Les chercheurs du laboratoire de recherche en domotique et en informatique mobile à l’Université de Sherbrooke (DOMUS) déterminent les habitudes des aînés grâce des capteurs installés dans leur demeure et peuvent ainsi déceler le moindre changement dans leur horaire. (Photo: 123RF)
MARCHÉS DES AÎNÉS. Les aînés sont de plus en plus friands des nouvelles technologies. Comment ces dernières influencent-elles leur vie ? Et de quelles manières les entreprises peuvent-elles rejoindre les personnes plus âgées grâce à ce canal, tout en innovant pour améliorer leur quotidien ?
Imaginez une maison intelligente : des capteurs permettent de savoir si l’aîné qui y vit a réellement pris sa douche la veille ou s’il a ouvert son frigo. S’il se lève la nuit, un chemin lumineux le ramène jusqu’à son lit. S’il laisse une casserole sur le feu trop longtemps, le rond de poêle s’éteint, en plus d’envoyer une alerte au personnel soignant ou à ses proches aidants.
Non, il ne s’agit pas de science-fiction. Plutôt d’une série d’innovations développées au sein du laboratoire de recherche en domotique et en informatique mobile à l’Université de Sherbrooke (DOMUS), qui collabore notamment avec l’Université de Montréal. «Nous travaillons avec une équipe multidisciplinaire pour aider les personnes âgées fragiles qui ont besoin de soutien à domicile», explique Ariane Tessier, qui y agit à titre de professionnelle de recherche.
Grâce à des capteurs installés dans la demeure des aînés – moins intrusifs que des caméras -, les chercheurs sont capables de déterminer leurs habitudes de vie. Les données recueillies permettent ensuite de déceler le moindre changement dans l’horaire de la personne vulnérable et d’intervenir en cas de besoin. «Si nous voyons qu’elle néglige de se nourrir, par exemple, nous pouvons l’inscrire à un service de popote roulante ou nous assurer qu’elle n’est pas malade», illustre Mme Tessier. Ce projet a été baptisé SAPA, pour Soutien à l’autonomie des personnes âgées.
D’autres outils technologiques sont sortis du laboratoire DOMUS, tels un four intelligent ou encore un calendrier et un téléphone numériques qui permettent entre autres l’utilisation de commandes vocales et d’avatars. Les personnes âgées vulnérables peuvent également recevoir des rappels sonores pour des tâches aussi simples que se brosser les dents, se rendre à un rendez-vous médical, etc. «Nous avons développé ces projets en coconception avec les aînés afin de nous assurer que les produits seront adéquats pour eux, décrit la chercheuse. Et ces produits sont évolutifs.»
Un laboratoire vivant
Le système SAPA sera testé dans les prochains mois dans une trentaine de résidences à Montréal. Quant aux autres produits, ils pourraient être de plus en plus présents sur le marché d’ici peu. Une coopérative de solidarité nommée Ixia a été fondée à cet effet l’an dernier en collaboration avec des partenaires. L’objectif est d’entamer la commercialisation de ces innovations, tout en conservant la démarche humaine et personnalisée du laboratoire.
Plusieurs joueurs, dont certaines résidences de personnes âgées, se sont déjà montrés intéressés, indique Mme Tessier. «Nous sommes aussi en train de réfléchir aux différentes possibilités de rendre ces technologies accessibles au plus grand nombre, par exemple par des fondations.»
S’il est difficile d’évaluer ce marché, les données actuelles laissent croire que le nombre d’objets connectés pourrait passer de 30 à 75 milliards à l’échelle planétaire entre 2020 et 2025. Une bonne part d’entre eux viendront certainement enrichir les gérontechnologies. Pas étonnant que plusieurs acteurs s’intéressent à ces questions, donc.
Cette tendance touche aussi le Québec, confirme une analyse menée par le Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO). Mandaté par le ministère de la Famille en 2018 pour répertorier ces différentes initiatives, l’organisme en a comptabilisé une centaine dans la province, dont l’application Vermeille, qui permet aux usagers à mobilité réduite de Sherbrooke de planifier leurs déplacements en transport en commun, ou encore des start-up comme MedOClock ou Huddol, qui viennent en aide aux proches aidants. La première grâce à un suivi virtuel de différents éléments médicaux, dont la prise de médicaments, et la seconde en créant une communauté de soutien virtuelle.
«En menant cette recherche, nous avons réalisé que plusieurs projets demeuraient à l’échelle locale, même s’ils avaient le potentiel d’être développés à plus grande échelle. Même chose avec les centres de recherche, qui se demandent comment faire vivre leurs projets», explique Mélanie Normand, directrice de projet au CEFRIO. De ce constat est né le Laboratoire d’aide numérique à la vie autonome (LANVA).
Projet collaboratif
Ce partenariat entre le CEFRIO et la Maison de l’innovation sociale (MIS) permet non seulement de mettre en valeur les bonnes idées, mais aussi d’en développer d’autres.
Appuyé par le ministère de l’Économie et de l’Innovation, le LANVA réunit les forces vives du domaine pour réfléchir aux technologies pouvant être mises en place dans différents domaines déterminés par le milieu, qui vont de la mobilité à l’aménagement urbain en passant par la communication avec les proches. Sa démarche inclut tant des chercheurs que des entrepreneurs et des organismes communautaires, entre autres. «Nous avons décidé d’opter pour une démarche de type laboratoire vivant, qui nous permet de travailler avec différents partenaires, y compris les aînés qui deviennent des cochercheurs. Ce qui nous assure que les différents outils et services seront non seulement réellement adaptés à leur réalité, mais qu’ils seront faciles à utiliser pour eux», explique Patrick Dubé, codirecteur général de la MIS. «Cela nous aide à nous assurer que le tout sera plus facilement adopté par les utilisateurs par la suite», renchérit Mme Normand.
Fondé en 2018, ce laboratoire pourra faire émerger – et éventuellement commercialiser – des solutions novatrices destinées à permettre aux aînés de demeurer actifs à l’aide d’outils numériques. Le LANVA servira aussi d’intermédiaire entre les petites entreprises, les fournisseurs de services et les centres de recherche, par exemple. Un projet pilote de deux ans permettra également de documenter l’ensemble de cette démarche.