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Verizon, le nouveau défi de Manon Brouillette

Stéphane Rolland|Édition de la mi‑juin 2021

Verizon, le nouveau défi de Manon Brouillette

(Photo: 123RF)

ANALYSE. La notoriété a une dimension régionale. La nomination de Manon Brouillette à la haute direction de Verizon (VZ, 57,05 $US) n’est pas passée inaperçue. L’ex-PDG de Vidéotron entre dans un groupe très restreint de Québécois ayant atteint les plus hautes sphères d’une grande société américaine.

Pour de nombreux lecteurs, Verizon, malgré une capitalisation boursière de 236,6 milliards de dollars américains (G$US), est probablement moins connue que la femme d’affaires originaire de la Mauricie qui s’est trouvée sur la liste des 100 Canadiennes les plus influentes en 2014 et en 2016.

Il faut dire que les investisseurs autonomes québécois vont généralement vers les États-Unis à la recherche de modèles d’entreprise qu’ils ne trouvent pas à la Bourse canadienne : les géants de la techno, les sociétés du secteur de la santé, les multinationales de la consommation, etc. Les investisseurs ayant déjà le choix entre BCE (BCE, 61,26 $), Rogers (RCI.B, 62,4 7 $), Telus (T, 27,4 9 $) et Québecor (QBR.B, 32,36 $), les comparables américains attirent moins leur attention.

On peut effectivement trouver des points communs dans l’industrie des deux côtés de la frontière. La faible concurrence dans le secteur des télécommunications au Canada est un sujet récurrent de l’actualité politique et économique. Or, vous pourriez être surpris d’apprendre que le marché est également très concentré chez nos voisins du Sud.

Trois sociétés s’y partagent 90 % du marché des téléphones sans fil postpayés, soit Verizon, AT& T (T, 29,01 $US) et T-Mobile (TMUS, 147,27 $US). La fusion entre T-Mobile et Sprint, conclue le 1er avril 2020, a réduit le nombre de concurrents. «Les sociétés ont maintenant moins intérêt à prendre des décisions irrationnelles par rapport aux prix dans le but de gagner des parts de marché à court terme», juge Michael Hodel, de Morningstar.

 

Des projets

La concurrence a beau être plus «rationnelle», elle s’intensifie au moment où les trois sociétés déploient leur réseau 5G et que T-Mobile nourrit d’ambitieux projets d’expansion, maintenant qu’elle a fusionné avec Sprint. De gros chantiers attendent Manon Brouillette, qui a piloté l’entrée de Vidéotron dans la téléphonie mobile.

La Division consommateurs de Verizon, dont Manon Brouillette sera cheffe de l’exploitation et vice-PDG, veut accroître son revenu moyen par compte en migrant ses clients vers ses forfaits de données illimitées réguliers et «premium». En 2023, Verizon prévoit que 90% de ses clients consommateurs seront abonnés à l’un des deux types de forfaits (par rapport à 64% actuellement), dont 50% au forfait «premium»(par rapport à 21 %). La Division souhaite aussi que 55 % de ses clients soient connectés sur la 5G d’ici 2023, principalement grâce au cycle «naturel» de remplacement des téléphones mobiles.

Verizon vient de débourser 52,9 G$US dans une enchère de fréquences, qui lui permet d’augmenter sa couverture de 120 %, note Jonathan Atkin, de RBC Marchés des capitaux. Le déploiement du réseau lié à ces spectres nécessitera des dépenses d’investissement de 10 G$US sur trois ans.

 

Comparaison canadienne

L’action de Verizon a le profil type d’un titre de type valeur. Elle s’échange à 11,16 fois les bénéfices des 12 prochains mois, selon une recension des prévisions d’analystes réalisée par Refinitiv. Elle verse un dividende dont le rendement annuel est de 4,36 %.

De 2020 à 2023, les analystes prévoient que ses revenus et son bénéfice par action devraient progresser à un rythme annuel composé de 2,8 % et de 2,5 %, respectivement. Bien que le réseau sans fil affiche une bonne croissance, le réseau filaire, pour sa part, génère des pertes d’exploitation, commente Michael Hodel.

Le ratio cours/bénéfice de Verizon est moins élevé que ceux de BCE (19 fois), de Telus (24 fois) et de Rogers (15 fois). Québecor, pour sa part, n’est pas si loin, avec un multiple de 12 fois qui se compare à l’augmentation du bénéfice prévue de 3,7 % sur la même période.

Aux États-Unis, il faut regarder du côté de T-Mobile pour trouver un pari vraiment différent de ce qu’on retrouve dans l’industrie canadienne. L’action est considérée comme un titre de croissance et s’échange à 54,5 fois les bénéfices des 12 prochains mois. Vous avez bien lu, ce n’est pas une erreur de frappe. Elle est la favorite de Wal Street : 27 analystes sur 30 en recommandent l’achat.

Selon la thèse optimiste, T-Mobile commencerait à peine à profiter des synergies de sa fusion avec Sprint et aurait une longueur d’avance sur ses rivales dans le déploiement de la 5G. Une partie de cette avance s’explique par les spectres qu’elle détient. À plus basse fréquence, ils ont une capacité moins grande, mais voyagent mieux, ce qui fait en sorte qu’ils nécessitent moins d’antennes, donc moins d’investissements que Verizon et AT&T.

T-Mobile anticipe être en mesure de couvrir 200 millions de personnes avec la 5G d’ici la fin de l’année et 250 millions d’ici la fin 2022. Verizon, pour sa part, prévoit atteindre 100 millions de personnes d’ici l’an prochain et 175 millions d’ici la fin 2023, selon des données de Morningstar.

Les optimistes pourraient avoir raison, mais payer 54 fois les bénéfices pour une télécom semble presque indécent quand on peut avoir Microsoft (MSFT, 253,59 $US) à 30 fois.

Avant d’acheter une télécom américaine, vous devez également savoir que le traitement fiscal des dividendes américains n’est pas le même. Les règles sont particulièrement pénalisantes si vos actions américaines se trouvent dans un compte d’épargne libre d’impôt (CELI).

Les télécoms américaines ne sont pas un mauvais placement en soi. Pour un investisseur canadien, toutefois, elles n’offrent probablement pas un attrait suffisant pour traverser la frontière.

 

Au revoir

Ce sont peut-être les événements de ma propre vie qui ont fait de la nomination de Manon Brouillette une source d’inspiration pour cette chronique. C’est le moment, chers lecteurs, de vous dire au revoir. Je signe mon dernier texte au journal Les Affaires après y avoir travaillé 11 ans. Je pars pour ajouter de nouvelles cordes à mon arc et relever d’autres défis journalistiques.

J’ai le coeur gros de quitter une salle de rédaction exceptionnelle. Je vais m’ennuyer de Dominique Beauchamp, avec qui j’ai formé une équipe du tonnerre pour la section «Investir». Dominique est une collègue inestimable et nos lecteurs sont chanceux de pouvoir profiter de son expertise depuis plus de 30 ans. Je tiens à remercier Marine Thomas et Pierre Marcoux de m’avoir fait confiance à la barre de la section «Investir» et du magazine Affaires Plus. Merci à nos abonnés pour votre fidélité. Pratiquer le métier de journaliste est un privilège que je n’ai jamais tenu pour acquis. Votre soutien et votre intérêt sont l’oxygène qui garde notre profession en vie.