De grands défis de gouvernance attendent les coops de journaux
Jean-Paul Gagné|Édition de janvier 2020(Photo: courtoisie)
CHRONIQUE. Chaque quotidien de l’ex-Groupe Capitales Médias (GCM) sera bientôt dirigé par une «coopérative de solidarité». Celle-ci aura deux catégories de membres : 1. des employés ; 2. des membres de la collectivité. Cette structure de propriété favorisera l’engagement des acteurs du milieu envers leur journal. Le principe coopératif d’un droit de vote par membre sera respecté.
La propriété coopérative de ces quotidiens soulève d’importants enjeux (degré d’autonomie de chaque journal par rapport à ce qui sera géré centralement, indépendance des rédactions, etc.), mais il peut être un important facteur de mobilisation du milieu.
Alors que l’autonomie, qui est un principe coopératif, permettra aux équipes locales de gérer leur destinée, le succès du groupe dépendra aussi d’une gouvernance centrale forte, mais non autoritaire, et la mise en commun de services, comme c’est le cas en finance avec la Fédération des caisses Desjardins et en agroalimentaire avec la Fédérée.
Ce dernier rôle sera assumé par la Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2i), dont le CA est formé de membres des coops de journaux. La CN2i, une «coopérative de producteurs», coordonnera les stratégies d’ensemble et gérera tout ce qui peut être regroupé : les ventes nationales, les achats, les contrats, les technologies, la comptabilité, etc.
La CN2i, dont le CA est composé de représentants des coops de journaux, aura aussi à établir les grandes politiques de gestion (régie interne, ressources humaines et financières, code de conduite, etc.) ainsi que les règles et les processus nécessaires au fonctionnement efficient de l’ensemble.
Même si le plan d’arrangement avec les créanciers de GCM a été homologué, le financement n’est pas encore réglé. Après des hésitations, Desjardins a finalement rejoint le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction dans le groupe des principaux financeurs de la CN2i, mais les déboursements viendront après la revue diligente, qui est en cours, et la décision finale des tribunaux dans le dossier des retraites des ex-employés de GCM. Ceux-ci contestent la décision du tribunal d’homologuer le plan d’arrangement, qui pourrait amputer de 25 % à 30 % leurs rentes de retraite, une issue qui, malheureusement pour eux, paraît essentielle pour le plan de sauvetage.
Volonté de réussir
Les nouveaux coopérateurs sont sans doute fébriles, enthousiastes et énergisés par le fait de posséder leur propre entreprise. Alors qu’ils étaient des salariés, ils doivent maintenant se voir comme des propriétaires et des entrepreneurs. Ils devront avoir une volonté inébranlable de réussir, savoir innover, se serrer les coudes et affronter avec courage et détermination les obstacles qui se présenteront. Cela exigera un changement d’attitude par rapport à leur statut de travailleurs syndiqués, mais d’autres coops vivent cette réalité sans difficulté.
Engagement du milieu
La réussite de ce projet nécessitera un fort engagement du milieu (entreprises, municipalités, institutions d’enseignement, services publics, etc.) envers leur journal. Sur le plan publicitaire, il faudra cesser d’enrichir les Facebook, Google et autres prédateurs, qui ne paient pas d’impôt, cachent leurs profits dans des paradis fiscaux et qui n’apportent rien à la collectivité. La philanthropie, qui est très utile pour Le Devoir, devra aussi être mise à contribution.
Compte tenu de l’importance des médias pour la démocratie, il sera capital que les acteurs du milieu qui s’engageront dans le soutien financier de leur journal reconnaissent le principe de l’indépendance journalistique, une condition essentielle pour la crédibilité du journal et même pour sa survie.
Chacun dans sa cour
Une des premières tâches des administrateurs sera de préciser les rôles et les responsabilités de leurs instances respectives (CA, direction générale, assemblée des membres) et des rapports entre la CN2i et les coops de journaux.
Alors que, comme propriétaires, plusieurs membres et administrateurs pourraient avoir la tentation de faire de la microgestion, il sera essentiel pour le succès du groupe que chaque instance reste dans son terrain de jeu. Alors que le rôle premier des CA est de s’assurer que leur entité respecte leur mission et de surveiller la qualité de leur gestion, c’est au directeur général qu’il appartient de gérer les affaires courantes.
Il pourrait être pertinent que les CA déjà en place considèrent la possibilité de s’adjoindre certains administrateurs de l’extérieur qui pourraient apporter des expertises complémentaires, par exemple en finance, en gestion des opérations, en ressources humaines ou encore en gouvernance.
Beaucoup d’enjeux certes, mais quel beau défi ! Souhaitons-leur le meilleur des succès.