Le plan pour Hydro-Québec: «ambitieux» certes, mais irréaliste
Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑novembre 2023(Photo: 123RF)
CHRONIQUE. Hydro-Québec a mis 13 ans (de 2009 à 2022) pour aménager le complexe La Romaine. Puissance installée: 1550 mégawatts (MW). Énergie produite : 8 térawattheures (TW h). Main-d’œuvre : moyenne de 975 travailleurs par année. À noter que ce projet avait déjà été autorisé lorsqu’on a entrepris sa réalisation.
Comparons maintenant ces données avec celles du « Plan d’action 2035 », préparé en trois mois par le nouveau président de la société d’État, Michael Sabia, pour les 12 prochaines années : ajouter de 8000 à 9000 MW de puissance (équivalent de LG-2, Manic-5 et La Romaine réunis) et 60 TW h d’énergie (sept fois La Romaine). Main-d’œuvre requise: 35 000 travailleurs en moyenne par année, alors qu’on est en pénurie et que de grands projets industriels en requerront beaucoup aussi.
Les investissements prévus d’ici 2035 sont de 90 milliards de dollars (G$) à 100 G$ pour obtenir de 8000 MW à 9000 MW de puissance additionnelle (en éolien, hydroélectricité et économies d’énergie) et de 45 G$ à 50 G$ pour rehausser la qualité et la fiabilité du service. Ce sont des sommes gigantesques dont il est difficile de mesurer l’ampleur. Il faut aussi ajouter de 45 G$ à 50 G$ pour construire 5000 km de nouvelles lignes pour le transport, soit la distance entre Trois-Rivières et Vancouver. Pour relativiser, Hydro-Québec avait un actif de 89 G$ à la fin de 2022.
Imaginez l’énorme volume des approvisionnements qu’il faudra gérer. Imaginez le temps qu’il faudra pour négocier avec les Premières Nations, qui veulent protéger leurs rivières, et avec des propriétaires privés pour des droits de passage. Imaginez les tergiversations sur les expropriations et les discussions avec les tenants du « pas dans ma cour ». Mais des ministres soutiennent qu’il n’y aura pas de projet sans acceptabilité sociale. Cherchez l’erreur.
Qui va payer?
Les sommes à financer seront gigantesques. Même si le Québec a une excellente notation de crédit, les finances d’Hydro-Québec seront mises à rude épreuve. Sa rentabilité en sera affectée, tout comme les dividendes qu’elle verse au gouvernement, à moins que les tarifs d’électricité soient accrus considérablement. Hydro-Québec ne peut continuer à vendre à 3 cents/kWh son électricité, dont la nouvelle production coûtera de 6 à 7 cents (éolien) à 10-11 cents (nouvelles centrales).
Ayant promis de plafonner à 3 % la hausse annuelle maximale des tarifs résidentiels qui ne représentent que 86 % des coûts pour desservir cette clientèle, Québec devra accroître les tarifs du secteur commercial, des institutions et de la grande industrie. Or, Québec aime brader notre électricité pour attirer de nouveaux investissements. On ignore toujours ce que Northvolt paiera pour son électricité, mais on sait que Nouveau Monde Graphite aura un rabais.
Pour l’éolien, qui requerra des investissements de 30 G$, Hydro-Québec continuera de compter sur le privé. Gageons aussi que la Caisse de dépôt accroîtra ses investissements dans ce secteur. En plus de viser l’installation de panneaux solaires chez 125 000 clients, Hydro-Québec ouvrira la porte au raccordement de petits parcs solaires privés.
Décarboner et développer
Des 60 TW h d’énergie additionnels dont on aura besoin, 75 % seraient consacrés à la décarbonation, soit 40 % pour électrifier les transports et décarboner les bâtiments, et 35 % pour décarboner les industries (nouveaux procédés, nouveaux carburants, etc.). L’autre 25 % servira à la croissance de l’économie, ce qui veut dire que la décarbonation est compatible avec le développement industriel.
Dans le bâtiment, Hydro-Québec subventionnera l’installation de 700 000 thermopompes, thermostats intelligents et contrôleurs de chauffe-eau, ce qui vise à faire passer de 3 % à 25 % en 2035 la part des résidences qui en seraient dotées. On aidera aussi 100 000 clients à investir dans une meilleure isolation de leur immeuble. D’autres mesures inciteront les consommateurs à déplacer leur utilisation de l’électricité en période de pointe hivernale. Objectif : un million de ménages participants en 2035.
Parallèlement au désintérêt du gouvernement pour l’écofiscalité, le plan Sabia se montre très prudent à l’égard de mesures contraignantes de réduction de la demande. Il propose plutôt des mesures incitatives volontaires, dont il est difficile de prévoir la réceptivité, donc les résultats.
En insistant sur la nécessité de rendre Hydro-Québec plus efficace, plus agile, plus innovante et plus transparente, de réduire les temps de traitement des dossiers, de mieux communiquer avec les communautés autochtones, les municipalités et les clients, M. Sabia expose indirectement certaines lacunes dans l’exploitation de la société et l’urgence de les redresser.
Exigeant, méticuleux et tourné vers l’action, M. Sabia n’aura aucune patience quant au laisser-aller, au niaisage bureaucratique et à la procrastination. Le redressement réclamé n’est pas anodin. Âgé de 70 ans, il voit probablement dans le succès de son plan ambitieux le plus important legs qu’il aimerait laisser à sa province d’adoption. Bon succès M. Sabia!
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J’aime
Enfin une bonne nouvelle pour l’est de Montréal. Québec investira 100 millions de dollars (M$) dans une société qui acquerra, décontaminera et mettra en valeur des terrains industriels abandonnés d’anciennes raffineries et autres industries. Cette somme s’ajoute aux 100 M$ déjà reçus par la Ville de Montréal et qui n’ont pas été pleinement dépensés. La société sera gérée par Fondaction, qui devrait être capable d’accélérer la revitalisation de cette zone quasiment sinistrée. Cet argent provient d’une entente Canada-Québec annoncée en 2018.
Je n’aime pas
Alors que des enfants se présentent à l’école sans avoir déjeuné et que des sans-abris n’ont pas de vêtements d’hiver, le gouvernement Legault pigera entre 5 M$ et 7 M$ dans les poches des contribuables pour faire venir à Québec des clubs de hockey milliardaires qui vont y jouer deux matchs. Cette décision mal avisée vise à séduire les amateurs de hockey de Québec, où la CAQ perd des appuis. On aurait pu célébrer le hockey autrement puisque le Canadien de Montréal était disposé à aller y jouer gratuitement. Comparer cet événement au Grand Prix ne tient pas la route. Ce dernier remplit les hôtels de visiteurs étrangers, alors que les matchs de Québec recycleront de l’argent local qui ne sera pas dépensé autrement.