes qui se chiffrent en années. Plusieurs variables pèsent dans la balance et influencent le type de financement qu’on peut obtenir pour un transfert. À qui est vendue l’entreprise ? À l’interne ou à l’externe ? Vend-elle ses actifs ou ses actions ? Il y a aussi tout un jeu fiscal en trame de fond dont il faut prendre compte. Mon message, encore une fois, est de bien s’entourer durant ce processus. Se fier à son seul instinct sans valider ses impressions est le meilleur moyen de commettre une faute lourde de conséquences.