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«Vers un conflit civil imminent aux États-Unis»

Jean-Frédéric Légaré-Tremblay|Publié le 20 janvier 2021

«Vers un conflit civil imminent aux États-Unis»

L’auteur et essayiste basé à Toronto Stephen Marche (Photo: stephenmarche.com)

BLOGUE INVITÉ. Fable? Vue de l’esprit? Science-fiction? Après avoir sillonné les États-Unis et passé au crible une foule de modèles scientifiques prédictifs, l’auteur et essayiste basé à Toronto Stephen Marche, qui prépare un livre sur le sujet, est catégorique: tous les indices pointent vers un conflit civil imminent aux États-Unis. Et il faut s’y préparer.


Jean-Frédéric Légaré-Tremblay – Pour qu’il y ait une véritable guerre civile, il faut qu’une partie de la population soit suffisamment organisée et armée pour défier la puissance de la police et des forces armées. Elle n’est pas symboliquement violente, elle l’est littéralement et s’attaque aux institutions les plus puissantes de la nation. Est-ce vraiment ce que vous prévoyez? Qu’entendez-vous par «guerre civile», concrètement? 


Stephen Marche – J’entends par là le chaos. Il va sans dire que cela ne ressemblera en rien à la guerre civile américaine du XIXe siècle, avec deux camps portant des uniformes différents et des objectifs politiques explicites. Je pense plutôt que cela ressemblera à un conflit sectaire entre des groupes tribaux itinérants, se fracturant, unis par la race, l’idéologie politique ou même la religion.

Lorsque vous dites que la guerre civile nécessite «une partie de la population suffisamment organisée et armée pour défier la puissance de la police et des forces armées», ce n’est pas tout à fait exact. Les forces d’occupation américaines en Afghanistan, par exemple, jouissaient d’une domination militaire écrasante. Lorsque vous lisez des récits de cette guerre comme Why We Lost de Daniel Bolger, vous attendez en vain que les Américains perdent une bataille. À certains moments, les troupes américaines sont parvenues à assassiner tous les terroristes connus dans un secteur entier… Et pourtant, elles n’ont pu ni imposer l’ordre ni réduire la violence au point que la politique puisse prendre le dessus.

La vérité est qu’il est presque impossible de contrôler un conflit sectaire. Les Français n’ont pas pu le faire. Les Américains n’ont jamais été capables non plus.

Dans les grandes lignes, ce que je vois se produire, c’est le déclin des institutions qui garantissaient des transitions pacifiques du pouvoir et qui établissaient la légitimité de la loi; et, en lieu et place, la montée de la violence politique. Ce n’est même plus une prédiction : c’est un processus qui est déjà en cours. 

 

Jean-Frédéric Légaré-Tremblay – Ceux qui ont pris d’assaut le Capitole le 6 janvier dernier, qui fut certainement la manifestation la plus dramatique de la contestation de la légitimité des institutions politiques américaines, étaient peu armés et mal organisés. D’où vient, au juste, cette menace dont vous parlez? 


Stephen Marche – J’ai assisté à des conférences de presse en Ohio, à des rassemblements de Trump en Iowa, à des salons d’armes à Tulsa, en Oklahoma… La vérité est que seules cinq minutes suffisent dans n’importe lequel de ces événements pour que se révèle une société accablée par la pathologie : une société en défaillance, submergée par la haine et la peur, dans laquelle une approche rationnelle des questions politiques est méprisée parce qu’elle est rationnelle.

Les modèles scientifiques sur lesquels je m’appuie dans mon livre — ceux de Peace Research Institute d’Oslo, qui étudie la guerre civile, ainsi que ceux de près de 200 autres experts sur les différentes formes d’effondrement de la société — ne sont pas controversés; ils sont bien reconnus. Et l’Amérique est un cas d’école d’une société vouée à l’effondrement. Elle en a tous les signes : la montée de la politique définie comme butin à saisir, l’hyper-partisanerie détruisant les symboles institutionnels, la destruction délibérée (iconoclasme) des statues, l’inégalité horizontale et verticale (énormes écarts entre les riches et les pauvres, et entre les groupes ethniques).

 

Jean-Frédéric Légaré-Tremblay – Qui sont les principaux responsables de cette situation : Trump? Le Parti républicain? La polarisation partisane extrême entre les trumpistes et le flanc gauche du Parti démocrate?


Stephen Marche – En toute honnêteté, c’est le peuple américain. Vous pouvez blâmer Trump autant que vous voulez, mais même après les assauts du Capitole, près de la moitié des républicains ont soutenu cette action. Vous avez donc une partie importante de la population américaine — entre un quart et un tiers — qui ne veut pas que son gouvernement existe. Je pense sincèrement que tout le reste n’est qu’un symptôme de ce fait.

 

Jean-Frédéric Légaré-Tremblay –  Votre livre portera sur la possibilité d’une guerre civile américaine. S’agit-il d’une prédiction ou d’une probabilité? Quelle est la probabilité que cela se produise?


Stephen Marche – Il ne s’agit pas de scénarios du pire ou du meilleur. J’utilise les meilleurs modèles prédictifs que j’ai pu trouver sur toute une série de sujets, et je suis resté aussi proche que possible de ces modèles. Certains d’entre eux, comme les modèles économiques, sont assez faibles. D’autres, comme les modèles de changement climatique, sont pratiquement incontestables.

Dans le livre, je suis aussi honnête que possible sur la solidité des modèles. Je ne suis pas ici pour tromper qui que ce soit. Personne ne connaît l’avenir, mais je suis convaincu que les indices pointent vers un conflit civil imminent aux États-Unis.

 

Jean-Frédéric Légaré-Tremblay – Qu’est-ce que cela signifierait pour le Québec et le Canada, en termes de commerce, de politique et de politiques publiques?

 

Stephen Marche – Le Québec et le ROC sont dans le même bateau. Nous avons le même problème. Nous appartenons à un État-client d’un empire qui s’effondre. Je pense que les conséquences, sur le plan du commerce et de la politique, ne pourraient pas être plus grandes. 

Comment commercer avec un partenaire instable? Comment façonner nos politiques publiques lorsque la plus imposante variable que nous devons prendre en compte — les États-Unis — est entrée dans une phase post-politique? Je ne connais pas les réponses à ces questions. Mais je sais que ce sont les bonnes.