Jean Routhier n'a jamais vu ça. «La demande est tellement folle», lâche le PDG de Pieux Vistech, une PME ...
Jean Routhier n’a jamais vu ça. «La demande est tellement folle», lâche le PDG de Pieux Vistech, une PME sherbrookoise qui fabrique des pieux vissés pour le résidentiel et le semi-commercial. Or, même si les affaires roulent à fond de train, l’entrepreneur prépare déjà son entreprise à résister à une autre perturbation de l’économie en raison d’une probable deuxième vague de la COVID-19.
La PME, qui compte 110 établissements au Canada (concessionnaires et franchisés), a sécurisé ses approvisionnements d’acier en fixant à l’avance le prix et les volumes avec ses fournisseurs. «Je les ai sécurisés jusqu’en décembre, mais sans pouvoir bénéficier d’une éventuelle baisse des prix. […] Mais ce serait une catastrophe si je manquais d’acier», raconte au bout du fil Jean Routhier. Il a aussi commencé à confier 10 % de sa capacité de production à un sous-traitant dans une autre province. Ce partenaire est situé dans une région où les entreprises non essentielles n’ont pas été obligées de fermer leurs portes ce printemps, à la demande de la Santé publique.
Ainsi, si une deuxième vague force Pieux Vistech à fermer encore son usine au Québec, ce sous- traitant prendra la relève et produira davantage de pieux pour la PME québécoise. «Nous lui avons transféré la demande excédentaire par rapport à nos capacités de production», explique Jean Routhier, en précisant que cela évite à Pieux Vistech de refuser des contrats.
La meunerie La Milanaise, à Saint-Jean-sur-Richelieu, qui affiche une croissance de ses revenus de 20 % par rapport à 2019, a pour sa part décidé de doubler ses stocks d’emballages en papier pour faire face à l’incertitude entourant ses approvisionnements.
«On conserve désormais de trois à quatre mois de stocks d’emballages. On a donc ajouté deux mois par rapport à ce qu’on avait habituellement comme délai, car on ne sait pas ce qui s’en vient dans les prochains mois», insiste son président Robert Beauchemin.
L’enjeu est de taille pour cette PME. Si La Milanaise manque d’emballages, elle ne pourra tout simplement pas livrer sa précieuse farine à ses clients – des industriels agroalimentaires, des boulangeries et des détaillants – situés au Canada et aux États-Unis.
Le retour du Made in Québec
D’autres entrepreneurs québécois ont tiré de douloureuses leçons des cinq premiers mois de 2020, quand des dizaines de milliers d’usines ont fermé en Asie (notamment en Chine), sans parler de la course mondiale pour accaparer les ressources stratégiques, accompagnée d’une explosion des prix.
Pour ne pas revivre pareil cauchemar en cas d’une deuxième vague, des entreprises ont décidé de transformer radicalement leur plan d’affaires afin de réduire ce risque dans les prochains mois.
C’est le cas de Supermax Healthcare Canada. Cette société de Longueuil, qui importe de la Chine du matériel médical (gants en latex, blouses, jaquettes isolantes) vendu uniquement sur le marché canadien, s’apprête à produire en partie du matériel au Québec.
«On commencera à produire ici en août», dit son VP Sylvain Bergeron, en expliquant que cela a nécessité d’agrandir de 30 000 pieds carrés son établissement de Longueuil, incluant l’aménagement d’un entrepôt.
Sylvain Bergeron détient 33 % du capital de Supermax Healthcare Canada. Le reste (67 %) est détenu par l’homme d’affaires malaisien Stanley Thai, le fondateur de Supermax, l’un des plus importants fabricants et exportateurs de gants en latex au monde.
Certes, produire des gants au Québec au lieu de les importer d’Asie coûtera un peu plus cher, admet Sylvain Bergeron. En revanche, l’entreprise s’immunisera contre une nouvelle explosion de ses coûts d’approvisionnement comme ce printemps.
«Avant la pandémie de COVID-19, on payait une paire de gants 1 cent l’unité. Or, ces derniers mois, j’ai vu les prix grimper jusqu’à 45 cents l’unité ! Ça crée de l’incertitude», insiste l’entrepreneur.
