L'idée, ce serait d'y aller quartier par quartier. (Ph.: Shamin Nakhaei/Unsplash)
CHRONIQUE. Ici et là, des pays, des provinces, des régions entreprennent des opérations de déconfinement. Tous recourent à peu près à la même méthode, à savoir un déconfinement à la fois graduel et sectoriel : certains secteurs d’activités peuvent se remettre à l’ouvrage, puis d’autres la semaine suivante, et ainsi de suite, tant que la pandémie ne redémarre pas abruptement.
Fort bien. Mais est-là la meilleure façon de procéder? Car ce n’est pas parce que tout le monde fait pareil que c’est nécessairement la chose à faire…
Eh bien, il se pourrait que non, que ce ne soit pas la meilleure chose à faire! Loin de là. Cette façon-là serait même « trois à quatre fois plus coûteuse» sur le plan économique qu’une autre méthode. C’est ce qui ressort d’une étude intitulée «Controlling epidemic spread: Reducing economic losses with targeted closures» et signée par deux professeurs de gestion des opérations de l’École de commerce Booth de l’Université de Chicago (États-Unis), John Birge et Ozan Candogan, assistés de Yiding Feng, doctorant en science informatique à l’Université Northwestern d’Evanston (États-Unis). Regardons ça ensemble…
Les trois chercheurs se sont demandés qu’elle était le meilleur moyen de déconfiner une grande ville qui avait subi un confinement strict pendant plusieurs semaines d’affilée. Et par «meilleur» ils entendent un moyen qui est non seulement efficace, mais aussi peu coûteux.
Pour s’en faire une idée, ils ont concocté un modèle de calcul économétrique permettant d’analyser les impacts dans le temps d’un déconfinement effectué au sein d’une grande ville, en dosant les mesures adoptées. Par exemple, le déconfinement peu se faire de manière ultra rapide (ex.: du jour au lendemain) ou de manière progressive (ex.: un peu chaque semaine). Idem, il peut se faire par secteurs d’activités, ou encore par zones géographiques (ex.: quartier par quartier, en fonction, disons, de l’intensité avec laquelle la COVID-19 frappe les résidents).
Ils ont ainsi tenu compte de deux impacts principaux : d’une part, le contrôle de la pandémie (le but est d’éviter de la voir repartir d’un coup sec); d’autre part, le coût financier et économique (le but est d’atténuer au maximum la crise résultant de la «mise sur pause» de l’économie décrétée par les autorités).
Très vite, ils se sont intéressés à l’approche spatiale du déconfinement – un moyen que personne, à ma connaissance, n’a encore envisagé concrètement. Car ils ont noté qu’en désignant certains quartiers comme des points chauds de la pandémie et les autres comme des «hubs commerciaux» où chacun est plus libre de circuler et d’avoir une vie économique à peu près «normale» – boutiques, restaurants et autres cafés ouverts, pourvu que chacun respecte scrupuleusement les règles sanitaires en vigueur (ex.: masque, distanciation sociale,…) -, eh bien il était possible de réduire le taux d’infection globale de la population au coût économique le plus bas possible.
L’idée est simple : on maintient bouclés certains quartiers, désignés comme «rouges», tandis qu’on déconfine les autres, sans tenir compte des secteurs d’activités. Que sont alors «les autres»? Les quartiers dont l’activité économique est primordiale pour l’économie, en particulier l’économie locale.
Les trois chercheurs ont regardé ce que ça donnerait si on appliquait cette approche à New York. Leur modèle indique que l’idéal serait de déconfiner Midtown, le quartier d’affaires situé dans la partie sud de Manhattan (la zone qui commence à la 14e rue et qui va jusqu’à la 59e rue, en bordure de Central Park). «Car l’activité économique y est si substantielle que chaque journée de mise sur pause représente un coût considérable pour l’économie new-yorkaise», notent-ils. En revanche, ajoutent-ils, on pourrait très bien maintenir confiné le quartier de la finance de Manhattan – au sud de Midtown – et en faire un point «rouge» puisque l’essentiel de ce qui y est produit peut se faire grâce au télétravail.
«De manière contre-intuitive, les quartiers où l’activité économique devrait être la plus réduite ne sont pas ceux qui ont les taux d’infection les plus élevés, notent-ils dans leur étude. On pourrait très bien imaginer des quartiers adjacents ayant un taux d’infection similaire, et l’un rouvrirait mais pas l’autre en raison du fait que le premier affiche un dynamisme économique plus élevé que le second.»
Bref, l’idée est de désigner des pôles économiques clés de la ville en question – par exemple, Midtown pour Manhattan -, de lever le confinement pour ceux-ci et de le maintenir pour les autres quartiers. Ce serait là la solution idéale, tant d’un point de vue sanitaire qu’économique.
«L’approche graduelle et sectorielle est, selon notre modèle de calcul, trois à quatre fois plus coûteuse sur le plan économique que l’autre approche, qui consiste à cibler les quartiers», soulignent les trois chercheurs. Cela étant, ils reconnaissent qu’une telle méthode puisse créer des remous au sein de la population : à leurs yeux, si les autorités ont, de manière uniforme, opté pour le graduel et le sectoriel, c’est notamment par souci politique vu que cela est «facile à mettre en oeuvre» et «facile à vendre à une population soucieuse d’équité».
Il n’en reste pas moins que cette double facilité-là présente un coût, oui, un coût économique particulièrement élevé. «Trois à quatre fois plus élevé» que la méthode qui consiste à y aller quartier par quartier…
Maintenant, que devrions-nous faire pour Montréal? Certes, la métropole québécoise n’est pas New York. Néanmoins, l’étude porte sur toute grande ville, et Montréal en est indubitablement une. Devrions-nous procéder comme le reste du Québec, de manière graduelle et sectorielle? Ou opter, avec audace, pour l’approche géographique, quartier par quartier, nettement plus efficace sur la plan sanitaire et nettement moins coûteuse sur le plan économique? À la mairesse Valérie Plante et son équipe de voir. Qui sait? cela serait peut-être bien l’occasion de faire briller la métropole à l’échelle internationale par sa créativité sans pareille…
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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