La situation des médias d’information continue de se détériorer
La Presse Canadienne|Publié le 26 mai 2022Inévitablement, ces pertes se sont traduites par des compressions importantes en termes d’effectifs et des sommes consacrées à l’information. (Photo: La Presse Canadienne)
La situation économique des médias d’information traditionnels ne cesse de se détériorer et les Québécois ont beau leur accorder une confiance plus élevée qu’ailleurs, ils continuent de s’en écarter au profit des plateformes des géants du web, tout comme les annonceurs.
Dans son volumineux état des lieux sur la situation des médias, publié mercredi, le Centre d’études des médias (CEM), partenaire des universités Laval, de Montréal et de l’UQAM, dresse un portrait très complet de l’industrie de l’information au Québec et ce portrait a de quoi inquiéter.
L’auteur du rapport, le chercheur Daniel Giroux, souligne toutefois qu’il est difficile de tirer des conclusions sur les données extraites des années 2020 et 2021 puisque ces années marquées par la pandémie ont amené des changements de comportements dont il est impossible de savoir s’ils sont éphémères.
La télé et la pandémie
Par exemple, la télévision demeure la principale source d’information, et ce, pour 52% des Québécois de langue française. Et si le temps qu’ils consacrent à écouter des nouvelles à la télévision traditionnelle a baissé de 19% entre 2011 et 2019, il est revenu au niveau de 2011 en 2020, moment où les conférences de presse quotidiennes des différentes autorités gouvernementales et sanitaires étaient assidûment suivies. On peut facilement comprendre l’incertitude entourant le maintien de cette augmentation.
De leur côté, les journaux imprimés et numériques ainsi que la radio traditionnelle ne sont la première source d’information, respectivement, que pour 15% et 5% des répondants. Les médias sociaux occupent ce premier rang pour 16% des personnes interrogées et, sans surprise, cette proportion explose chez les moins de 35 ans où ils devancent la télévision par une bonne dizaine de points.
Par contre, à défaut d’être la première source, la moitié des Québécois francophones fréquentent tout de même les quotidiens chaque jour en semaine, mais le tiers d’entre eux ont 65 ans ou plus et, à l’inverse, les moins de 50 ans sont sous-représentés.
Les hebdomadaires régionaux et de quartier ont vu leur lectorat s’effriter, mais une bonne part de cet effritement est attribuable à l’hécatombe qu’ils ont connue. De 2012 à 2021, leur nombre est passé de 200 à 113. Les magazines grand public, de leur côté, ont perdu quelque 635 000 lecteurs au cours des trois dernières années.
Une confiance élevée au Québec
Fait à noter, la confiance envers les informations des médias traditionnels a connu un rebond au Québec. Ainsi, plus de la moitié d’entre eux (54%) disent pouvoir se fier à la majorité des informations la plupart du temps, comparativement à 44% des anglophones. Il s’agit d’une remontée de cinq points par rapport à 2020 et d’un retour au niveau de 2016 et d’un des résultats les plus élevés au sein des 46 pays sondés par le Reuters Institute for the Study of Journalism. Seuls huit pays développés recueillent une note égale ou supérieure à celle du Québec. À titre de comparaison, des pays comme l’Australie, le Japon ou l’Italie affichent des proportions d’environ 40%, le Royaume-Uni et le Mexique se situent près de 35%, pendant que la France et les États-Unis, notamment, ferment la marche avec environ 30%.
La pandémie a eu des effets économiques dévastateurs, surtout durant les confinements, et les gouvernements ont été appelés à soutenir de nombreux secteurs économiques, dont celui des médias. Ainsi, la fermeture ou la réduction des activités de nombreux commerces de détail ont amené ceux-ci à diminuer ou cesser complètement leurs dépenses publicitaires. Cette perte d’annonceurs a toutefois été compensée, bien que très partiellement, par une augmentation des dépenses des gouvernements qui cherchaient à multiplier les messages de sensibilisation à la population. Mais surtout, Ottawa a atténué le choc en soutenant financièrement de nombreuses entreprises, dont des médias et, parallèlement, la mise en place par les deux paliers de gouvernement de crédits d’impôt sur la masse salariale des médias écrits ont donné un peu d’air à ceux qui en ont bénéficié.
