Trois enjeux pour Biden: la pandémie, l’économie, la démocratie
Jean-Paul Gagné|Édition de Décembre 2020Joe Biden (Photo: 123RF)
CHRONIQUE. Le succès ou l’insuccès politique et économique de la présidence de Joe Biden repose sur le résultat des élections du 5 janvier prochain pour les deux postes de sénateur de la Géorgie au Congrès. Cette élection résulte de la loi électorale de cet État, qui prévoit que ces sénateurs doivent avoir été élus par 50 % des votes plus un, ce qui ne s’est pas produit le 3 novembre dernier.
Si le Parti démocrate remporte ces deux sièges, celui-ci en aura alors 50, à égalité avec le Parti républicain. Il sera alors possible pour Kamala Harris, la nouvelle vice-présidente, de voter, donc de dénouer des impasses au bénéfice de son parti.
Cette éventualité serait une vraie planche de salut pour Biden. En effet, si les républicains conservent leur majorité au sénat, il est sûr que le président y rencontrera la même hostilité que celle dont a été victime Barack Obama. Il est prévisible en effet que le troupeau de sénateurs républicains adoptera très souvent les tactiques de blocage que leur dictera leur chef, le puissant Mitch McConnell. C’est lui qui a su coaliser son caucus pour défendre Donald Trump lors de la tentative des démocrates de le destituer. McConnell travaille plus pour son parti que pour le pays. Grâce au financement électoral propre aux États-Unis, McConnell a dépensé 94 millions de dollars américains (M$ US) en publicité cet automne pour protéger la réélection d’une douzaine de collègues. Ceux-ci lui seront reconnaissants.
En revanche, Joe Biden a noué de bonnes relations avec plusieurs sénateurs républicains au cours de ses 36 ans au Sénat. Cela pourrait l’aider lors de votes serrés malgré l’obstruction du clan McConnell.
Grandes priorités
La composition du Sénat sera déterminante pour les réponses que devra apporter Biden quant à plusieurs sujets sociétaux (division extrême des électeurs, menaces sérieuses à la démocratie, inégalités grandissantes, etc.), pour la réalisation de ses principaux engagements et pour reconstruire ce que Trump a saboté.
Quatre urgences s’imposent : développer une stratégie de lutte contre la COVID-19 ; organiser la distribution des vaccins avec les États et les grandes villes ; soutenir les victimes de la crise ; relancer l’économie. Au moment où j’écris ce texte, des sénateurs des deux partis travaillent à un plan de soutien de 908 milliards de dollars américains (G $ US) visant les chômeurs, les PME, les étudiants, les écoles, le transport collectif et les soins de santé.
Biden devra aussi s’attaquer à la réalisation de ses engagements, tels que des investissements de 2 000 G$ US dans les énergies vertes, l’extension de l’Obamacare à 97 % de la population, une réforme de la justice criminelle pour civiliser les rapports entre la police et les gens de couleur, le désendettement des étudiants, la hausse du salaire minimum fédéral à 15 $ l’heure, la régularisation des immigrants illégaux, l’abandon de la séparation des enfants et des parents qui traversent illégalement la frontière, la hausse des impôts des riches, grands bénéficiaires de la réforme fiscale trumpienne de 1,9 G$.
Cette réforme a fait croître la dette nationale, qui est passée en quatre ans de 3 800 G$ US à 6 800 G$ US, soit environ 100 % du PIB. Alors que les républicains au Congrès ont laissé Trump endetter leur pays, plusieurs s’objectent maintenant à ce que Biden recourt à la dette pour financer son programme. Avec un taux d’intérêt de 0,8 % sur des obligations de dix ans, plusieurs économistes jugent que le gouvernement peut accroître son endettement.
Tel est d’ailleurs l’avis de l’économiste réputée de Harvard et ex-présidente de la Réserve fédérale, Janet Yellen, que Biden a nommée secrétaire au Trésor. Première femme à occuper ce poste, sa nomination brise une autre tradition : elle ne vient pas de Wall Street. Manifestement, Biden mise vraiment sur la compétence dans ses recrutements.
Renouer avec le multilatéralisme
Alors que Trump a isolé son pays, Joe Biden devra renouer avec le multilatéralisme. Les États-Unis vont rejoindre l’Accord de Paris sur le climat, et rassurer l’OTAN et l’Organisation mondiale de la santé, à qui Trump a menacé de couper du financement.
Biden devra aussi s’attaquer à plusieurs problèmes ignorés ou créés par Trump : le programme nucléaire de la Corée du Nord, la rupture de l’accord avec l’Iran sur le nucléaire, le rapatriement de 2 500 militaires de l’Afghanistan alors que les talibans et l’ISIS rebondissent, le retrait anticipé de soldats de l’Iraq, où l’ISIS survit, les tensions toujours vives au Moyen-Orient et, bien sûr, l’expansion de l’influence de Beijing dans la mer de Chine orientale et à Hong Kong.
La Chine vient de créer le Partenariat régional économique global (PREG) avec 14 autres pays de la zone du Pacifique, dont le Japon, la Corée, Singapour, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. Ce groupe représente 2,4 milliards d’habitants, 30 % de la richesse mondiale et 50 % de la production manufacturière mondiale. C’est la réponse de la Chine à l’Accord de partenariat transpacifique, duquel les États-Unis se sont retirés après l’élection de Trump. Ce partenariat, dont fait partie le Canada, a été signé, mais il s’agit d’un poids plume par rapport au PREG.
Biden devra aussi renouer avec l’Europe, que Trump a tenté de torpiller, mais c’est surtout avec la Chine qu’il presse de rouvrir un dialogue. Deuxième puissance économique mondiale, la Chine étend son influence méthodiquement et rapidement. Elle restera une concurrente déterminée, mais il nous importe de nous en faire un partenaire relativement aux grands enjeux qui menacent notre planète.
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J’aime
Québec vient d’annoncer un nouveau programme de requalification de la main-d’œuvre de 115 M$ qui s’adressera aux chômeurs qui suivront une formation menant à des professions et des métiers présentant de bonnes perspectives d’emploi. Ce programme est inclus dans les 459 M$ d’investissements d’ici 2022 annoncés récemment à cette fin par le ministre des Finances. De côté, Ottawa consacrera 1,5 G $ en 2020‑2021 pour la formation de la main-d’œuvre, en partenariat avec les provinces. Les clientèles visées sont les personnes non admissibles à l’assurance-emploi, les Autochtones, les personnes handicapées, les jeunes, les travailleurs âgés et les immigrants.
Je n’aime pas
Element AI a été la plus grande bénéficiaire privée de l’aide de l’État dans le développement de l’intelligence artificielle à Montréal. Elle est une pièce maîtresse de cet écosystème, dont fait partie le MILA, l’Institut québécois d’intelligence artificielle rattaché à l’Université de Montréal, qui a reçu beaucoup d’argent de l’État. Element AI, qui vient d’être vendue à la société californienne ServiceNow, continuera d’exister, mais on en sait toujours très peu sur les liens opaques qui l’unissent au MILA, sur ses succès ou ses déboires, sur le prix de la transaction, sur les gains réalisés par ses actionnaires, sur l’évolution de son effectif à Montréal, ni sur la valeur de la propriété intellectuelle cédée à ServiceNow.