Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Un marché de l’immigration économique en effervescence

Jean-François Venne|Édition de la mi‑novembre 2022

Un marché de l’immigration économique en effervescence

Le gouvernement fédéral permet depuis janvier dernier aux entreprises de certains secteurs d’employer jusqu’à 20 % de travailleurs étrangers temporaires, deux fois plus qu’auparavant. (Photo: 123RF)

IMMIGRATION. L’immigration économique prend de plus en plus d’importance dans les nombreux pays qui vivent une pénurie de main-d’œuvre. C’est le cas au Québec, où plusieurs défis viennent compliquer le recours aux travailleurs étrangers.

Au Québec, plusieurs éléments se conjuguent pour alimenter la croissance du marché de l’immigration économique. « Les entreprises ont un grand besoin de travailleurs étrangers, qu’ils soient temporaires ou permanents, explique Christophe Berthet, PDG d’Immigrant Québec. Les universités recrutent aussi beaucoup d’étudiants étrangers, dont une partie paie des droits de scolarité beaucoup plus élevés que les Québécois. » 

Cette frénésie se répercute du côté des professionnels qui offrent des services aux immigrants ou aux entreprises qui les embauchent. « Les consultants en immigration, les banques, compagnies d’assurance, agences immobilières, cabinets d’avocats, universités, cégeps et écoles professionnelles, entre autres, convoitent cette clientèle », illustre Christophe Berthet.

 

La controverse des seuils

Malgré tout, plusieurs défis ralentissent l’immigration au Québec, notamment la crainte qu’une immigration massive provoque un recul du français. Alors que le gouvernement fédéral souhaite attirer environ 1 500 000 nouveaux immigrants en trois ans, le gouvernement québécois refuse d’augmenter son seuil d’immigration annuel au-delà de 50 000. Les immigrants qui désirent s’établir au Québec doivent être sélectionnés par le gouvernement provincial avant de procéder à leurs démarches auprès du fédéral. 

« Les seuils actuels du gouvernement québécois ne suffisent pas pour répondre aux besoins des entreprises et les programmes de travailleurs temporaires comportent certaines limites », souligne Me Julie Lessard, avocate qui dirige l’équipe d’immigration d’affaires du cabinet BCF. 

Le premier ministre a récemment ouvert la porte à la création de nouvelles voies pour permettre à davantage d’étudiants ou de travailleurs déjà installés au Québec de devenir résidents permanents, mais seulement s’ils sont francophones.

« Les exigences en matière de maîtrise de la langue française restent assez élevées pour les candidats à la résidence permanente, ce qui bien sûr peut compliquer certains dossiers », reconnaît Me Lessard. Le gouvernement québécois a créé Francisation Québec, un guichet unique pour les personnes qui vivent au Québec ou qui envisagent de s’y établir et pour les travailleurs en entreprises qui souhaitent apprendre cette langue.

 

Sortir de Montréal

En 2019, à peine 15 % de la population active immigrante vivait en région. En mai dernier, le gouvernement lançait un plan d’action pour la régionalisation de l’immigration. Il prévoit notamment de mieux promouvoir les régions à l’étranger, d’instituer des critères et des avantages qui favorisent l’établissement des immigrants en région et de renforcer les services proposés aux entreprises de ces endroits.

L’une des premières mesures offertes a été la diminution des frais de scolarité pour les étudiants de certains programmes qui choisissent des cégeps ou des universités en région.

« La régionalisation se heurte toutefois à la crise du logement, indique Christophe Berthet. Certaines entreprises en région éprouvent tellement de difficulté à loger leurs travailleurs temporaires qu’elles doivent carrément acheter des appartements. »

Le gouvernement fédéral permet depuis janvier dernier aux entreprises de certains secteurs d’employer jusqu’à 20 % de travailleurs étrangers temporaires, deux fois plus qu’auparavant, dans le but de contrer des pénuries de main-d’œuvre. « La liste des postes admissibles à un traitement simplifié continue aussi de s’allonger », souligne Me Lessard. 

L’approche simplifiée évite à l’employeur de devoir présenter des preuves d’effort de recrutement au Québec dans sa demande d’évaluation de l’impact sur le marché du travail, une étape clé — et souvent longue — du processus d’embauche de travailleurs étrangers temporaires. Me Lessard estime que cela réduit les délais d’environ un mois. Les délais qui s’allongent à plusieurs mois ont d’ailleurs fait rager les employeurs qui recrutent des travailleurs étrangers temporaires ces dernières années.

 

Fidéliser les travailleurs étrangers

Par ailleurs, un travailleur étranger temporaire peut désormais plus facilement changer d’emploi pendant son séjour au Québec. Il doit, comme avant, demander un nouveau permis de travail, un processus qui peut prendre plusieurs mois. Cependant, il a maintenant le droit de commencer à occuper son nouvel emploi avant l’obtention de ce permis.

« Cela crée une compétition assez féroce entre les entreprises et certains employeurs qui ont dépensé temps et argent pour attirer des travailleurs au Québec et qui risquent de les perdre une fois qu’ils sont arrivés », souligne Me Lessard. Elle reconnaît que cela protège les travailleurs temporaires, qui ne se retrouvent pas prisonniers d’un employeur, mais ça complique la vie des entreprises. 

La rétention ne concerne d’ailleurs pas que les entreprises individuellement, mais tout le Québec. « Nous devons nous concerter pour augmenter nos chances de garder les travailleurs immigrants chez nous, car la concurrence internationale ne fait que grandir », avertit Christophe Berthet.