(Photo: Adam Nieścioruk pour Unsplash)
ZOOM SUR LE MONDE. Vous vous souvenez de la publicité des producteurs de lait du début des années 2000 «Un verre de lait c’est bien, mais deux c’est mieux» ? Permettez-moi de la paraphraser pour nous mettre collectivement en garde contre la tentation de trop miser sur les achats locaux pour relancer l’économie en affirmant qu’un peu d’autonomie c’est bien, mais que trop, c’est dangereux.
Oui, dangereux. Surtout durant cette crise économique sans précédent depuis la Grande Dépression des années 1930. Bien entendu, en temps de pandémie, une autonomie est souhaitable dans l’agroalimentaire ou dans la production de matériel médical.
La folle course à obstacles vécue par Ottawa et Québec pour acheter des masques en Chine, puis les acheminer au pays montre à quel point il est impératif pour une société d’être autosuffisante pour certaines choses.
Mais trop c’est comme pas assez, dit l’adage populaire. Une expression qui sied très bien au commerce international des petites nations, à commencer par celui du Québec, une économie de 8,5 millions d’habitants, dont 48 % du produit intérieur brut (PIB) dépend de ses exportations.
Nous avons absolument besoin que le reste de la planète (incluant les provinces canadiennes) achète nos biens et nos services afin d’assurer notre prospérité. Car, si les marchés extérieurs s’atrophient un jour en raison de l’explosion des achats locaux dans le monde, le Québec en pâtira à coup sûr.
Viser un juste équilibre
Aux États-Unis, pays de 328 millions d’habitants, les exportations représentent seulement 12 % du PIB. Les Américains peuvent donc se permettre une plus grande autonomie. Au Québec, nous ne pouvons pas nous le permettre à grande échelle.
«Il faut viser un juste équilibre», précise Louis Duhamel, conseiller stratégique chez Deloitte, qui a publié, en 2017, avec la firme d’études économiques E&B Data, une étude sur cette question, «Soutenir la production locale des entreprises du Québec : la substitution des importations manufacturières – un gisement d’opportunités d’investissement».
Il insiste : la substitution ne s’appuie pas sur une logique de protectionnisme ou de nationalisme économique, mais plutôt sur une logique où il est «rentable» et «économiquement viable» de produire des choses ici plutôt que de les importer.
Les gains sont multiples. On améliore la balance commerciale, on crée des emplois locaux et on augmente les revenus fiscaux du gouvernement.
Cette étude de Deloitte et d’E&B Data, qui sera mise à jour en 2020, a relevé un «gisement potentiel» de 9 milliards de dollars (G$) de substitution d’importations manufacturières dans des secteurs comme la machinerie et l’instrumentalisation, l’agroalimentaire ainsi que les médicaments et le maté- riel médical (incluant des respirateurs).
Ce gisement de 9 G$, qui représente la production additionnelle qui serait faite au Québec et qui s’additionnerait au PIB québécois, est énorme.
Investir dans l’automatisation
En 2017, une analyse effectuée par Les Affaires à partir des données de Statistique Canada avait montré que le montant de 9 G$ équivalait aux exportations combinées du Québec dans cinq pays, soit la Chine, le Mexique, la France, le Japon et l’Allemagne.
L’industrie du textile technique – qui ne figure pas dans ce gisement de 9 G$ – souhaite que le Québec devienne plus autonome dans ses approvisionnements, et la rareté de masques et de vêtements de protection lui donne actuellement raison.
Or, il y a une raison pour laquelle le Québec a cessé de fabriquer ces produits au fil des décennies pour les importer de pays asiatiques, comme la Chine. Les coûts de production étaient trop élevés, de sorte que les entreprises locales n’étaient donc pas compétitives par rapport aux entreprises asiatiques.
Dany Charest, directeur général de TechniTextile Québec, l’organisme qui représente le créneau du textile technique au Québec, en est bien conscient, même s’il milite pour une plus grande autonomie, alors que son industrie affiche un déficit commercial de 1,3 G $ (le double de nos exportations de textiles techniques).
«Il faut investir dans l’automatisation pour devenir des manufacturiers 4.0», dit-il.
C’est la bonne stratégie. Mieux vaut rapatrier de la production au Québec si elle est rentable et économiquement viable que de la soutenir à l’aide de quotas ou de tarifs, même si d’autres pays, eux, peuvent le faire, à commencer par les États-Unis.
C’est la réalité économique du Québec, une réalité qui, du reste, rendra à terme nos entreprises plus compétitives.