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Dominic Gagnon

Innovation entrepreneuriale

Dominic Gagnon

Expert(e) invité(e)

Troubles de santé mentale: les entrepreneurs plus à risque?

Dominic Gagnon|Publié le 17 août 2021

Troubles de santé mentale: les entrepreneurs plus à risque?

On dit souvent que la première étape de la guérison est de comprendre qu’on a un problème. (Photo: Ben White pour Unsplash)

BLOGUE INVITÉ. Depuis le début de la pandémie, j’essaie d’appeler quelques connaissances dans l’écosystème entrepreneurial avec une seule question: «Comment vas-tu ?»

Quoi que le début de la discussion soit souvent superficiel — il ardu d’accepter que nous vivions des moments extrêmement difficiles — rapidement, un point commun revient. La majorité d’entre nous souffre en ce moment.

Certaines personnes souffrent de la décroissance et de l’anéantissement du travail acharné des dernières années à cause de la pandémie. De manière plus surprenante, plusieurs fondateurs ou fondatrices qui possédent des entreprises en hyper croissance dues à la COVID souffrent aussi du stress causé par cette croissance, des défis de recrutement, etc.

Cela m’a mené à me demander pourquoi les entrepreneur(e)s semblent-ils(elles) souffrir plus durement de troubles de santé mentale ?

Bien que les statistiques nationales sur la santé mentale soient troublantes, elles sont carrément terrifiantes pour les entrepreneur(e)s. Selon une étude de Michael Freeman de l’Université de Californie, les «entrepreneur(e)s en technologie sont 50% plus susceptibles de déclarer avoir un problème de santé mentale, certaines conditions spécifiques étant incroyablement répandues parmi les fondateur(trice)s.»

Les fondateur(trice)s sont :

  • 2 fois plus susceptibles de souffrir de dépression
  • 6 fois plus susceptibles de souffrir de TDAH
  • 3 fois plus susceptibles de souffrir de toxicomanie
  • 10 fois plus susceptibles de souffrir de trouble bipolaire
  • 2 fois plus susceptibles d’avoir une hospitalisation psychiatrique
  • 2 fois plus susceptibles d’avoir des pensées suicidaires

Pourquoi les entrepreneurs souffriraient-ils plus durement ? Selon moi (veuillez prendre note que je ne suis aucunement un psychologue), voici quelques hypothèses qui pourraient contribuer à comprendre. Celles-ci sont principalement basées sur ma propre histoire, ainsi que les discussions que j’ai avec de nombreux entrepreneur(e)s.

 

La sélection naturelle

La plupart des fondateur(trice)s sont des personnes intelligentes, motivées et qualifiées dont le CV pourrait presque certainement leur décerner un emploi très bien rémunéré. Pourtant, nous choisissons presque toujours l’épuisant, l’incertain et plus créatif parcours de fondateur(trice) plutôt qu’un emploi bien rémunéré. Je blague souvent en conférence à affirmer qu’il faut «être fou» pour être entrepreneur ! Qui de sensé accepterait de se verser un salaire souvent à 50% de sa valeur sur le marché pour travailler deux fois plus ?

De plus, les fondateur(trice)s sont presque certainement prédisposés à certaines conditions (comme le TDAH) par exemple. Dans son livre The Da Vinci Method, Garret LoPorto cite le magazine Fortune en affirmant que les personnes atteintes de TDAH sont 300 % plus susceptibles de créer leur propre entreprise que les autres.

 

L’effet des histoires à succès dignes d’Instagram

Les récits que raconte notre industrie sont souvent encore moins réels que les photos qui font la une des magazines de mode, mais sont tout aussi destructeurs. Un peu à l’instar des «influenceuses» qui publient des photos modifiées qui mettent une pression énorme sur les jeunes filles en créant un niveau de beauté quasi inaccessible, le flux constant d’histoires sur le «succès du jour au lendemain» et de levée de fonds crée une norme qui devient inaccessible pour la majorité d’entre nous et augmentent notre sentiment de ne pas être à la hauteur.

 

Devoir tout faire

La magie d’une grande équipe réside dans la constitution d’un groupe aux compétences complémentaires. Les fondateur(trice)s débutants n’ont pas une équipe complète et sont tenus de faire des choses pour lesquelles ils ne sont pas bien adaptés. Travailler sur des projets qui ne correspondent pas aux compétences innées d’un(e) leader a tendance à être épuisant sur le plan émotionnel. Il n’est pas rare que dans un démarrage précoce, les introverti(e)s de l’entreprise aient à lancer et à faire des appels de vente tandis que les extraverti(e)s sont obligés de s’asseoir à un bureau et de travailler dans un CRM. Personnellement, ce fut l’un des aspects, avec mon TDAH, qui fut le plus difficile à gérer et qui m’a souvent fait sombrer dans des questionnements profonds.

