La valeur des F&A mondiales pour les six premiers mois de 2021 a atteint 2800 milliards de dollars américains, d’après la firme américano-britannique Refinitiv. (Photo: Gabrielle Henderson)
DROIT DES AFFAIRES. Après un ralentissement marqué dans les deux premiers mois de la pandémie, le marché des fusions et acquisitions (F&A) s’est emballé au point de fracasser des records en 2021. Cette situation met de la pression sur les ressources des cabinets d’avocats.
Comme tout le monde en 2020, les entrepreneurs ont été pris de cours par la pandémie. « On a senti un flottement pendant un trimestre et plusieurs projets de transactions ont été suspendus, raconte Me Pascale Dionne, avocate associée chez Borden Ladner Gervais (BLG). Personne ne s’imaginait que l’activité en F&A reprendrait avec une telle force. »
La valeur des F&A mondiales pour les six premiers mois de 2021 a atteint 2800 milliards de dollars américains, d’après la firme américano-britannique Refinitiv. Un record depuis qu’elle a commencé à recueillir ces statistiques en 1980.
Au Canada, la reprise amorcée à l’été 2020 s’est poursuivie cette année. En date du 31 mai, les entreprises canadiennes avaient été impliquées dans 729 transactions d’une valeur totale de 158 milliards de dollars (M$), selon Financial Post Data (FP Data). En ajoutant les F&A de moins de 5 M$ et celles qui mettent en scène un acheteur et un vendeur étrangers — qu’ignore FP Data —, le nombre de transactions grimpe à plus de 1 985 à la mi-juin, calcule Refinitiv.
On s’arrache les ressources
« Une telle activité met une certaine pression sur les équipes de travail, qui doivent redoubler d’agilité pour répondre à la demande, admet Me Dionne. Chez BLG, les investissements en technologie des dernières années nous ont bien servi pour maintenir une communication et une transmission de documents fluide et efficace pendant cette période. »
Elle ajoute que cette pression n’est pas l’apanage des seuls cabinets d’avocats. « Tous les joueurs du marché la vivent, que ce soient les clients, les firmes comptables, les banques ou les fonds d’investissement. Donc tout le monde se montre compréhensif et collaboratif », assure l’avocate.
En période de pénurie de main-d’œuvre, cette surchauffe du secteur des F&A crée aussi une forte compétition en matière de recrutement. En clair, on s’arrache les avocats d’affaires. « Les ressources, c’est le nerf de la guerre », reconnaît Me Jean-Pierre Chamberland, avocat associé chez Fasken. Depuis un an, le cabinet a embauché trois associés en droit des affaires, en plus de plusieurs jeunes avocats.
Par ailleurs, le virage vers le télétravail a agrandi le terrain de chasse des cabinets. « Des firmes de New York offrent par exemple à des avocats québécois de travailler pour eux, tout en demeurant au Québec, illustre Me Chamberland. Ils proposent les salaires de New York — souvent presque deux fois plus élevé que ceux du Québec — en plus d’offrir une belle expérience à ajouter au CV. C’est une concurrence féroce. »
D’autres prennent le parti de s’unir. Le 10 août, Langlois Avocats a annoncé une alliance avec le cabinet lavallois de droit transactionnel Séguin Racine Avocats, spécialisé notamment dans les F&A et composé d’une vingtaine d’avocats.
Contexte favorable
Si l’activité est présente dans la plupart des secteurs, celui des technologies se démarque. Selon Me Chamberland, plusieurs entreprises entrées en Bourse récemment, comme Lightspeed ou Nuvei, cherchent maintenant à effectuer des acquisitions. Nuvei a d’ailleurs acheté Smart2Pay deux mois après son entrée à la Bourse de Toronto.
Les secteurs de la santé, du cannabis et des infrastructures environnementales sont aussi très actifs, comme le montre l’acquisition de l’américaine Golder par WSP, qui a créé la plus grande firme de services-conseils en environnement au monde. Les offres d’achat concurrentes de Kansas City Southern par CP et CN (plus de 30 G$ chacune) et l’achat de Shaw Communications par Rogers Communications (25 G$) ont notamment marqué les derniers mois.
Comment expliquer une telle frénésie ? Me Jean-Didier Bussières, avocat associé chez Cain Lamarre, indique que plusieurs éléments rendent le contexte favorable aux F&A. « Les entreprises se sont adaptées à la pandémie et se montrent optimistes face à la reprise économique au Canada, aux États-Unis et ailleurs », avance-t-il.
Son collègue du même cabinet, Me Marc-Alexandre Poirier, ajoute que le contexte financier continue d’être très bon. « Il y a beaucoup de capitaux disponibles sur le marché et les taux d’intérêt très bas rendent l’endettement peu coûteux, ce qui aiguise l’appétit des acheteurs », note-t-il.
Reste à savoir combien de temps cela durera. « Nous prévoyons que le rythme se maintiendra en 2021 et au début 2022, mais tenter de voir plus loin dans le contexte actuel demeure assez périlleux, souligne Me Bussières. Mieux vaut être prêt à toutes les éventualités. »