La Fondation J. Armand Bombardier offre des dons ou de la formation dans le but de soutenir d’abord les opérations plutôt que les programmes. Sur notre photo, un atelier de formation sur l’impact social organisé par la Fondation avec Credo Impact en octobre dernier. (Photo : Fondation J. Armand Bombardier)
PHILANTHROPIE. Des organismes aux donateurs, tous ceux qui gravitent dans le monde philanthropique veulent changer le monde pour le mieux. Mais est-il plus utile de viser les grands changements systémiques à plus long terme ou l’action immédiate sur le terrain ? Ou encore, faire un peu des deux ? Là-dessus, chacun tient à sa vision et à sa démarche.
La directrice des activités philanthropiques de la Fondation J. Armand Bombardier, Ode Belzile, estime qu’il s’agit là d’une question d’actualité en philanthropie. «Les changements systémiques, c’est important, dit-elle. Mais comment s’assurer qu’on ne laisse pas des gens tomber entre les craques pendant qu’on travaille à long terme ? Ça, c’est un grand questionnement.»
Mme Belzile explique que la démarche de la Fondation, qui épaule des organismes canadiens qui oeuvrent au développement social et économique, se situe un peu entre les deux. D’une part, l’organisme fait beaucoup de dons en soutien à la mission, ce qui permet d’assurer le maintien et le succès des actions quotidiennes. D’autre part, elle dit aussi s’intéresser grandement aux changements systémiques, puisque ce sont eux qui permettent de trouver et de mettre en place des réponses durables aux problèmes ciblés. «Nous restons toutefois conscients que pour générer des changements systémiques, il faut que les acteurs communautaires et sociaux soient matures», souligne Mme Belzile. C’est-à-dire qu’ils aient les compétences et les autres ressources qui leur permettront d’agir efficacement.
Et ils ne le sont pas toujours complètement [matures]. Selon elle, pour le devenir – et pour réussir à jouer pleinement leur rôle -, les organismes doivent fournir un certain effort de préparation afin d’acquérir des compétences et de se munir des outils pertinents dans le cadre de leur mission. C’est pour cette raison que la Fondation J. Armand Bombardier accorde depuis 2011 beaucoup d’importance au renforcement des capacités, c’est-à-dire qu’elle offre des dons ou de la formation dans le but de soutenir d’abord les opérations plutôt que les programmes.
«On veut s’assurer non seulement que les organismes peuvent continuer de faire leur travail quotidien, mais également qu’ils sont en mesure de se renouveler pour faire face à la compétitivité accrue dans le milieu dans lequel ils travaillent.»
Par leur statut légal, ces organismes doivent par ailleurs assurer leur financement chaque année, ce qui les amène à fonctionner constamment avec un sentiment d’urgence, constate Mme Belzile. «Ils éteignent des feux ; ils sont en mode survie, et ça, ce n’est pas propice à l’innovation et à la génération de changement. Ce qu’on essaie de faire, c’est donc de réduire un peu leurs insécurités à court terme pour les aider à mieux bâtir à moyen et à long terme.»
Étudier l’impact
Depuis un an ou deux, plusieurs intervenants du milieu philanthropique commencent à manifester un intérêt plus marqué envers les facteurs de succès des mesures mises en place plutôt qu’aux mesures elles-mêmes, constate la directrice des activités philanthropiques. «On l’entend beaucoup ; les gens qui financent veulent avoir un regard plus macro, prendre un recul et comprendre pourquoi quelque chose fonctionne, en plus de saisir ce que l’usager et l’organisme ont tiré des mesures mises en place.»
Bien sûr, cela ne signifie pas un désintérêt général par rapport au financement de l’action sur le terrain. Toutefois, pour mesurer cette action, il faut d’abord qu’elle ait lieu. Selon Mme Belzile, le milieu s’intéresse effectivement davantage qu’auparavant à l’évaluation des impacts d’une mesure et à la compréhension de son succès. «Plutôt que de parler uniquement d’impact, on essaie donc de parler davantage de retombées et d’apprentissage», précise-t-elle.
Une question de stratégie
Viser des changements systémiques ou une action immédiate est surtout une question stratégique, explique Elsa Desjardins, présidente de la section du Québec de l’Association des professionnels en philanthropie.
«Je travaille en philanthropie depuis 20 ans, alors ce questionnement-là, je l’ai entendu souvent», dit celle qui est également directrice du développement des affaires, Événements et projets de financement à la Fondation de l’Institut de cardiologie de Montréal. «Dans les faits, c’est une question de stratégie pour les fondations.»
Celles-ci doivent choisir entre répondre rapidement aux besoins urgents de leur cause ou cibler la pérennité de l’organisme et les effets à long terme. «Dans le cas de notre Fondation, nous partons des besoins prioritaires de notre cause, c’est-à-dire de l’Institut de cardiologie», note Mme Desjardins.
Une stratégie est ensuite élaborée afin d’y répondre le mieux possible. «Comme nous avons des besoins à long terme et à court terme, c’est bien équilibré, estime Mme Desjardins. Je crois que les fondations qui seront vraiment gagnantes, ce sont donc celles qui auront clarifié leur vision. Ensuite, elles vont récolter ce qu’elles ont semé.»