Un budget en fort déficit… de mesures pour soutenir l’économie
Véronique Proulx|Mis à jour le 13 juin 2024«L'augmentation de la productivité est cruciale pour la compétitivité de notre économie. Ce n’est pas moi qui le dis, mais François Legault qui en fait son mantra depuis de nombreuses années.» (Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. J’ai eu le plaisir de participer au huis clos du budget du Québec mardi dernier. Je dois vous avouer que je suis sortie assez perplexe et déçue de cet exercice. Le gouvernement a beaucoup parlé en matière de dépenses, mais peu, ou quasiment pas, de création de richesse. Pourtant, si l’on souhaite redresser notre économie et offrir les services publics à la population à la hauteur des attentes, il faut aussi considérer la colonne des revenus.
Les entreprises, notamment les manufacturiers, auraient aimé pouvoir contribuer plus activement à la création de richesse, mais le soutien nécessaire pour y arriver n’est pas au rendez-vous.
Faisons le tour ensemble des principaux éléments qui ont attiré mon attention.
Des prévisions jovialistes
Tout d’abord, le gouvernement semble penser que la croissance économique va reprendre d’elle-même. En effet, il prévoit une croissance de 2,4% des investissements non résidentiels pour 2024 et 2,9% en 2025. Cette hypothèse est basée sur une baisse des taux d’intérêt, une croissance de la confiance des consommateurs, des investissements en décarbonation et le lancement de travaux importants dans le secteur minier.
Il s’agirait d’un revirement complet de situation, expliqué par le gouvernement en grande partie par la baisse éventuelle des taux d’intérêt, qui se fait toujours attendre d’ailleurs.
Devant de tels constats, on est en droit de se questionner sur la réelle portée de la croissance des revenus et la croissance du PIB anticipées. Cette façon de voir s’approche de la pensée magique.
Dans le contexte actuel, nos membres nous disent que l’heure est au report des projets d’investissements, voire leur annulation. En effet, et je vous ramène à un billet publié dans ces pages en décembre dernier, pas moins de 75% des entreprises manufacturières sont affectées par cette hausse. C’est ce que révélait notre sondage automnal auprès de plus de 175 entreprises afin d’analyser les conséquences du contexte économique actuel sur leurs activités. Pour le quart des entreprises (26%), la situation les amène à revoir leurs décisions quant à leur investissement. On est loin de la croissance espérée du côté gouvernemental.
Silence sur la productivité
L’augmentation de la productivité est cruciale pour la compétitivité de notre économie. Ce n’est pas moi qui le dis, mais François Legault qui en fait son mantra depuis de nombreuses années.
En soutenant l’amélioration de la productivité du secteur manufacturier, qui représente 12% du PIB, le gouvernement aurait pu se doter d’une clé pour stimuler la croissance.
D’ailleurs, MEQ avait proposé plusieurs mesures en ce sens, notamment en rehaussant le taux du crédit d’impôt C3i et en bonifiant les crédits d’impôt à la recherche et développement.
Si le rattrapage économique avec l’Ontario doit se faire par plus de productivité et plus d’exportation, nous comprenons mal le manque de mesures concrètes dans ce budget pour y arriver.
La main-d’œuvre et les besoins en matière de productivité sont ignorés
Les besoins en matière de formation de la main-d’œuvre sont persistants et affectent la productivité et la compétitivité de nos entreprises.
Le secteur manufacturier compte plus de 18 000 postes vacants. En parallèle, les budgets du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale vont diminuer de 145 M$ cette année.
La formation de nos travailleurs représente un défi de tous les jours. Dans le contexte où il y a moins d’argent de disponible, le gouvernement doit cesser de saupoudrer les dépenses et prioriser les projets de formation qui visent à rehausser la productivité. Et là, un impact positif sur l’économie pourra se faire sentir.
Quelques éléments positifs, mais qui feront peu bouger l’aiguille
Cela dit, il faut quand même souligner que le budget prévoyait quelques mesures positives pour soutenir le secteur économique.
Pensons d’abord à la mise en place des laboratoires industriels au sein des zones d’innovation ainsi que les investissements dans les secteurs stratégiques de l’aluminium et de l’aérospatial.
Nous devons aussi saluer les 400 M$ annoncés sur 5 ans pour faciliter l’intégration des immigrants à la société québécoise et au marché du travail. C’est nécessaire pour faire face au défi de main-d’œuvre. Enfin, nous soulignons la recapitalisation du fonds Capital ressources naturelles et énergies d’une enveloppe additionnelle de 500 millions de dollars pour le soutenir des projets d’investissement structurants, notamment pour le secteur batterie.
Malheureusement, ces mesures positives demeurent marginales.
Alors que d’autres juridictions rivalisent pour attirer des investissements et favoriser l’essor de secteurs émergents tels que la technologie et les énergies renouvelables, le Québec restera à la traîne. Il suffit de penser au bouquet fiscal que représente l’Inflation Reduction Act (300 milliards de dollars américain) pour s’en convaincre.
Pour ce budget, j’aurais souhaité un peu plus de cohérence entre les objectifs du gouvernement et les mesures annoncées.
Espérons que l’on se rendre enfin à l’évidence que les investissements dans les entreprises peuvent rapporter gros, et ce, au bénéfice de l’ensemble de la société.
Pour (re)lire tous nos textes sur le budget du Québec 2024, c’est par ici.