Maintenir la cohésion des troupes
La gestion des ressources humaines est un autre enjeu clé des entreprises québécoises qui connaissent actuellement une forte reprise économique en V.
Ces derniers mois, Laboratoire Du-Var, une entreprise manufacturière de Boucherville qui fabrique des cosmétiques et des produits de santé (animale et humaine), a manqué de main-d’oeuvre pour répondre à la forte demande.
La PME a même augmenté son salaire horaire de 2 $ sur ses chaînes de production, mais sans succès. Cela n’a pas suffi à convaincre des travailleurs ou des chômeurs d’appliquer sur ces postes, déplore son président Paul Salloum.
C’est pourquoi Laboratoire Du-Var a décidé d’investir un peu plus de 1 M$ (sur des revenus de 10 M$ à 15 M$) pour automatiser en partie sa chaîne de production, réduisant du coup la vulnérabilité de la PME à la pénurie de main-d’oeuvre.
«Je ne veux pas revivre ce problème !», confie l’entrepreneur, en précisant que cette stratégie permettra de faire des gains de productivité et de libérer du temps pour les autres employés afin de faire des tâches à valeur ajoutée.
Pour d’autres entreprises en forte croissance, leur enjeu numéro un est de continuer à motiver et à stimuler le sentiment d’appartenance de leurs employés, alors que le télétravail sera encore très répandu dans les prochains mois, voire jusqu’en 2021.
Jean-François Arbour, président du Groupe SCV et président de l’Association de la construction du Québec: « On cherche à reproduire des conversations comme celles autour de la machine à café. C’est là qu’on a vraiment le feeling pour évaluer comment
Et il faut aller beaucoup plus loin qu’une bonne technologie ou une bonne connexion Internet pour y arriver, estime Jean-François Arbour, président du Groupe SCV, un entrepreneur en construction, et également président de l’Association de la construction du Québec.
Comme la plupart des entreprises depuis le début de la pandémie, le Groupe SCV organise des rencontres virtuelles à distance (Teams, Zoom, etc.) avec son personnel.
Par contre, parallèlement à ces rencontres professionnelles (pour discuter d’un projet ou d’un problème), la société organise aussi chaque semaine des rencontres informelles sur Teams avec des groupes de cinq à sept employés, de 30 à 45 minutes chacune, où il n’y a aucun ordre du jour.
«On cherche à reproduire des conversations comme celles autour de la machine à café. C’est là qu’on a vraiment le feeling pour évaluer comment va une personne, si elle a par exemple des soucis», explique Jean-François Arbour, en précisant que ce type de conversation est pratiquement impossible à avoir dans une réunion formelle.
Un employé a d’ailleurs vécu un problème ce printemps, et le patron du Groupe SCV s’en est rendu compte lors d’une de ces conversations virtuelles de machine à café. L’organisation a pu ainsi fournir à la personne les ressources nécessaires pour l’aider.
La cohésion de l’équipe est également une priorité chez Cardin Julien, une firme d’architectes de Montréal. Bien entendu, elle s’est dotée de bons outils virtuels (BIM 360, un logiciel de gestion de construction infonuagique) pour être capable de réaliser à distance des projets pour ses clients.
Par contre, à terme, le travail en présentiel est essentiel pour le bien de l’équipe et, ultimement, pour livrer les meilleurs projets possible à la clientèle, estime Jean-François Julien, associé et architecte senior.
«Nous aménagerons d’ailleurs en octobre dans des locaux plus grands. Nous sommes actuellement dans un bureau réparti sur trois étages, où nous sommes serrés», explique Jean-François Julien.
La PME a pris cette décision depuis un certain temps, mais elle la maintient même s’il elle va à contre-courant de la tendance actuelle qui consiste pour les entreprises à vouloir plutôt réduire la superficie de leurs locaux en raison du télétravail.
Jean-François Julien y voit même un atout.
À ses yeux, ce nouveau bureau plus grand et sur un étage permettra aux employés de travailler beaucoup plus efficacement en présentiel, tout en maintenant sans aucun problème les mesures de distanciation physique, même en cas d’une deuxième vague.