«Nous avons besoin des autres, mais nous avons aussi besoin de solitude», résume Kira Newman, rédactrice en chef du Greater Good Magazine.
BLOGUE INVITÉ. L’inconscient collectif semble avoir changé après plus de deux ans de pandémie de COVID-19. Les gens délaissent les salaires élevés pour un emploi qui les passionne. Les pénuries de main-d’œuvre et la flexibilité croissante du travail ont redéfini la vie professionnelle qui rime maintenant davantage avec quête du bonheur.
En tant que rédactrice en chef de Greater Good Magazine, Kira Newman analyse les découvertes scientifiques pour proposer à ses lecteurs des articles sur la façon de mener une vie plus heureuse et empreinte de compassion. Elle s’est dernièrement intéressée à la capacité de l’être humain à éprouver du bien-être, et ce, même pendant les pires épreuves.
Au printemps 2021, la rédactrice a senti qu’elle s’isolait de ses amis. Surprise par ce comportement antisocial, elle a tenté de savoir s’il pouvait s’agir d’un effet de la pandémie. Elle a découvert qu’elle souffrait d’une sorte de crise paradoxale de la solitude.
«Notre tissu social est généralement la principale voie qui mène au bien-être et au bonheur et je pense que nous sommes arrivés à un point où la technologie ne suffit plus, et nous sommes à bout», explique-t-elle.
Le sentiment répandu de stress accru, de solitude et de dépression dans le contexte de la pandémie a conduit à l’isolement social, malgré le désir d’interactions en personne.
En même temps, les maisons sont devenues des espaces communs, les familles ayant eu à se confiner ensemble. Ainsi, de nombreuses personnes ont eu l’impression de ne pas passer assez de temps seules.
Cela peut conduire à un état que les chercheurs qualifient dans la langue de Shakespeare d’«aloneliness», un état paradoxal ou un individu éprouve à la fois «le sentiment de vouloir être seul, sans avoir la possibilité de le faire», tout en s’ennuyant d’entretenir des liens sociaux.
«Nous avons besoin des autres, mais nous avons aussi besoin de solitude», résume-t-elle.
La bonne nouvelle c’est que grâce à cette prise de conscience qui nous rappelle notre vulnérabilité, nous pouvons accélérer notre capacité à rebondir après un traumatisme induit par la pandémie.
Le télétravail accroît le bonheur et la fidélisation du personnel
Ce n’est un secret pour personne: les travailleurs à distance sont souvent plus heureux, plus engagés et plus productifs. Kira Newman, qui compte 12 ans de travail à domicile, estime qu’une structure flexible favorise le bien-être dans l’espace de travail.
Une enquête récente de McKinsey a révélé que plus de 87 % des Américains choisiraient de travailler à distance s’ils en avaient l’occasion — une tendance généralisée dans toutes les catégories démographiques, professionnelles et géographiques. Selon Nicholas Bloom, professeur à Stanford et expert du travail à distance, le travail hybride peut également réduire de 35 % le taux de démission dans une entreprise.
Cependant, il existe de bonnes raisons qui justifient que les nouvelles recrues intègrent en présentiel leur nouvelle équipe, estime Kira Newman.
Cette dernière a notamment déménagé de son plein gré de Toronto à la région de la baie de San Francisco lorsqu’elle a rejoint le Greater Good Science Center situé à l’Université de Californie, à Berkeley.
Dans un premier temps, «chez Greater Good, nous encourageons les rencontres en personne parce qu’elles aident vraiment à établir une confiance profonde entre les gens, dit-elle. Il est plus facile de travailler ensemble et de coopérer à distance une fois que vous connaissez mieux quelqu’un. Vous avez ce sentiment de confiance et de bonne volonté qui vous permet d’accorder aux gens le bénéfice du doute lorsque vous interprétez leurs paroles et leur comportement.»
Ainsi, après avoir établi une base solide avec son équipe, Kira Newman s’est sentie à l’aise de revenir au Canada et de profiter de la flexibilité du travail à distance.
La clé du succès
Pour réussir en tant que travailleur à distance, il faut entretenir des relations avec ses collègues en apprenant à les connaître sur le plan personnel. La distance, cependant, a renforcé l’importance de choisir la bonne technologie pour y parvenir.
«Il peut être utile de prendre le téléphone et d’appeler quelqu’un, indique Kira Newman. Chaque fois que je l’ai fait avec mes collègues de travail, j’ai toujours trouvé agréable de leur parler ne serait-ce que cinq minutes, d’entendre leur voix et de résoudre quelque chose très rapidement.»
Et ce n’est pas qu’une impression. Une étude de 2021 a d’ailleurs révélé que les interactions impliquant la voix entraînaient des liens sociaux plus forts et n’augmentaient aucunement la gêne contrairement aux communications écrites.
Le bien-être numérique
Malgré ses avantages pour les contacts sociaux, l’utilisation excessive de la technologie numérique a aussi été associée à des répercussions négatives sur la santé mentale et a brouillé la frontière entre une connectivité numérique saine et une connectivité nocive.
La recherche montre toutefois que tout n’est pas noir ou blanc.
«Il est difficile de distinguer à quel moment l’utilisation des réseaux sociaux peut vous rendre malheureux ou déprimé, ajoute Kira Newman. La réponse qui peut paraître à la fois embêtante et complexe est que leur utilisation n’est ni bonne ni mauvaise. Cela dépend du contexte et de la façon dont vous l’utilisez.»
Par exemple, on observe une adoption croissante des applications basées sur la santé mentale. Selon un récent rapport de Grand View Research, la taille du marché mondial des applications sur la santé mentale devrait croître à un taux composé annuel de 16,5 % de 2022 à 2030, pour atteindre 17,5 milliards de dollars américains en 2030.
Les médias numériques restent un outil. En adoptant des habitudes numériques plus saines, comme la réduction du temps passé devant l’écran, nous pouvons libérer le puissant potentiel de la technologie qui réinvente l’accès à l’aide, à la thérapie et à d’autres pratiques de santé.
Ce qui est sûr, c’est que la technologie est enracinée dans notre quotidien. Nous devons trouver des moyens d’améliorer notre bien-être, de favoriser le lien social plutôt que de le réduire pour finalement accroître notre bonheur au travail.
Karl Moore et Stéphanie Ricci. Karl est professeur agrégé dans la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill. Stéphanie est diplômée en journalisme et sociologie de l’Université Concordia.