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Dominique Beauchamp

La Sentinelle de la Bourse

Dominique Beauchamp

Analyse de la rédaction

Un rentrée boursière empreinte d’optimisme nerveux

Dominique Beauchamp|Édition de la mi‑septembre 2021

Un rentrée boursière empreinte d’optimisme nerveux

(Photo: 123RF)

ANALYSE. Même si sept mois consécutifs de gains pour les grands indices canadien et américains et une appréciation de 20% en huit mois sont statistiquement de bon augure pour le reste de l’année, les investisseurs font preuve d’un optimisme nerveux à la rentrée.

Et pour cause. La propagation du variant Delta mine le moral des consommateurs et ralentit à nouveau le rythme de l’économie mondiale tandis que l’inflation grimpe.

Au moment où Wall Street et Bay Street reviennent de leur pause estivale, les participants indécis se déplacent encore entre les secteurs qui ont bénéficié des tendances pandémiques et ceux qui profitent du retour à la normale, et vice-versa.

Pendant que plusieurs stratèges relèvent leurs prévisions pour les bénéfices et les indices boursiers de 2021 et de 2022 — surtout pour rattraper l’élan inattendu de 2020 —, d’autres appréhendent des secousses cet automne.

Les pessimistes craignent que le marché ne soit pas prêt à la décélération de l’économie et des profits de l’automne au moment où les indices sont chèrement évalués.

Le S&P 500 produit un rendement de moins de 2 % en moyenne sur 12 mois lorsqu’il s’échange à un multiple de plus de 20 fois les bénéfices (actuellement de 21,1 fois), signale l’équipe de gestion de patrimoine de Richardson. Cette firme ne prévoit pas de cassure boursière parce que l’économie et les bénéfices croissent, mais ses experts préfèrent les actions étrangères aux actions américaines à ce stade-ci de la reprise.

 

Des risques à surveiller

Mohamed A. El-Erian, conseiller économique chez l’assureur Allianz, craint que la Réserve fédérale risque une « erreur coûteuse » en prolongeant le rachat de 120 milliards de dollars américains par mois d’obligations. L’inflation s’incruste, dit-il, ce qui pourrait obliger la banque centrale à serrer la vis monétaire plus fortement plus tard.

Tobias Levkovich, de Citigroup, juge que l’optimisme des pros repose sur des « fondations fragiles » que les records des grands indices masquent. Le stratège américain en chef mentionne la performance mitigée de l’indice américain qui accorde un poids égal à tous les titres (le Equally Weighted Value Line Arythmetic Index ) et la chute des titres à faible capitalisation.

« L’optimisme des investisseurs et les évaluations sont étirés au moment où les problèmes d’approvisionnement et la pénurie de main-d’œuvre accentuent l’inflation. La future hausse des impôts des entreprises (pour financer le plan social des démocrates), l’effet sur les marges des sociétés de la hausse des coûts et la réduction prochaine des rachats d’obligations par la Fed sont trois exemples de vents contraires qui se manifesteront », écrit-il.

Le stratège ne serait pas surpris que la Bourse encaisse une chute de 10 % bientôt, après avoir cumulé plus de 200 séances sans correction d’au moins 5 %.

Pour sa part, James Paulsen, de The Leuthold Group, considère aussi que l’incertitude entourant la future politique monétaire de la Fed et l’impasse budgétaire au Congrès sont deux obstacles potentiels pour la Bourse. En revanche, le stratège rappelle que la Bourse génère historiquement de meilleurs rendements lorsque les investisseurs sont inquiets que lorsqu’ils voient la vie en rose. Wall Street a inventé une formule consacrée pour ce paradoxe : « Climbing a Wall of Worry » (escalader un mur d’inquiétudes).

Le stratège croit que les conditions ne sont pas encore réunies pour un mouvement baissier. « La correction pourrait toutefois survenir en 2022 lorsque la Fed aura commencé à réduire ses rachats d’obligations et que les taux auront remonté », entrevoit-il.

Des divergences se retrouvent même à l’intérieur d’une même firme. Le stratège en chef de Bank of America Securities, Michael Hartnett, multiplie les mises en garde depuis des mois, jugeant que les investisseurs sont trop complaisants quant aux risques qui se dressent après le rebond record de 102 % depuis le plancher pandémique de mars 2020, il y a 17 mois.

Par contre, Candace Browning, directrice de la recherche mondiale de la même firme, croit que les investisseurs n’ont rien à craindre de la modération économique au troisième trimestre, elle qui prévoit une réaccélération tant aux États-Unis qu’en Chine dès le quatrième trimestre de 2021.

« Une période de modération après le pic de croissance insoutenable du printemps est inévitable, surtout que le parcours de la pandémie amplifie l’effet de comparaison (des données) », explique-t-elle.

Les 41 indicateurs économiques que compile son équipe restent tous « substantiellement supérieurs à leur tendance à long terme, ce qui devrait rassurer les investisseurs inquiets du ralentissement », ajoute Candace Browning.

À son avis, les prévisions de bénéfices mondiaux seront encore une fois revues à la hausse, comme elles l’ont été tout au long de 2021, puisque les analystes se projetteront bientôt en 2022. Aux États-Unis, trois fois plus d’entreprises augmentent leurs orientations financières que l’inverse, le deuxième plus fort ratio de l’histoire.

Ses modèles suggèrent que la croissance prévue des bénéfices mondiaux en 2022 passera d’un rythme annuel de 8 % à 30 %.

L’experte de Bank of America Securities croit aussi qu’il est encore trop tôt pour redouter le retrait des liquidités par la Fed, car les bilans des quatre principales banques centrales augmentent encore. La première hausse des taux par la Fed surviendra probablement à la deuxième moitié de 2022 et même plus tard si la pandémie se prolonge.

 

Pour une correction probable

Michael Wilson, le stratège de Morgan Stanley qui avait signalé en mars que le cycle économique transitait de la phase de la reprise à celle de la croissance, exprime le dilemme des investisseurs actifs.

Une économie et une inflation plus fortes que prévu inciteraient la Fed à relever son taux directeur, ce qui comprimerait les multiples boursiers de 10 %.

Dans ce scénario potentiel, les secteurs cycliques auraient l’avantage sur les titres de technologie plus chèrement évalués. Parmi eux, le stratège préfère les titres des banques.

Toutefois, si, au contraire, les consommateurs freinaient leurs dépenses après avoir assouvi leur demande refoulée, le ralentissement économique favoriserait alors les secteurs « défensifs de qualité » tels que ceux de la santé et de la consommation de base. Ces deux industries seraient aussi moins vulnérables à l’éventuelle hausse des taux.

Michael Wilson préconise donc ces trois industries à ses clients pour passer au travers du mouvement baissier probable de cet automne.

La trajectoire de l’inflation dictera sans doute lequel de ces scénarios prévaudra. Puisque la politique monétaire n’a aucune influence sur les énormes problèmes d’approvisionnement, il faut espérer qu’une demande plus modérée pour les biens aidera à désengorger la chaîne d’approvisionnement et à freiner bientôt la hausse marquée des prix.