Une expérience aussi radicale qu'originale. (Photo: Pawel Chu pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «À cause du travail hybride, j’ai la nette impression que les réunions se sont multipliées. Et moi, je n’en peux plus: par exemple, je n’arrive plus à me concentrer pendant une heure lors d’une réunion virtuelle, je finis toujours par décrocher complètement. Y a-t-il un truc qui me permettrait de convaincre les autres de mettre fin à certaines réunions? À tout le moins, de raccourcir leur durée?» – Ulysse
R. — Cher Ulysse, je crois que l’expérience menée par Salesforce devrait vous intéresser au plus haut point. Depuis 2021, l’éditeur américain de logiciels a organisé trois semaines «zéro réunion», dont la dernière a eu lieu en juin dernier. Oui, vous avez bien lu: absolument aucune réunion pendant une semaine entière, pour tout le monde, de la haute direction à l’employé lambda.
L’objectif de cette expérience radicale: mettre au jour de nouvelles façons de travailler ensemble, en regardant si, face à une telle contrainte, les uns et les autres trouveraient par eux-mêmes des astuces ingénieuses pour travailler autrement.
Bien entendu, l’opération a été soigneusement organisée, pas question de semer le chaos au sein de l’organisation. Les employés ont été avertis et informés des semaines avant l’expérience, histoire de rassurer tout le monde. Par exemple, chacun a eu un guide de préparation dans lequel étaient indiqués les objectifs et les attentes. Des conseils y figuraient aussi, du genre «Certes, vous ne pouvez pas tenir de réunion de remue-méninges, mais rien ne vous empêche de lancer chacun de votre côté des idées neuves sur un document numérique commun (Jamboard, Miro, etc.)», ou encore «si vous brûlez de partager avec les autres une information importante, vous pouvez très bien le faire par la messagerie Slack». Idem, un document FAQ (Questions fréquemment posées) a été distribué, répondant à des interrogations comme «Comment éviter de se sentir isolé?» et autres «Comment garder un projet sur la bonne voie sans se voir tous ensemble?».
À noter un point important: certaines réunions ont été malgré tout autorisées, mais il fallait qu’elles répondent à l’un des trois critères suivants. Si elles concernaient un enjeu commercial vital. Si elles concernaient un programme de formation. Ou bien, si elles impliquaient un client ou un partenaire d’affaires.
Alors, comment ont réagi les employés? Eh bien, la première semaine d’expérience a été, disons, un ratage. Nombre d’employés se sont montrés sceptiques, déstabilisés, voire incapables d’afficher la même performance que d’habitude. Ils ont «subi» ce qui a été dénommé la «semaine asynchrone», c’est-à-dire la semaine où chacun fonctionne à son rythme, sans s’ajuster à celui des autres. Certains ont même eu le réflexe de «tricher un peu» (reporter une réunion à la semaine suivante, se réunir en cachette à plusieurs en clavardant en même temps par un média social, etc.).
Cela étant, les deux autres semaines ont permis de voir émerger des idées originales. Par exemple, une équipe a planifié sa «semaine asynchrone» non pas en fonction de réunions, mais des échéances individuelles et collectives ; il fallait que tel jour, un tel objectif soit atteint par l’un pour qu’un autre puisse prendre le relais dans un dossier commun ; et si jamais ça coinçait pour un employé concernant ses échéances, il lui suffisait d’envoyer un courriel à qui de droit pour l’en aviser et lui indiquer comment il comptait ajuster le tir.
Autre exemple: une équipe a pris l’habitude de s’envoyer des clips Slack. Il s’agit de messages audio ou vidéo qui sont faciles à enregistrer depuis son ordinateur et à envoyer aux autres par la messagerie Slack. L’intérêt? C’est que ces messages ne peuvent pas durer plus de 3 minutes, ce qui oblige à se montrer clair et concis. Le gestionnaire de cette équipe a ainsi réalisé qu’il pouvait faire tenir en 3 minutes l’équivalent de ce qu’il disait à son équipe lors d’une réunion de 60 minutes. Ce qui l’a amené à «[s]» interroger concernant la pertinence de la traditionnelle réunion d’une heure en début de semaine».
En fin de compte, 16% des employés de Salesforce en ont tiré la conclusion qu’ils allaient modifier leurs habitudes de réunion à l’avenir afin de «gagner en efficacité». Ce pourcentage peut paraître faible, mais en vérité il est énorme, car on parle ici d’un changement managérial majeur. Et les bonnes pratiques adoptées par les pionniers pourront finir — qui sait? — par inciter les autres à s’en inspirer à leur tour.
Par conséquent, Ulysse, je ne vais pas vous inviter à proposer à votre boss de supprimer toutes les réunions de votre équipe pendant une semaine. Non, ce serait trop périlleux. Mais vous gagneriez sûrement à lui suggérer des modifications, comme d’essayer les clips Slack s’il se sent à l’aise avec le numérique ou de faire passer les réunions virtuelles d’une heure à 30 minutes max afin d’éviter le phénomène de la «fatigue Zoom». Et ce, en lui confiant que vous avez lu quelque part que c’est ce que font d’autres, à l’image de Salesforce.