Glissement de la publicité vers le web
Mais la saignée de fonds provenant des annonceurs était déjà majeure avant la pandémie, qui n’a fait qu’aggraver le phénomène. Entre 2012 et 2020, les annonceurs ont dépensé environ 850 millions de dollars de moins dans les médias traditionnels. Pourtant, globalement, les budgets publicitaires ont augmenté de quelque 150 M$. Sans surprise, puisque le phénomène est connu et documenté depuis longtemps, ce sont les Google, Facebook, YouTube et autres Twitter qui se sont accaparés cet argent. Les géants du web empochent désormais près de 60% du marché publicitaire comparativement à 20% il y a dix ans. Les petites annonces, une autre source d’information qui était autrefois l’apanage exclusif des quotidiens, ont aussi migré vers le web sur des sites comme Kijiji ou LesPac.com.
Ce sont les quotidiens qui ont le plus souffert, affichant des pertes de revenus publicitaires de 375 M$ ou 70% de ce qu’ils étaient. La baisse est de 190 M$ pour la télévision (-27%), 114 millions pour les magazines (-84%), 111 millions pour les hebdos (-54%) et 64 millions du côté de la radio (-22%).
Pour ajouter à ce fardeau, les quotidiens et magazines ont vu leurs revenus provenant des abonnements et des ventes en kiosque plonger, respectivement, de 85 M$ et de 40 M$.
Et même si les médias ont investi l’espace virtuel, ils ne récoltent que 8% des dollars consacrés aux annonces en ligne, une source de revenus en recul puisqu’elle se chiffrait plutôt à 16% en 2012.
Les données recueillies par le CEM montrent cependant que les journaux du Québec (quotidiens et hebdos) ont bouclé l’année 2020 avec un profit de près de 12% alors qu’ils étaient déficitaires en 2018. Par contre, la télévision généraliste, qui est l’autre grand producteur d’informations, encaisse perte après perte depuis 2014. Celle de 2020 atteint un sommet, soit 23%.
Perte de journalistes
Inévitablement, ces pertes se sont traduites par des compressions importantes en termes d’effectifs et des sommes consacrées à l’information. Le nombre de journalistes a baissé de 10% (420 personnes) entre le recensement de 2006 et celui de 2016. Aucun secteur — presse écrite, télévision généraliste, radio, secteur public ou privé — n’a été épargné.
Le CEM n’a pas de données aussi précises pour la période de 2016 à 2021, mais les données de Statistique Canada pour cette période indiquent que les diminutions d’effectifs se sont poursuivies. Tous les grands médias écrits du Québec, d’ailleurs, ont annoncé des réductions de personnel durant cette période. Cependant, plus récemment, des journalistes ont été embauchés dans plusieurs quotidiens. Mais en parallèle, certains magazines ont fermé leurs portes alors que d’autres ont espacé leurs parutions. En fin de compte, écrit-on «les additions n’effacent pas les pertes. Le solde est négatif». En fait, la masse salariale des quotidiens, hebdomadaires et autres publications a diminué de presque 40% entre 2016 et 2020.
Il faudra voir le résultat de la nouvelle législation fédérale qui vise les géants du web. Les éditeurs canadiens de journaux s’attendent en effet à toucher des redevances de l’ordre de 100 à 150 millions des géants numériques comme Google et Meta/Facebook à la suite des négociations imposées et encadrées par cette loi. L’analyse du CEM rappelle que «ces mégaentreprises profitent de leur position dominante pour utiliser les contenus journalistiques sans verser de droits compensateurs équitables à la plupart de ceux qui les produisent».
En télé et en radio, on qualifie le bilan de «plus mitigé». On note ainsi des diminutions des sommes consacrées à l’information dans certains médias électroniques, mais des ajouts dans d’autres. Cependant, dans plusieurs cas, on a davantage investi dans l’analyse et l’interprétation que dans l’information brute. La création d’une salle de nouvelles chez Noovo est saluée, mais il faut rappeler qu’il s’agit de la renaissance d’une salle de nouvelles fermée dans le passé. Aussi, le propriétaire de Noovo, Bell, a fermé la salle de nouvelles de la station de radio anglaise CJAD.