Vincent Chiara : «La situation de Transat s’est dégradée»
Denis Lalonde|Édition de la mi‑octobre 2020Vincent Chiara est président du groupe Mach, entreprise qui possède plus de 150 immeubles, gère plus de 26 millions de pieds carrés de propriétés commerciales, industrielles et multirésidentielles dans l’est du Canada, et développe actuellement près de 15 millions de pieds carrés de projets. (Photo: courtoisie)
Q&R. Très intéressé par l’achat de Transat A.T. en 2019, le président du groupe Mach, Vincent Chiara, n’a pas l’intention de se lancer dans une enchère avec Air Canada cette fois-ci. Il revient sur les raisons qui ont motivé sa décision tout en commentant divers dossiers, dont celui de l’acquisition surprise du détaillant La Cordée, par Mach Capital, et celui de l’évolution du monde des immeubles de bureaux en période de pandémie.
Les Affaires – Pourquoi n’êtes-vous pas intéressé par Transat A.T. à moins de la moitié du prix que vous proposiez en 2019 ?
Vincent Chiara – On est plus ou moins sûrs que la valeur de Transat est plus élevée que celle qui est offerte par Air Canada. La situation de l’entreprise s’est substantiellement dégradée depuis l’an dernier. Évidemment, la COVID-19 a brouillé les cartes. À l’époque, Transat avait plus de 200 millions de dollars (M $) dans ses coffres. La société a probablement brûlé une bonne partie de cet argent depuis.
L.A. – Ce serait donc trop compliqué pour un autre joueur d’entrer dans le portrait pour acheter l’entreprise ?
V.C. – Le seul effet que ça aurait, ce serait d’augmenter la valeur de l’entreprise pour les actionnaires. Notre but n’est pas d’augmenter la mise simplement pour qu’Air Canada paie plus cher et que les actionnaires s’enrichissent. L’intérêt pour la société doit avoir priorité sur tout le reste. Nous voulions assurer la pérennité de l’entreprise, maintenir le siège social à Montréal et sauver quelque 5000 emplois.
L.A. – Est-ce que la récente tournure des événements vous laisse un goût amer ?
V.C. – Je ne suis pas actionnaire de Transat, alors je n’ai aucune amertume de ce côté. Mais comme citoyen, je trouve ça triste. Beaucoup de gens n’ont pas mesuré les conséquences de la transaction et vont finir par avoir un goût amer. Avec la transaction, le Québec va perdre un siège social, des emplois et, ultimement, les consommateurs seront perdants. Le but ultime d’Air Canada dans cette affaire est de faire disparaître un compétiteur.
L.A. – Si, demain matin, un autre investisseur potentiel, comme Pierre Karl Péladeau, vous téléphonait pour sonder votre intérêt ? Seriez-vous prêt à replonger ?
V.C. – On n’a pas fait d’autre enquête financière sur la situation de Transat et je ne pense pas que les informations publiques soient suffisantes pour évaluer la situation de l’entreprise aujourd’hui. Tout ce flou, en plus de la pandémie de COVID-19, font que ce sera difficile pour un nouveau joueur de vraiment s’immiscer dans ce dossier. Chose certaine, en payant beaucoup moins cher (190 M $) pour Transat, Air Canada peut seulement améliorer son sort. Ce sera peut-être difficile à court terme, mais une fois la situation de la COVID-19 régularisée, le transporteur aura réalisé une acquisition très intéressante.
L.A. – Quittons le transport aérien… vous avez causé la surprise en procédant à l’acquisition du détaillant La Cordée. Pourquoi ?
V.C. – Toutes nos démarches d’acquisitions qui sont à l’extérieur de l’immobilier ont tout de même une composante immobilière. Avec Transat, nous avions un plan stratégique de développement d’hôtels. Transat aurait permis de stabiliser le développement hôtelier avec un potentiel de 20 000 chambres par jour à longueur d’année.
Avec La Cordée, c’est un peu la même approche. Souvent, les détaillants manquent de flexibilité et d’argent. Nous allons permettre à la chaîne de procéder à une expansion dans nos centres commerciaux, tout en leur permettant de fermer des magasins non performants. Par exemple, si La Cordée décide de tenter sa chance à Québec et que ça ne fonctionne pas, on va leur donner la flexibilité de s’en sortir sans bail à long terme et sans pénalité.
L.A. – Le groupe Mach possède de nombreux immeubles de bureaux au Québec. Avec la pandémie et la popularité grandissante du télétravail, anticipez-vous une baisse de valeur de ces propriétés et une hausse du taux d’inoccupation ?
V.C. – Pas à moyen terme. Il faut comprendre que depuis 20 ans, on a beaucoup réduit l’espace de travail par employé dans les bureaux. C’est passé de 200 pieds carrés à 80. Pendant ce temps, tout a été fait pour augmenter les contacts humains et, par le fait même, l’efficacité au travail. Je ne pense pas que 20 ans d’évolution vont disparaître parce qu’on a eu une pandémie de 6 à 12 mois.