Votre nouveau leader se trouve au bord de la falaise de verre
Catherine Charron|Mis à jour le 13 juin 2024Nommer une personne issue d'un groupe minoritaire à un poste de direction sans adapter le système en place peut mener celle-ci au bord d'une falaise de verre. (Photo: 123RF)
RECRUTEMENT. Si vous êtes à la recherche de la prochaine personne qui sortira votre organisation d’une crise, prenez garde : les leaders de groupes en quête d’équité courent plus de risques de se retrouver au bord d’une falaise de verre. La chute en cas d’échec n’est toutefois pas une fatalité, tant que les conditions gagnantes sont rassemblées.
C’est en 2005 que le terme glass cliff est apparu pour la première fois à la suite d’un papier du Times qui était acrimonieux à l’égard des entreprises cotées en Bourse qui sont menées par des dirigeantes.
La réflexion était pleine de raccourcis, selon les chercheurs britanniques de l’Université d’Exeter Michelle K. Ryan et Alexander Haslam. « On a tendance à plus souvent nommer des femmes en période de crise financière. On les met dans des situations quasi vouées à l’échec, résume Céline Morellon, PDG de Leaders de valeur groupe conseils. On s’est rendu compte que les minorités visibles étaient aussi concernées. Maintenant, on en parle pour tous les groupes en quête d’équité. »
Si la personne échoue, souligne Chloé Freslon, présidente et fondatrice d’URelles, ce ne sera pas qu’en son nom, mais bien en celui du groupe auquel elle est associée. « C’est dommageable pour elle, car on ne reconnaît pas ses compétences professionnelles, ça l’est pour sa communauté, et ça l’est pour l’entreprise », dit-elle.
« Cela a pour effet de perpétuer les stéréotypes négatifs et d’entretenir un cercle vicieux où les promotions des femmes et des minorités dans des contextes plus stables et rémunérateurs sont limitées », ajoute Alina Stamate, professeure au Département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM.
Un contexte propice
Bien qu’il manque d’études sur lesquelles s’appuyer pour clairement reconnaître la chaîne de décisions qui entraîne une telle conséquence, Céline Morellon remarque que deux facteurs sont souvent présents.
L’organisation cherche des dirigeants qui sauront éteindre des feux tout en ayant des qualités qui renforcent le sentiment d’inclusion. « Quand on rajoute à ça le désir de faire autrement, on identifie des leaders différents de ce qu’on faisait par le passé, souligne-t-elle. C’est une belle représentation de la rupture que d’y aller avec ce genre de groupe. »
Toutefois, inconsciemment ou pas, la société couvre ses arrières. Si la situation tourne au vinaigre, elle aura son souffre-douleur tandis que si la personne se sort avec succès de la période trouble, non seulement ce sera mission accomplie, mais elle pourra se targuer d’avoir été inclusive.
Cela se produit aussi généralement dans des organisations où le statu quo est très fort, ajoute Chloé Freslon. Ainsi, on demande à un nouveau leader de corriger une situation problématique sans pour autant changer les parties prenantes ou le système déjà en place.
C’est d’autant plus insidieux que la nomination de cet individu issu d’un groupe minoritaire émane souvent du désir d’être moins homogène. C’est rarement le fruit d’un sabotage délibéré. Aveuglées par leurs bonnes intentions, les organisations ne voient toutefois pas tout le travail qui sera nécessaire pour permettre à cette personne de réellement traverser la tempête.
Nomination en toute connaissance de cause
Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille s’abstenir de nommer des personnes issues de groupes en quête d’équité lorsque la situation est délicate. « Il s’agit plutôt de bâtir un cadre de travail plus inclusif », résume Alina Stamate.
L’entreprise doit être prête à faire les choses différemment. Comme ces leaders sont plus souvent la proie de critiques ou de remises en question, il est donc d’autant plus important de s’assurer que leur intégration, leur accompagnement et les moyens financiers qui leur sont accordés en tiennent compte.
Les attentes doivent aussi être réalistes, surtout si d’autres se sont déjà cassé les dents sur le chantier. « Dès le départ, on doit prendre l’engagement qu’en cas d’échec, on fera front commun. On reconnaît que la situation est à haut risque […] et on s’engage à expliquer l’échec [s’il survient] et à soutenir le leader, quoi qu’il arrive », dit Céline Morellon.
La clé, c’est la formation, et pas que pour mettre le doigt sur les angles morts. Des dangers distincts guettent les leaders de groupes en quête d’équité, et ils doivent être pris en considération.
« On ne peut se contenter de se dire que tout est beau, car on a nommé une femme et qu’on ne voit pas de différence, illustre Céline Morellon. Je veux que tu la voies, que tu la comprennes, et que tu t’organises en fonction des enjeux auxquels elle va faire face. »
L’objectif de cette démarche n’est pas d’éviter que le dirigeant issu d’un groupe en quête d’équité ne tombe en bas de la falaise de verre, c’est de sortir l’entreprise de la crise.
« Les organisations renforcent également leur fondation pour l’avenir en promouvant un leadership diversifié et accompagné adéquatement, conclut Alina Stamate, ce qui, en retour, accroît leur résilience et améliore leur performance globale. »