CHRONIQUE. Gilets jaunes, extrémisme, populisme... Les tensions socioéconomiques grimpent un peu partout et se ...
Gilets jaunes, extrémisme, populisme… Les tensions socioéconomiques grimpent un peu partout et se traduisent par des décisions radicales, voire des colères brutales.
Comment cela se fait-il ? Nous assistons à la conjonction explosive de deux phénomènes. D’une part, la polarisation des idées : en situation de stress, chacun de nous a le réflexe de chercher une solution à la fois simple et extrême aux problèmes complexes rencontrés, puis à s’accrocher à celle-ci comme à une bouée. D’autre part, l’exacerbation du tribalisme : idem, chacun de nous ressent alors le besoin vital de s’entourer de ceux qui lui ressemblent, et donc d’effectuer un repli identitaire au sein d’une petite tribu. Bref, nous nous mettons à croire mordicus qu’il y a nous et les autres, et que les autres ont forcément tort, quoi qu’en disent les faits, c’est-à-dire les informations vérifiées et vérifiables.
«Lorsque la polarisation croise le tribalisme, les gens perdent de vue le bien commun. Leur priorité devient l’accentuation des divisions, qu’elles soient idéologiques, raciales ou religieuses, dans le but de prendre le pouvoir et d’imposer à tous leur vision étroite du monde», dit Tim Dixon, cofondateur de More in Common, une organisation non gouvernementale (ONG) qui se concentre sur le mieux-être collectif.
Trois catalyseurs d’ampleur mondiale aggravent la situation :
– Le changement climatique, qui remet en question nos modes de vie actuels ;
– L’éclatement de l’ordre mondial, qui laisse le champ libre aux partisaneries les plus folles ;
– L’accroissement des inégalités, qui avive l’animosité entre le précariat – les travailleurs précaires – et ce que j’ai envie d’appeler le «privilariat» – ceux qui vivent de leurs privilèges -, à l’image des fameux 1 %, lesquels accaparent à eux seuls 82 % de la richesse planétaire, selon l’ONG Oxfam.
Jusqu’à Davos
«Nous n’avons maintenant plus d’autre solution que de redéfinir le bien commun, puis d’instaurer ici et là de nouveaux modèles socioéconomiques en adéquation avec cette nouvelle vision du vivre ensemble.» Qui lance une telle affirmation ? Oui, qui appelle ainsi à une sorte de révolution planétaire ? Nul autre que Klaus Schwab, le fondateur du Forum économique mondial, en préambule du nouveau sommet de Davos ! C’est dire combien l’heure est à la mutation…
Et d’expliquer : «Les débats actuels s’empêtrent dans de fausses dichotomies – libre-échange/protectionnisme, immigration/sécurité… – et occultent le coeur de la discorde : le nécessaire renouveau socioéconomique, dit-il. À force de palabrer et de nous déchirer sur des sujets somme toute oiseux, nous avons tardé à réaliser que le modèle « production-consommation » était devenu dysfonctionnel, pour ne pas dire obsolète. Aujourd’hui, nous devons impérativement en adopter un autre, axé, lui, sur le partage et la bienveillance.»
Comment parvenir à une telle prouesse ? «Il convient de créer une communauté d’intérêts, puis d’objectifs, à toutes les échelles (locale, nationale et internationale). Ce qui peut se faire si chacun de nous met l’épaule à la roue en redoublant d’efforts et d’imagination», estime M. Schwab.
Un point de vue auquel adhère totalement Julia Luscombe, directrice, Initiatives stratégiques, de Feeding America, un vaste réseau américain de banques alimentaires : «Si l’on espère voir émerger demain un monde plus libre, plus égal et plus consensuel, il faut miser sur l’engagement et l’imagination des milléniaux, note-t-elle dans un billet de blogue. Car les 18-34 ans ont à coeur d’améliorer le monde et sont disposés à s’investir corps et âme dans le changement, comme en atteste un récent sondage de l’ONG Global Shapers Community.»
Alors, par où commencer ? Par le commencement : «Lorsqu’on recherche vraiment le bien commun, on met en place des institutions visant à concilier autant que faire se peut les intérêts individuels et collectifs, explique Jean Tirole dans son livre Économie du bien commun. Ces institutions, c’est l’État et le marché, les deux piliers de nos sociétés.»
Autrement dit, il faut trouver le moyen de reconsidérer ensemble les fondements mêmes de notre vie commune. Donc, de redonner parole et pouvoir aux citoyens.
Un exemple lumineux est l’idée de l’économiste Mariana Mazzucato, présentée à Dubai lors d’un débat du Forum économique mondial : «On pourrait nationaliser les données numériques des citoyens, si bien que les entreprises comme Google et Facebook – et leurs clients – devraient payer les États pour y avoir accès, a-t-elle suggéré. Du coup, les citoyens reprendraient le contrôle de leurs propres données.»
À plus grande échelle, c’est ce que vient d’entreprendre le président français Emmanuel Macron, avec son projet de débat national. Son ambition ? Impliquer toute la population dans la refonte du «pacte social» et dans l’élaboration d’un «nouveau contrat pour la Nation». Ce qui finira sûrement par la déclaration de la VIe République française. Ce qui, surtout, pourrait déclencher – qui sait ? – un engouement planétaire pour un tout nouveau contrat social, imprégné – rêvons un peu – de l’essence du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, soit les notions de «liberté», d’«égalité» et de… «volonté générale».
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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