 

Les start-ups sont «aliénantes»

La nature globale d’une start-up amène souvent les fondateur(trice)s à passer moins de temps avec leur famille, leurs ami(e)s et leurs proches. Au fur et à mesure que le stress dans une entreprise augmente, nous sommes plus enclins à redoubler d’efforts au travail (une réponse naturelle à une urgence). Cette tendance ne fait qu’alourdir davantage notre rôle et nos responsabilités de leader en mettant en sourdine leurs relations de soutien et réduit leur capacité à faire face aux pressions de l’entreprise. Le tout vient aussi avec les commentaires et la pression de l’environnement qui reproche souvent, avec raison, cet isolement de l’entrepreneur(e).

 

L’impression de devoir être invincible

Il y a beaucoup de pression sur les fondateur(trice)s pour rester stable en période de troubles de l’entreprise. En conséquence, ils sont souvent seul(e)s lorsqu’ils ont le plus besoin des autres. Par exemple, durant la pandémie, il était difficile de partager avec les équipes que moi aussi, j’angoissais de perdre «mon job, mon entreprise». Il est aussi souvent difficile de parler avec sa famille ou ses amis proches, ne souhaitant pas les insécuriser ou par sentiment qu’ils ne peuvent pas comprendre.

Idem pour son cofondateur(trice), en particulier lorsque le problème le concerne ! Il m’a personnellement pris des années pour comprendre l’importance comme entrepreneur(e) de s’entourer de personnes à qui je pouvais partager de manière transparente mes défis. Pour ma part, le mixte d’un réseau d’ami(e)s entrepreneurs ainsi que la consultation régulière d’une psychologue m’ont permis de surmonter ce défi.

 

Le syndrome du «je suis mon entreprise»

Les fondateur(trice)s brouillent la frontière entre eux-mêmes et leur entreprise de telle sorte que les échecs de l’entreprise sont souvent ressentis comme des échecs personnels. Perdre un contrat client ou recevoir un «non» d’un investisseur peut ressembler à un rejet profondément personnel. J’en ai parlé à plusieurs reprises dans d’autres blogues sur Les Affaires, mais la séparation du moi avec mon entreprise fut l’un des éléments clés pour retrouver une santé mentale plus solide.

 

Risque financier

En plus du coût d’opportunité, les fondateur(trice)s se privent souvent de salaire et consacrent une part importante de leur capital personnel à leur entreprise. Cela crée un stress financier et une anxiété énormes qui mettent en place un scénario dans lequel une faillite d’entreprise crée également une ruine financière personnelle. Ce fut mon cas en 2015 après avoir subi une fraude dans l’une de mes entreprises. Lorsque toutes vos économies sont dans votre entreprise, cela donne l’impression de vivre avec une épée de Damoclès et pourrait vous rendre incapable de vous concentrer sur les tâches clés, provoquant ironiquement vos pires peurs.

 

La spirale du stress

Les fondateur(trice)s ont du mal à célébrer les petites victoires, car chaque victoire apporte le prochain défi plus grand. Le deuxième moment le plus stressant pour nous est celui qui précède une levée de fonds importante; le moment le plus stressant est juste après.

Je parie que la simple lecture de la liste ci-dessus vous a stressé et vous a permis de vous identifier avec un certain nombre de facteurs qui causent le stress des fondateur(trice)s. Plus que jamais, nous devons mettre au centre de notre développement une bonne santé mentale, sans quoi, nous serons nettement plus à risque de faire face à des enjeux importants qui pourront nuire à notre évolution et celle de notre entreprise.

On dit souvent que la première étape de la guérison est de comprendre qu’on a un problème. Pour ma part, j’ai personnellement vécu toutes les situations que je cite plus haut, mais une fois que j’en ai pris conscience, j’ai su mettre en place des éléments me permettant de retrouver un certain équilibre. Si nous reconnaissons et acceptons nos faiblesses et nous soutenons les uns les autres dans nos imperfections, nous commencerons à voir un écosystème entrepreneurial plus sain et plus durable.

Qu’en pensez-vous ?