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PHILANTHROPIE. Pour effectuer une transformation d’ampleur dans un organisme sans but lucratif (OSBL), comme dans tout organisme, une bonne gouvernance est clé. Elle passe par un alignement réussi entre la direction et le conseil d’administration, soutien indispensable au virage numérique.
« La philanthropie est un milieu de transformation très lent, en raison de sa structure de bénévoles », estime Daniel Asselin, directeur principal de la philanthropie à la Fondation de l’Université de Sherbrooke. Dans beaucoup de petits organismes, les administrateurs se sont moins réunis depuis le début de la pandémie, constate celui qui a fondé et dirigé la firme d’expert-conseil en philanthropie Épisode pendant près de 30 ans.
Les décisions d’investissement, parfois difficiles à faire pour ces structures qui gèrent les fruits de la générosité, reposent sur une bonne synergie entre une direction sous la pression du quotidien et le CA, qui peut hésiter à s’engager dans des projets coûteux.
Concrétiser pour convaincre
La PDG de la Fondation Tel-Jeunes, Céline Muloin, a bien travaillé son dossier de nouvelle plateforme technologique avant de le présenter à son CA. Cette transformation importante, mise en place en 2019, a permis à l’organisme de soutien aux jeunes de poursuivre ses services sans interruption pendant la pandémie. « En tant que directrice générale, il faut être capable de rendre concrets les besoins exprimés par les équipes et de produire des études approfondies », explique celle qui a démontré aux administrateurs de Tel-Jeunes que l’ancien système générait un casse-tête pour le personnel et n’offrait pas une connaissance exacte de la clientèle. Céline Muloin a présenté au conseil une étude de marché (avec des indicateurs et des comparables) et l’a informé de l’évolution à chaque rencontre, en s’appuyant sur un spécialiste du numérique travaillant sous sa direction.
En cas de réticence d’un CA, Daniel Asselin recommande aux dirigeants de bien s’entourer pour convaincre l’ensemble des décideurs. « Je conseille de s’appuyer sur une organisme comparable qui a pris le risque d’investir avec succès, et sur un expert en transformation numérique », préconise le directeur philanthropie. De telles réticences ne sont toutefois pas communes, selon Louise Giroux. La fondatrice et présidente de l’organisme d’accompagnement en développement Philanthrôpia a plutôt observé un soutien des administrateurs chez ses clients, mais croit que cela peut exister dans de très petites structures où il faut plus sensibiliser et former les membres du conseil.
Un rôle déterminant
À Alloprof, le virage numérique amorcé en 2019 allait de soi à tous les chapitres de la gouvernance. « Notre conseil d’administration n’avait pas à être convaincu, au contraire ! » lance la directrice générale Sandrine Faust, qui a pu s’appuyer sur le réseau de ses administrateurs pour obtenir des aides pro bono. « Nous avons été accompagnés dans notre virage par les meilleurs experts: avocats, experts de la Caisse de dépôt et placement du Québec, etc. », se réjouit la directrice générale. Cette dernière a pu piloter la mise en place d’une nouvelle plateforme personnalisée pour Alloprof avant que l’organisme devienne incontournable avec la fermeture des écoles. « Nous avons la chance d’avoir des administrateurs hauts placés, habitués aux meilleures pratiques. Ils nous incitent à toujours creuser pour aller plus loin », souligne Sandrine Faust.
Céline Muloin peut également compter sur des experts dans son CA capables de l’appuyer, de la mettre au défi et de « traduire aux autres membres » certains problèmes précis.
Daniel Asselin croit d’ailleurs que la crise actuelle offre l’occasion de réfléchir aux rôles et aux responsabilités de la gouvernance des OSBL et d’améliorer le recrutement de leurs administrateurs. « Il faut définir des profils de personnes dont on a besoin ou qui sont nécessaires pour une transformation ou amener l’organisation ailleurs », estime celui qui croit également que de petits organismes philanthropiques devraient se regrouper pour mutualiser leurs moyens.
Louise Giroux, qui constate que les donateurs sont sollicités de toutes parts, partage cette analyse. « Certaines petites organisations ne reçoivent quasiment plus rien et ne font pas de numérique parce qu’elles n’en ont pas les moyens, parce qu’elles ne sont pas structurées ou qu’elles ont peur », déplore l’experte pour qui la philanthropie vit un moment charnière. Elle projette d’importer au Canada le concept du « think tank » britannique Philanthropy Impact et préconise des regroupements de CA pour partager les bonnes pratiques et s’entraider.