Une épicerie autogérée pour répondre aux besoins d’un quartier
Mona-Lisa Prosper|Publié le 23 septembre 2022Dimitri Espérance a fondé la Démarche alimentaire locale, première épicerie autogérée du quartier Saint-Henri Ouest à Montréal. (Photo: Courtoisie)
BLOGUE INVITÉ. Ceux qui ont facilement accès à une alimentation saine et variée le tiennent souvent pour acquis, même si ce n’est pas le cas pour des milliers de Montréalais. Cette distance n’est parfois que d’un kilomètre, mais ce sont les plus démunis qui sont affectés par cet éloignement. Lorsqu’on a accès à une voiture ou que les transports en commun sont bien développés dans notre quartier, cette distance ne représente guère que quelques minutes de transport. La situation est tout autre lorsque ce n’est pas le cas, et là sied un enjeu important auquel le concept d’épicerie autogérée vient directement répondre. Ce modèle offre une alternative aux grandes bannières et met la communauté au cœur de ses valeurs et de son fonctionnement. C’est ce modèle qu’a voulu suivre Dimitri Espérance en fondant la DAL (Démarche alimentaire locale), première épicerie autogérée du quartier Saint-Henri Ouest.
Également appelée le Collectif La DAL, cette épicerie est en exploitation depuis février. Dimitri a pu rassembler la communauté du quartier Saint-Henri Ouest et a su minutieusement et stratégiquement faire usage des différentes sources de financement disponible pour faire de son projet une réalité. Des prêts traditionnels aux bourses, en passant par le sociofinancement et les obligations communautaires, encore très peu utilisées au Québec, il a obtenu plus d’un demi-million de dollars. Beaucoup plus populaires en Ontario, les obligations communautaires permettent aux OBNL de convertir l’appui de leur communauté en argent, au-delà de la formule traditionnelle des dons. Toute personne peut donc procéder à l’achat d’une ou plusieurs obligations émises par l’OBNL au prix demandé et pour une période précise. Ils contribuent donc directement à l’essor d’une cause qui leur est chère tout en en tirant des bénéfices.
Pour Dimitri, il était essentiel que cette épicerie demeure fonctionnelle sans délaisser un certain niveau d’esthétisme et surtout, qu’elle ait pignon sur rue. Il n’a donc pas lésiné sur ses objectifs financiers liés aux améliorations locatives. Bien qu’il ait choisi la forme juridique d’organisme à but non lucratif, il se positionne comme une entreprise à part entière qui vise à générer des revenus lui permettant de diversifier son offre afin de constamment pouvoir améliorer sa réponse aux besoins du marché. Pour minimalement trois heures de bénévolat à l’épicerie par mois, les membres peuvent bénéficier du prix membre sur l’ensemble des produits offerts, représentant un rabais de quelques dollars.
Grâce au sociofinancement
Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), un désert alimentaire est un «secteur qui procure un faible accès à des commerces pouvant favoriser une saine alimentation et qui est défavorisé sur le plan socioéconomique». Le quartier Saint-Henri Ouest est un désert alimentaire depuis plusieurs décennies et après y avoir vécu plus de 6 ans, Dimitri prêtait de plus en plus attention à cet enjeu que la pandémie est venue exacerber. De la fenêtre de son appartement, il voyait les files interminables devant l’épicerie IGA qui avait déjà du mal à adéquatement desservir le quartier avant la COVID-19. La Mission Bon Accueil, elle, subissait le même sort et a dû suspendre l’inscription de nouvelles personnes à sa liste de bénéficiaires du panier alimentaire parce que l’offre ne réussissait malheureusement pas à suivre la demande.
Fort de son expérience de consultation en innovation sociale et voyant sa liste de clients diminuer avec la pandémie, il a vu en cette période une occasion intéressante de mettre ses compétences directement au profit de sa communauté. Ce qui a commencé par la création d’un logo, d’une page Facebook et d’une pétition est rapidement devenu le projet de toute une communauté. Il a recueilli plus de 800 signatures en un mois et cela est venu confirmer le besoin et renforcer le projet sur lequel lui et d’autres habitants du quartier travaillaient. Il a tout de même fait face à des résidents plus sceptiques qui, victimes directes de l’embourgeoisement depuis de nombreuses années, avaient du mal à considérer des «étrangers» du quartier comme vecteurs de changement positif. Cela ne l’a toutefois pas freiné dans son élan et n’a pas empêché sa campagne de sociofinancement d’être un franc succès avec l’atteinte de 102% de l’objectif. En effet, la communauté croyait en son projet et voulait qu’il voie le jour. Aujourd’hui, l’une des plus grandes forces de la DAL est justement son ancrage communautaire.
Avec les bénévoles, Dimitri et son équipe de 5 personnes exploitent cette entreprise en gardant en tête les différents segments du marché qu’ils desservent. Par exemple, la demande d’aliments frais provient surtout des individus et des ménages qui ont un style de vie qui leur permet de cuisiner régulièrement, ce qui est loin de représenter l’ensemble des résidents du quartier. Ainsi, parmi les projets d’expansion de la DAL, il y a celui d’une cuisine industrielle dans le local voisin afin de produire et vendre des repas chauds à partir des invendus de l’épicerie. C’est l’intégration stratégique de l’économie circulaire!
Dans un univers où les minorités visibles sont souvent stéréotypées comme occupant uniquement la place des bénéficiaires, Dimitri Espérance se positionne maintenant comme un modèle à suivre. Que vous soyez résident ou non du quartier Saint-Henri Ouest, allez faire un tour à cette épicerie située presque à l’angle des rues Notre-Dame Ouest et Saint-Rémi. Vous contribuerez directement à l’essor et à la redistribution de la richesse pour ce quartier tout en ayant accès à des aliments de qualité dans un cadre fort agréable!